Archives pour la catégorie Interviews

Interview de Benoît Mouchart, directeur artistique du festival d’Angoulême

Benoît Mouchart est depuis 2003 le directeur artistique du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Auteur de plusieurs livres sur le sujet, il publie ce mois-ci la nouvelle version revue et augmentée de sa synthèse intitulée La bande dessinée1. Pour connaître un peu mieux l’un des plus grands spécialistes de bande dessinée en France, une longue et passionnante interview…

Les origines

Antoine Torrens Bonjour Benoît Mouchart.

Benoît Mouchart Vous pouvez m’appeler Maurice Botthon si vous préférez.

Antoine Torrens Maurice Botthon ?

Benoît Mouchart Maurice Botthon. C’est mon anagramme. Enfin, c’était mon anagramme quand j’étais gamin. Je confectionnais de petits livres dans des cahiers et je signais Maurice Botthon.

Antoine Torrens Pourquoi ce pseudonyme ?

Benoît Mouchart Je ne sais pas, peut-être que ça faisait plus sérieux. Mais a posteriori ça signifiait surtout que je voulais déjà écrire des livres.

Antoine Torrens A quel âge était-ce ?

Benoît Mouchart Dès que j’ai su écrire, je me suis raconté des petites histoires que j’illustrais de dessins, mais ce n’était pas de la bande dessinée…

Antoine Torrens Justement, est-ce que vous avez déjà fait de la bande dessinée ?

Benoît Mouchart Est-ce que j’ai déjà fait de la bande dessinée… Oui, j’ai fait de la bande dessinée quand j’étais au lycée. Pour faire rire un ami, je dessinais des caricatures de notre prof d’histoire, que j’aimais bien par ailleurs et qui était une femme intéressante parce qu’elle avait des idées très radicales mais ses avis étaient si tranchés que c’en devenait prévisible et parfois un peu ridicule. Avec cet ami, nous avions donc fait d’elle une caricature assez chargée, en imaginant ses aventures autour du monde… Comme on ne connaissait pas son prénom, on l’avait baptisée Olga, un prénom russe parce qu’elle était communiste. Je précise que j’avais déjà des idées de gauche à cette époque, ce n’était donc pas du tout anticommuniste comme bande dessinée. Juste un peu moqueur sur le côté parfois dogmatique des vieux trotskistes.

Plus tard, j’ai écrit des scénarios pour des copains qui dessinaient beaucoup mieux que moi, mais ça ne s’est jamais concrétisé. Les dessinateurs avec qui je travaillais n’ont pas persévéré et peu à peu j’ai abandonné l’écriture de bande dessinée.

Benoît Mouchart caricaturé par Zep

Antoine Torrens Donc ce n’est jamais vous qui dessiniez ?

Benoît Mouchart Non, moi je fais juste des caricatures…

Antoine Torrens Vous en faites toujours ?

Benoît Mouchart Parfois. Je suis assez moqueur : c’est une façon comme une autre de dédramatiser les relations humaines… J’ai un assez bon sens de l’observation, je perçois bien les particularités ou les tics de langage de mes interlocuteurs et je peux assez facilement imiter les gens. Mais je n’imite pas les célébrités, seulement les personnes de mon entourage – comme dans ce fameux sketch où Desproges imite son beau-père. J’imite donc assez bien certains dessinateurs, certains éditeurs ou certains de mes proches.

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous pensez de la caricature que Zep a faite de vous ?

Benoît Mouchart Il m’a flatté. Je ne suis pas aussi mince. Et mes cheveux sont plus courts, maintenant…

Antoine Torrens Oui, c’est vrai, vous êtes très maigre sur la caricature.

Benoît Mouchart J’étais plus jeune, elle date d’il y a cinq ans au moins. On change en cinq ans.

Antoine Torrens Alors qu’est-ce qui a changé en cinq ans ? Pour la bande dessinée, notamment.

Benoît Mouchart Aujourd’hui la bande dessinée bénéficie d’une reconnaissance institutionnelle plus importante qu’il y a cinq ans. En 2003, quand le Festival a produit au Musée de l’Homme une exposition consacrée à Edgar P. Jacobs (intitulée « Blake et Mortimer à Paris ! »), il n’y avait pas eu beaucoup d’expositions monographiques dédiées à un auteur de bande dessinée, en dehors de celles qui étaient consacrées à Hergé. Par la suite il y a eu Le Monde de Zep, De Superman au Chat du rabbin, Toy Comix, Reiser, Vraoum, Clamp… Bref, désormais la bande dessinée s’expose dans les musées sans que cela semble une incongruité. On pourrait donc croire à première vue que la bande dessinée fait partie des pratiques culturelles reconnues, mais à mon avis c’est un leurre. La bande dessinée reste une culture minoritaire.

En janvier 2003, je cosignais avec Vincent Bernière, Romain Brethes et Julien Bastide une petite tribune dans la rubrique « Rebonds » de Libération intitulée « La bande dessinée doit sortir du ghetto ». C’était un genre de manifeste pour dire qu’il fallait qu’on parle plus de bande dessinée dans les médias. Aujourd’hui, on relate beaucoup plus les parutions de bandes dessinées dans la presse – ce n’est pas grâce à cet article, évidemment, ce texte était juste une date dans le sens où nous prenions note du fait que la créativité de la bande dessinée n’était pas assez relayée dans les médias. Et pourtant elle n’est pas encore présente avec la régularité et l’exigence que l’on accorde à la musique, au cinéma ou à la littérature. Les recensions de bande dessinée sont quand même encore trop souvent expédiées en quelques lignes, sur un format timbre-poste et sur un mode un peu elliptique. Il faut savoir que la plupart des journalistes qui écrivent sur la bande dessinée ont encore beaucoup de mal à imposer cet art comme sujet d’article dans leurs rédactions. Beaucoup de critiques de BD sont de véritables militants qui se battent pour obtenir un peu d’espace, pour faire partager leur passion.

Antoine Torrens Vous voudriez que ce soit à l’égal de la musique et du cinéma ?

Benoît Mouchart Avec la même ambition critique.

Antoine Torrens Qu’entendez-vous par là ? Qu’on ne se permet pas d’en dire du mal et que c’est un signe qu’on n’est pas à l’aise avec elle ?

Benoît Mouchart On parle souvent de la bande dessinée à propos de ses chiffres : on dit qu’elle vend énormément, que c’est un phénomène incroyable, etc. En fait, certains livres de bande dessinée se vendent énormément, mais la bande dessinée dans son ensemble a une audience beaucoup moins grande que la musique, la littérature ou le cinéma – ou encore que les jeux vidéos, dont les chiffres de vente sont encore plus impressionnants que ceux de la bande dessinée. D’autre part, ce n’est pas parce que beaucoup de livres de bande dessinée se vendent que tout le monde en lit. Les études montrent que moins d’un million de lecteurs lisent plus de 20 bandes dessinées par an en France, alors que la plupart des Français voient plus de 20 films par an, à la télévision au moins.

Les choses ont donc changé en apparence : les ventes globales sont formidables, il y a des expos et des festivals partout, et pour autant il n’y a toujours pas de chaire universitaire consacrée à la BD. Est-ce que c’est grave? Je n’en sais rien : c’est un constat. Il y en a sur la publicité. D’autre part, j’estime que les problèmes qu’a rencontrés récemment le festival en disent long sur le manque de considération qu’ont certains officiels pour la bande dessinée.

Antoine Torrens Pourquoi ce peu d’intérêt ? Parce que c’est lié à l’enfance ?

Benoît Mouchart Cela reste rattaché à l’enfance, oui. Par ailleurs, on n’enseigne pas non plus en France une vraie culture de l’image, on ne nous apprend pas à regarder. La connaissance du monde passe pourtant aussi, et surtout à notre époque, par les yeux.

Antoine Torrens Est-ce que ce n’est pas justement la seule culture de l’image que nous ayons ? S’il y a bien un seul système iconographique complet, un ensemble de codes de l’image partagés par tout le monde, c’est justement celui de la bande dessinée, non ?

Benoît Mouchart Oui, mais il n’y a pas d’éducation au phénomène de l’image et à la culture du dessin, du graphisme et de la peinture. Je suis toujours un peu consterné lorsque j’entends des personnes dire – je l’ai déjà entendu – que Blutch dessine mal, ou que Corto Maltese est mal dessiné. C’est quand même assez bizarre d’entendre ça. Quelle éducation au regard y a-t-il en France pour en arriver à de telles conclusions ?

Antoine Torrens Et où pensez vous que cette éducation pourrait prendre place ?

Benoît Mouchart A l’école évidemment, dans les cours d’arts plastiques mais aussi de français ou d’histoire. En fait, je pense que la bande dessinée aide à mieux lire l’image. Je suis aussi cinéphile que je ne suis bédéphile, vraiment, et je suis certain que le fait de lire des bandes dessinées m’a appris à lire les plans d’un film différemment de quelqu’un qui n’a pas cette culture de l’image. Je ne dis pas que la bande dessinée est du cinéma sur papier, pas du tout. Mais quand je regarde un film ou un tableau, je suis attentif à la composition, aux différents plans, et je suis capable de lire l’image comme on lit un texte.

Antoine Torrens Et ça, ça vient de la bande dessinée ?

Benoît Mouchart Ca vient au moins en partie de ma pratique de la lecture de la bande dessinée. Il faudrait apprendre à déchiffrer les images, parce que l’image est aussi une vision d’artiste, une interprétation du monde. Certes, le dessin de BD est narratif: il est particulièrement dédié à la conduite d’un récit. Mais le lecteur doit quand même décoder ce qu’il suggère : pourquoi y a-t-il ceci à l’avant-plan, pourquoi y a-t-il ceci à l’arrière-plan ? Pourquoi un gros plan ? Toutes ces petites choses qui n’ont l’air de rien sont en fait très importantes…

Antoine Torrens Mais ça on ne le décode jamais ; il n’y a que vous qui le décodiez.

Benoît Mouchart Si ! Même si c’est inconscient, on le décode quand même. Autre chose : au lycée, j’avais beaucoup de copains qui n’aimaient pas les films en version originale parce que cela leur posait un problème de lire simultanément le texte et l’image. Moi, ça m’a toujours semblé naturel.

Antoine Torrens C’est quelque chose qu’on entend beaucoup en France alors que dans beaucoup d’autres pays, en Scandinavie notamment, ça ne pose de problème à personne.

Benoît Mouchart Eh bien je suis persuadé que si les personnes qui n’arrivent pas à regarder les films en VO lisaient de la bande dessinée, ils n’auraient pas de problème avec les sous-titres.

Antoine Torrens On pourrait relier ça au cas de l’Allemagne, qui est un pays où la VOST est très rare, où tous les films sont doublés, et où justement la plupart des gens ont beaucoup de réticences à l’égard de la bande dessinée. Il faudrait sans doute se poser de manière plus systématique la question des liens entre la culture de la VO et de la culture de la BD.

Benoît Mouchart C’est la question de la lecture simultanée d’un contenu visuel et d’un contenu textuel. C’est intéressant parce que Thierry Smolderen a publié récemment un livre passionnant2 consacré aux origines de la bande dessinée, où il montre que l’idée selon laquelle ce média serait né avec l’imprimerie industrielle et le développement de la presse n’est pas totalement satisfaisante. On dit souvent, moi le premier d’ailleurs, que la bande dessinée est apparue avec Töppfer vers 1833. Selon ce dogme, tout ce qui existait avant – les fresques funéraires, les chemins de croix, les vitraux, etc. -, ne serait qu’accidents de l’histoire. L’utilisation de la séquence s’est longtemps inscrit en effet dans la pratique d’autres formes d’art comme la peinture, la sculpture, etc. La bande dessinée n’avait pas d’autonomie formelle avant Töpffer, c’est vrai, mais il y avait tout de même Hogarth, un grand artiste qui a réalisé des gravures parfois très proches de la notion moderne de bande dessinée.

Les références

Antoine Torrens Qu’est-ce qui a changé d’autre dans la bande dessinée et dans votre rapport à la bande dessinée ces dernières années ?

Benoît Mouchart Le nombre de parutions étant beaucoup plus important, il y a forcément davantage de livres intéressants qui sortent chaque année. Ça peut donner l’illusion d’un progrès. Et pourtant je pense que la bande dessinée n’a pas encore tout donné et je suis encore en attente – c’est plutôt positif – d’un Grand Livre. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas lu de bons livres, de grands livres, mais j’attends encore LE Grand Livre.

Antoine Torrens Comme quoi par exemple ? Dans la littérature, le cinéma, les arts plastiques…

Benoît Mouchart Des choses un peu indépassables comme Don Quichotte, Madame Bovary, Citizen Kane… En bande dessinée on a Maus.

Antoine Torrens Un classique, donc ? Ou un chef d’oeuvre.

Benoît Mouchart On a aussi La ballade de la mer salée ou Tintin au Tibet.

Antoine Torrens Pourquoi au Tibet ?

Benoît Mouchart Ou Les Bijoux de la Castafiore si vous préférez. Ou L’Affaire Tournesol. Ou Le Secret de la Licorne. Mais pas tout Tintin : quand même pas Tintin au CongoLe Secret de la Licorne ou Les Sept boules de cristal, oui. Mais pas Tintin et les Picaros, pas Vol 714 pour Sydney. Tintin, finalement, ce n’est presque pas une série : c’est une suite de livres où apparaissent des personnages récurrents. Chaque aventure de Tintin est assez différente des autres dans le ton et la forme : le dessin d’Hergé n’a pas cessé d’évoluer – on ne s’en rend pas bien compte à cause des éditions en couleurs, qui sont pour beaucoup d’entre elles des remakes redessinés entre 1942 et 1966.

Antoine Torrens Donc vous êtes toujours en attente ?

Benoît Mouchart J’attends toujours le Grand Livre, oui. Il y a de nombreux grands livres de bande dessinée qui m’ont marqué. Le Petit cirque de Fred. Blackhole de Charles Burns. L’Enfer de Tatsumi. L’Autoroute du soleil de Baru. Jimmy Corrigan de Chris Ware. Les Phalanges de l’Ordre noir de Christin et Bilal. Phénix de Tezuka. Watchmen de Moore et Gibbons. C’était la guerre des tranchées de Tardi. L’Homme sans talent de Tsuge. Ice Heaven de Daniel Clowes. Ice Heaven est vraiment un grand livre pour moi, je regrette qu’il n’ait pas été primé à Angoulême. Peut-être est-ce un livre trop cérébral, trop littéraire, une oeuvre dont l’intertextualité très riche a malheurement pu échapper à beaucoup de lecteurs. C’est un livre qui fait référence à de nombreuses séries de bande dessinée (Peanuts ou Archie Comics, entre autres), mais aussi au cinéma et à la littérature. J’aime beaucoup Daniel Clowes, je regrette de ne pas l’avoir croisé plus longtemps pendant le dernier festival.

Antoine Torrens C’est une grande frustration ?

Benoît Mouchart Un peu. Avant que je ne travaille pour le festival, paradoxalement, je vivais différemment cet événement. L’an dernier, j’avais invité Chris Ware, Daniel Clowes et Adrian Tomine, qui sont des gens dont je suis complètement fan et je n’ai même pas pu les entendre commenter leur oeuvre aux rencontres internationales ! En même temps je suis fier d’avoir provoqués ces événements, mais bon…

Antoine Torrens Vous aimez beaucoup la bande dessinée américaine, non ?

Benoît Mouchart La bande dessinée indépendante américaine.

Antoine Torrens Pas les comics ?

Benoît Mouchart Si si, il y a des comics que j’aime beaucoup, quand ils sont écrits par de très bons scénaristes, comme Chris Claremont, comme Alan Moore, comme Neil Gaiman, Brian Michael Bendis, des gens comme ça. Ou dessinés par Scott Hampton, par Alex Ross, par Jeff Smith. J’adore Jeff Smith ; je ne le cite pas souvent mais Bone est une de mes séries préférées.

Antoine Torrens Il semble que la bande dessinée indépendante américaine soit vraiment un monde que vous connaissez très bien. Où avez-vous appris à le connaître ?

Benoît Mouchart J’ai fait de la radio pendant de nombreuses années en compagnie de Jean-Paul Jennequin et Martin-Pierre Baudry. Or Jean-Paul Jennequin est probablement le plus grand spécialiste de comics en France ; il a écrit une histoire de la bande dessinée américaine inachevée à ce jour dont le premier tome, paru chez Vertige Graphic, est assez passionnant3. Et j’aime aussi les mangas.

Antoine Torrens Quels mangas ?

Benoît Mouchart J’aime Tezuka, Mizuki, Tsuge, Hino, Tatsumi – que pour le coup j’ai eu la chance de rencontrer et d’interviewer longuement pour le festival -, j’aime certains livres de Taniguchi… Mais pas tout Taniguchi. Je trouve qu’on traduit trop Taniguchi et que cela lui nuit, mais j’aime certains grands livres de Taniguchi. J’aime Otomo et Urasawa, mais j’apprécie aussi Gôshô Aoyama, l’auteur de Detective Conan, ou Akira Toriyama, qui a créé Dragon Ball et Docteur Slump!

Antoine Torrens Toute la bande dessinée, donc ?

Benoît Mouchart Toute la bonne bande dessinée. Mais je suis aussi éclectique dans ma passion pour le cinéma. Je peux aimer un film de Cassavetes, mais aussi certains films de Spielberg. Pas tout Spielberg mais j’aime E.T., ou encore Duel, son premier grand succès…

Antoine Torrens Vous ne faites pas de séparation par genre ?

Benoît Mouchart Non, il y a des oeuvres que j’aime et voilà. Dans le polar c’est pareil. J’aime Raymond Chandler, James Ellroy et Jean-Patrick Manchette mais je n’aime pas… des tas de gens que je n’ai pas envie de citer. En science-fiction, j’aime Philip K. Dick… j’aime les écrivains, j’aime les artistes, les auteurs, les cinéastes. En chanson c’est pareil.

Antoine Torrens Donc par artiste plutôt que par oeuvre ?

Benoît Mouchart J’aime les oeuvres qui témoignent d’une vision d’artiste. D’une écriture, d’une sensibilité, d’une voix et d’un regard personnels.

Antoine Torrens Une question un peu bête : les premières bandes dessinées que vous ayez lues ?

Benoît Mouchart Picsou, Tintin et Tartine.

Antoine Torrens Pas Astérix ?

Benoît Mouchart Oui, un peu Astérix et Lucky Luke. Mais les premières choses qui me viennent à l’idée, c’est vraiment Picsou, Tintin et Tartine.

Antoine Torrens Et après ?

Benoît Mouchart Après, tout : le bon comme le mauvais.

Antoine Torrens Où lisiez-vous des bandes dessinées ? Vous les aviez chez vous ?

Benoît Mouchart A la bibliothèque municipale. Je n’avais pas beaucoup de bande dessinée chez moi. J’avais tout Tintin, quelques Astérix, des Lucky Luke. Et pourtant j’ai lu toute la bande dessinée franco-belge et je crois que je peux vraiment dire que je connais son histoire sur le bout des doigts. C’est aussi pour ça que quand on vient me chercher des noises au sujet de la BD populaire, je réponds : « même pas peur, même pas mal ». Je viens de là. En revanche, j’ai lu très tôt beaucoup de merdes et je trouve que c’est important de lire des merdes, y compris en littérature. Il faut voir des mauvais films, il faut même regarder Les feux de l’amour de temps en temps (une ou deux fois par an, pas plus).

Antoine Torrens Comme il faut aller dans certains musées où il y a des oeuvres mineures pour se rappeler qu’au Louvre la sélection a été particulièrement exigeante ?

Benoît Mouchart Oui, c’est vraiment ça. Je suis un consommateur de culture – j’emploie le mot exprès.

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous entendez par là ?

Benoît Mouchart J’ai un grand besoin de fictions, de spectacles, d’expositions, de films… C’est très important pour moi, presque aussi important que ma vraie vie – qui est très importante aussi.

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous lisez en ce moment par exemple ?

Benoît Mouchart En bande dessinée ? La sélection officielle d’Angoulême !

Antoine Torrens Oui, mais en dehors du travail ?

Benoît Mouchart Je vais souvent acheter des livres à la librairie Un regard moderne.

Antoine Torrens Un regard moderne ?

Benoît Mouchart Une librairie qui se trouve rue Gît-le-Coeur. C’est un lieu hallucinant qui ressemble un peu à la tanière de Gaston Lagaffe, un endroit extraordinaire. Vous pouvez demander au libraire n’importe quel titre, y compris et surtout le plus obscur, il vous le sortira sans hésiter de sous une pile plus haute que moi.

Antoine Torrens Et quelles sont vos dernières trouvailles ?

Benoît Mouchart En littérature, j’ai découvert récemment des auteurs japonais comme Murukami ou Mishima, que je ne connaissais pas. Leurs romans m’ont beaucoup impressionné. J’ai lu aussi Kateb Yacine, que je ne connaissais pas non plus. Grâce à Brigitte Fontaine.

Antoine Torrens « Sade et Kateb Yacine », comme dans la chanson Harem4 ?

Benoît Mouchart Oui. Brigitte me reproche souvent de ne pas avoir une culture arabe. Et c’est vrai, malheureusement. Pour me rattraper j’ai lu beaucoup de contes soufis cette année. J’ai lu aussi sous ses conseils Le Langage des oiseaux de Atar. Elle m’incite beaucoup à lire ce genre de choses, et je le fais ; parce que Brigitte Fontaine est un maître, évidemment. Un maître, un modèle, un horizon. Ça, c’est quelque chose qui a changé ma vie à titre personnel : avoir rencontré Brigitte Fontaine. C’est probablement la rencontre la plus importante de ma vie.

En littérature non-dessinée je crois pouvoir dire que j’ai une assez solide culture classique parce que j’ai étudié les Lettres modernes en Sorbonne : de Chrétien de Troyes à Nathalie Sarraute, en passant par Paul Claudel ou Marie de France, j’ai lu et étudié la plupart des grands classiques de la littérature française. Quand j’étais adolescent, j’ai beaucoup lu pour mon goût personnel des choses comme Dino Buzzatti, Edgar Poe, Alfred Jarry, et bien sûr Baudelaire, Verlaine, Rimbaud. Et puis aussi Stefan Zweig, que j’aime toujours beaucoup pour Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, La confusion des sentiments ainsi que pour ses biographies, notamment Marie-Antoinette ou La guérison par l’esprit.

Antoine Torrens Uniquement des choses très nobles, pas franchement populaires, si ?

Benoît Mouchart Mais si. Je pourrai citer William Irish, James Hadley Chase, Peter Cheyney, Elliot Chaze, Francis Carco, Stanislas Lem, Patricia Highsmith ou Frédéric Dard que j’ai lus grâce à François Rivière. Dans ma vie j’ai eu la chance de rencontrer des gens un peu plus âgés que moi qui m’ont initié à une culture populaire qui n’est pas celle de ma génération. François Rivière m’a fait lire énormément de littérature anglo-saxonne et de littérature de genre. Grâce à lui j’ai lu également Henry James, Tennessee Williams et William S. Burroughs que j’aurais pu citer tout à l’heure. Il m’a aussi fait lire des livres comme Le Jeune homme, la Mort et le temps de Richard Matheson ou Le Cerveau du Nabab de Curt Siodmak, que je n’aurais pas lu tout seul. Il m’a incité à lire Bradbury bien sûr, mais aussi J. G. Ballard, qui a écrit Crash ! et L’Empire du soleil. François Rivière, c’est une rencontre très importante parce que c’est un ami.

Antoine Torrens Comment l’avez-vous rencontré ?

Benoît Mouchart Je l’ai rencontré quand je faisais de la radio avec Jean-Paul [Jennequin] et Martin-Pierre [Baudry], au moment où j’étais encore étudiant à la Sorbonne.

Antoine Torrens A ce propos, quel était le sujet de votre maîtrise de lettres modernes?

Benoît Mouchart Jean-Patrick Manchette. Mon mémoire est plus ou moins le livre que j’ai publié plus tard chez Séguier-Archimbaud5.

Antoine Torrens Est-ce que vous avez une idée sur la raison pour laquelle il y a si peu de recherche universitaire sur la bande dessinée?

Benoît Mouchart Parce que beaucoup de professeurs sont frileux: la plupart d’entre eux sont perpétuellement en quête de respectabilité pour eux-mêmes. Dans leur esprit, il est moins noble de se pencher sur des sujets comme la bande dessinée. C’est moins gratifiant que de parler de Stendhal – que j’adore évidemment par ailleurs. J’ai eu la chance d’avoir eu comme directeur de maîtrise Jean-Yves Tadié, qui est le plus grand spécialiste de Proust en France. Il n’a rien à prouver depuis longtemps puisque c’est vraiment une sommité, et il s’est beaucoup intéressé au roman populaire. Lui aussi c’est quelqu’un qui a beaucoup compté dans mes lectures.

Un de mes souvenirs forts avec Tadié est lié à la bande dessinée. En plein milieu de mon année de maîtrise, j’ai publié un livre un recueil d’entretiens avec Michel Greg aux éditions Dargaud6. Je n’en avais pas parlé avec ce professeur, avec qui je parlais pourtant souvent de littérature de genre. On parlait un peu de Proust, pas trop, mais surtout de littérature d’aventure, de littérature policière. En janvier, quelques mois avant que je ne lui remette mon mémoire, je lui ai donné mon livre, à la fin d’un entretien que nous avions tous les deux, et là il m’a dit en me montrant du doigt le bouquin: « Vous savez, le fait que vous veniez de publier un livre est beaucoup plus important pour votre avenir que votre maîtrise ». Ça a été un vrai choc pour moi parce que c’était sans doute un peu le contraire de ce que pensaient mes parents, même si ils étaient fiers que j’aie publié un livre.

Greg est aussi une rencontre importante dans ma vie. Greg m’a fait lire des tas de trucs. Milton Caniff, bien sûr, mais aussi Simenon. Pour moi, Simenon est un grand romancier, et je me fiche qu’il ne le soit pas aux yeux de tout le monde. C’est également grâce à Greg que j’ai également lu Sacha Guitry. Il m’a par ailleurs fait découvrir une foule de films que je n’aurais pas été forcément voir moi-même parce que ce n’étaient pas des choses réputées nobles. Sans cette rencontre, j’aurais peut-être aimé principalement des films genre Nouvelle vague ou Cassavetes (qui reste un de mes cinéastes préférés). Greg m’a prêté des cassettes de cinéastes français des années 1930 et des classiques hollywoodiens qui passent rarement à la cinémathèque… Grâce à lui, j’ai vu des films dialogués par Henri Jeanson ou réalisés par Julien Duvivier, des films de John Sturges ou de Sam Peckinpah… De ce côté-là aussi j’ai l’impression d’avoir une certaine culture populaire, une culture qui n’est pas exclusivement celle de ma génération. Brigitte Fontaine m’a quant à elle fait découvrir Yvette Guilbert, que je n’aurais peut-être pas découvert par moi-même et qui est une chanteuse incroyable, ou encore Julie Driscoll, Oum Kalsoum et Donovan. Je suis assez curieux et je suis intéressé par la culture des autres. Connaître les autres, c’est aussi connaître leur culture et ça compte beaucoup pour moi dans l’amitié. J’aime partager mes lectures, j’aime aller voir des films avec des amis, j’aime écouter de la musique religieusement avec des amis, quasiment en fermant les yeux… Je peux écouter des disques comme je lis un livre ou comme je regarde un film, avec la même concentration.

Antoine Torrens Sans rien faire d’autre, donc.

Benoît Mouchart Oui, et en fermant les yeux. Quand je suis invité chez Brigitte et Areski ou quand ils viennent chez moi, on parle beaucoup de la vie, de la mort et de toutes sortes de choses passionnantes, parfois tristes mais le plus souvent très drôles, et on écoute aussi souvent de la musique. Parfois on s’arrête tout naturellent de parler, et on écoute juste de la musique en fermant les yeux. Areski est aussi une rencontre importante ; j’ai parlé de Brigitte tout à l’heure, mais Areski compte aussi, pour d’autres choses. J’ai cette chance d’avoir gagné l’amitié de gens que j’admirais énormément et qui m’ont accordé un rapport d’égalité totale ; Brigitte, je peux l’envoyer chier si elle m’énerve, et d’ailleurs c’est ce qu’elle me demande : ne pas être son sujet, être son égal. Dieu merci !

Benoît Mouchart posant avec le Fauve d'Angoulême

Le Festival d’Angoulême

Antoine Torrens Dans les diverses interviews que vous pouvez donner, notamment au moment du Festival, on vous dit régulièrement des choses comme « Alors, la bande dessinée explose ces dernières années, c’est formidable… » et vous avez toujours l’air agacé quand on donne l’impression que la BD est née il y a dix ans.

Benoît Mouchart C’est drôle, Blutch a donné une interview il y a quelques semaines dans Chronic’art où il a exprimé exactement ce que je pense, c’est-à-dire que quand on relit des histoires dessinées par George Herriman, Milton Caniff, Hergé, Will Eisner, Franquin ou Jijé, il semble évident que ces grands artistes avaient déjà compris que la bande dessinée était une expression importante. Donc oui, c’est un peu agaçant parce que c’est comme si on était face à un phénomène de mode. J’aime la nouvelle bande dessinée, je suis heureux que des gens comme Sfar, Larcenet, Blain, Blutch, ou Trondheim aient la place qu’ils occupent aujourd’hui dans le paysage parce qu’ils la méritent. Mais quand même, soyons raisonnable, ce ne sont pas eux qui ont inventé la bande dessinée.

Antoine Torrens A votre avis, pourquoi tant de personnes ont l’impression que la bande dessinée vient de naître ?

Benoît Mouchart C’est une histoire de génération, on a toujours l’impression d’inventer l’eau chaude. Je m’applique ce reproche à moi-même. Par exemple, on a dit que les concerts de dessins étaient quelque chose de nouveau. C’est nouveau bien sûr, mais c’estune chose qui existait sous d’autres formes auparavant.

Antoine Torrens Sous quelles autres formes par exemple ?

Benoît Mouchart Winsor McCay donnait des spectacles où il dessinait en direct.

Antoine Torrens Avec de la musique ?

Benoît Mouchart Sans musique. Mais on n’invente jamais rien ; ou bien alors on invente comme on invente un trésor, on fait seulement ressortir des profondeurs de l’oubli des choses plus anciennes, que l’on époussette selon l’air du temps.

Antoine Torrens C’est très platonicien de dire ça ; mais on invente quand même, non ? L’étrier, le moulin, ce sont des choses qui n’existaient pas et qui sont apparues à un certain moment, non ?

Benoît Mouchart Dans les concerts de dessin, ce qui est nouveau, c’est qu’il s’agit toujours d’une séquence d’images : c’est donc une vraie bande dessinée. Une bande dessinée qui n’est pas imprimée, une bande dessinée qui est vivante.

C’est en discutant avec Zep et Areski qu’on a découvert, qu’on a créé ce concept. C’est vraiment une idée développée à trois, à partir d’une envie que je partageais avec Zep. L’une des premières exposition sur lesquelles j’aie travaillé en tant que directeur artistique était consacrée aux auteurs de l’atelier Sanzot, qui était un colectif de dessinateurs installés à Angoulême. L’une des volontés que j’ai exprimé pour cette exposition, dont je n’étais pas le commissaire, c’était que les artistes soient présents au sein de l’installation et qu’on les voie travailler. Or l’une des choses qu’on avait envie de montrer avec Zep, c’était justement la naissance du dessin ; j’ai toujours été fasciné par le jaillissement d’un dessin, j’adore Le Mystère Picasso de Clouzot7 et je suis toujours fasciné par le tracé de la main, que je trouve beau et mystérieux : il y a un vrai suspense, une étrange chorégraphie de la main qui dessine.

On avait confusément envie de ça et on a tourné autour de plusieurs idées. On avait pensé à un truc classique, avec un conteur et des dessins. Assez vite, j’ai dit à Zep que comme on était un festival de bande dessinée il était primordial que ce soit véritablement de la bande dessinée, et donc qu’on propose une séquence d’images. Donc on a proposé de faire dessiner en direct une séquence d’images. Ensuite, nous avons eu l’idée qu’il y ait de la musique aussi : comme il n’y avait plus de conteur dans le projet, on s’est dit que les gens allaient s’ennuyer si c’était silencieux.

Antoine Torrens Pourtant c’est ce que vous faites dans les rencontres dessinées, non ?

Benoît Mouchart Oui, mais c’est différent. Il n’y a pas de séquences dans les rencontres dessinées. Et souvent, dans ces rencontres-là, “le silence est atroce”. Enfin, un soir, alors que je dînais chez Brigitte et Areski, je raconte le projet, et je dis à Areski que je voudrais bien lui commander une musique playback. Et là, il me répond: « Oui, bien sûr, mais tu sais ce serait tellement mieux si on jouait en direct ! ». Ça a été un vrai déclic. Ce n’était plus la même histoire. C’est vraiment ça qui a amplifié la chose.

Antoine Torrens Les concerts de dessin, pourquoi ça marche alors qu’au départ on pourrait trouver que le principe est un peu artificiel ?

Benoît Mouchart Pourquoi ça marche? Les mystères de la synesthésie… Je ne sais pas. Je crois que ça fonctionne parce que c’est un travail d’équipe ; il n’y a pas un ego en avant, il y en a plusieurs… Ce qui est sûr, c’est qu’Areski ne met pas son égo en avant dans ce spectacle, et ses musiciens non plus. C’est une rencontre entre plusieurs personnalités, une synthèse de deux arts, voire de trois arts puisqu’il y a aussi la question de la projection – qui relie tout ça au cinéma. Et puis c’est en direct. Les gens, la plupart du temps, sortent de là en pensant que c’est improvisé. Tant mieux s’ils le croient, mais en vérité ça ne l’est pas du tout : ni la musique, ni le dessin, ni l’histoire évidemment ne sont improvisés.

Antoine Torrens Et donc qu’est-ce qu’il faut pour que ça marche ?

Benoît Mouchart Beaucoup de travail. Pour les concerts de dessin en tout cas ; pour les concerts illustrés, les spectacles, etc., c’est autre chose. Là, ça ne marche pas toujours, parce qu’il y a parfois des affrontements d’égos en puissance.

Antoine Torrens Mais ces choses-là sont plus improvisées, non ?

Benoît Mouchart Pas forcément. Par exemple Joann Sfar avait préparé chaque dessin pour son concert avec Thomas Fersen, il avait conçu un suspense… Rabaté avait absolument tout calibré pour son spectacle avec Yolande Moreau. Charles [Berberian] et Philippe [Dupuy] avaient tout conçu à l’avance : c’était une vraie performance ! Alors que Blutch était parti en impro totale pour Brigitte ; et puis cette année il a prévu complètement autre chose. En 2010, par exemple, il n’y a pas de spectacle du même type que les concerts dessinés parce que je ne voulais pas que ça devienne un système.

Antoine Torrens Pourquoi, puisque ça marche ?

Benoît Mouchart Je veux que ça corresponde à une rencontre, à un désir de partager un projet entre un dessinateur et un artiste d’une autre discipline.

Antoine Torrens Et là il n’y en avait pas ?

Benoît Mouchart Il y a eu des projets qui n’ont pas pu aboutir pour différentes raisons, donc je n’ai pas forcé la chose. Et c’était bien de se recentrer cette année sur les dessinateurs : Bilal, Blutch, Schuiten et Peeters.

Antoine Torrens Au départ ce n’était pas recentré sur le dessin ?

Benoît Mouchart La vérité, c’est que je n’ai pas envie qu’on devienne le festival de la chanson dessinée. Pour être honnête, dans la chanson française, il y a très peu d’artistes qui m’intéressent. J’aurais envie de faire un concert avec des artistes comme Emilie Simon, Jean-Claude Vannier, Christophe, Matthieu Chedid.. Mais je n’ai pas envie d’en faire avec certains autres.

A l'ombre de la ligne claire

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous pensez avoir apporté au Festival d’Angoulême ?

Benoît Mouchart Je vais dire quelque chose d’horriblement prétentieux : une vision.

Antoine Torrens Ca veut dire qu’avant vous il n’y avait pas de vision ?

Benoît Mouchart C’est juste qu’avant moi il n’y avait pas de directeur artistique. Donc la programmation était plus ou moins conçue par le Grand Prix.

Plus concrètement, j’espère avoir réussi à susciter des dialogues entre la bande dessinée et d’autres arts, des dialogues sans complexe. Ce choix ne signifie pas que « la BD ne se suffit pas à elle-même ». J’ai simplement tenté de lui apporter de nouveaux publics, de l’ouvrir aussi à quelque chose de moins incestueux, de moins recentré sur elle-même, pour que des gens, par curiosité pour tel chanteur ou tel comédien, assistent à un spectacle et découvrent à cette occasion un artiste de bande dessinée. C’est ce qui s’est passé : je pense qu’il y a beaucoup de spectateurs qui ont découvert Rabaté grâce au spectacle de Yolande Moreau, pendant le festival. Ou Blutch grâce à Brigitte Fontaine. Et vice versa.

Antoine Torrens Est-ce qu’avant vous, Benoît Mouchart, il y avait une aussi grande importance du côté international dans le Festival d’Angoulême ?

Benoît Mouchart L’esprit international, je ne peux vraiment pas le revendiquer parce qu’il était là dès la première édition.

Antoine Torrens Pratt ?

Benoît Mouchart Oui, et Harvey Kurtzman. Mais on a consolidé cette ouverture au monde, en la rendant plus institutionnelle. Par exemple l’exposition consacrée à la bande dessinée russe en 2010 bénéficie du label “Cultures France”.

Antoine Torrens Est-ce que je peux vous demander une sorte de prophétie ? Avez vous en tête des auteurs qui ne sont pas encore connus et qui à votre avis vont le devenir ?

Benoît Mouchart Je ne suis pas doué pour établir des listes, tout se bouscule dans ma tête et il n’y a rien qui vient. Il y a un auteur que j’aime assez et je ne comprends pas pourquoi il n’est pas mieux traduit en France : Kevin Huizenga (qui publie chez Vertige Graphic). Peut-être n’a-t-il pas encore réalisé son grand oeuvre, mais en tout cas il m’intéresse. Je pense aussi que Mathieu Bonhomme est énorme, c’est un très grand auteur réaliste, très expressif, vraiment un de mes auteurs préférés actuellement. Mais il est déjà un peu connu. Riad Sattouf, c’est quelqu’un qui va être énorme à l’avenir. Parmi les plus jeunes… Il y a des auteurs filles à suivre aussi comme Lisa Mandel, qui a encore tout un tas de choses à dire, qui vont venir. J’ai bien aimé HP , c’est dommage que ce livre ne soit pas dans la sélection. J’aime aussi le travail de Lucie Durbiano, entre autres. Chez les plus jeunes, il faut suivre Vincent Perriot. Et Bastien Vivès, évidemment !

Antoine Torrens Les blogs BD semblent très absents du Festival d’Angoulême. C’est une fausse impression ?

Benoît Mouchart Complètement fausse. On a même un prix dédié aux blogs.

Antoine Torrens Est-ce que vous suivez ça d’aussi près que les albums, l’édition papier ?

Benoît Mouchart Non, malheureusement je ne peux pas. Et je dois dire, sincèrement et avec toutes les précautions d’usage, que ce n’est pas parce qu’une bande dessinée est autobiographique qu’elle m’intéresse.

Antoine Torrens Les blogs BD sont trop autobiographiques pour vous ?

Benoît Mouchart Beaucoup de choses sont trop narcissiques pour moi. J’aime l’imagination, quand même. L’imagination au pouvoir.

Antoine Torrens De la fiction ?

Benoît Mouchart Non, j’aime aussi des gens qui racontent leur vie. En chanson j’aime Barbara, j’aime Brel. J’aime aussi Proust. Ou Céline.

Antoine Torrens Donc ne pas faire d’autobiographique pour l’autobiographique?

Benoît Mouchart Fabrice Neaud, pour moi, c’est de l’autobiographie mais c’est vraiment autre chose, je ne sais pas. C’est politique. C’est une des oeuvres les plus importantes de la bande dessinée contemporaine, Fabrice Neaud. Il invente aussi des choses visuellement, il fabrique des métaphores visuelles. Il va commencer une nouvelle série dont j’ai vu les premières pages et j’ai été scié. Je lui souhaite d’avoir du succès, il le mérite, c’est un grand auteur. Mais ce n’est plus un petit jeune. Blutch aussi c’est énorme et il n’a pas encore le succès qu’il mérite, en termes de ventes.

Antoine Torrens On dit beaucoup ces derniers temps que la BD a un pris la grosse tête, que l’espèce d’innocence humble qu’il y avait il y a cinq ou dix ans a un peu disparu, que les auteurs deviennent des stars… Est-ce que c’est vrai ou pas ?

Benoît Mouchart Oui c’est vrai. Il y a dix ans c’était un monde beaucoup moins exposé, notamment médiatiquement. Il y a désormais de très fortes personnalités. Et des rivalités parfois violentes.

En fait, le cliché de l’auteur de bandes dessinées sympa et rigolo est complètement ridicule. Il y a des auteurs de bande dessinée très attachants et d’autres qui sont très pénibles. J’ai rencontré beaucoup de musiciens, et pas des moindres – j’ai parlé des soirées entières avec Bashung, Christophe, Jean-Claude Vannier, Lee Ranaldo, Jane Birkin, et bien sûr Brigitte Fontaine, et ce sont des gens hyper symples, hyper gentils, hyper modestes, qui vous posent des questions sur vous, s’intéressent à ce que vous leur dites, etc. Il y a beaucoup d’auteurs de bande dessinée qui ont du mal à s’intéresser à autre chose qu’à eux-mêmes. Mon ami José-Louis Bocquet dit parfois trivialement que la littérature est un truc de dragueurs alors que la bande dessinée reste une discipline de branleur. Il a sans doute raison… Peu d’auteurs de bande dessinée se vantent de séduire les filles (ou les mecs) grâce à leurs livres…

Antoine Torrens D’ailleurs beaucoup d’auteurs de BD se plaignent de cette carence…

Benoît Mouchart Je ne sais pas dans quelle mesure c’est vrai. Mais, pendant longtemps, les auteurs de BD n’étaient pas médiatiques parce qu’ils n’étaient pas bons en public, c’étaient des ours qu’on faisait sortir de leur atelier en leur disant « Allez, parle ! ». Aujourd’hui, il y a beaucoup d’auteurs pas très à l’aise à l’oral qui en veulent beaucoup à Bilal, Satrapi ou Sfar parce que ces artistes-là savent aussi se vendre médiatiquement. Ça suscite des jalousies…

Antoine Torrens Alors que c’est aussi grâce à eux que la bande dessinée a conquis la place qui est la sienne aujourd’hui, non ?

Benoît Mouchart Bien sûr, c’est en grande partie grâce à eux. Mais je prétends que c’est aussi grâce au Festival d’Angoulême. Le statut de la bande dessinée en France doit beaucoup, je le pense vraiment, au Festival. Il n’y a pas d’équivalent dans le monde d’un événement dédié à la bande dessinée qui soit à ce point un maronnier médiatique, c’est-à-dire quelque chose qui revient tous les ans et dont les journalistes sont obligés de parler. Ça n’existe pas ailleurs dans le monde, et même le Comicon de San Diego aux Etats Unis est incomparable. En France, Angoulême oblige chaque année les journalistes à parler de bande dessinée au moins pendant cette période-là ; et à en parler un peu intelligemment. Donc à mon avis ça a beaucoup aidé à la reconnaissance de cet art qu’on dit neuvième…

De toute façon le principe des expositions, des spectacles, des rencontres, c’est à Angoulême que ça s’est développé. Ce n’est pas à Angoulême que ce mouvement est né, mais c’est à Angoulême qu’il s’est consolidé, développé et enrichi.

Antoine Torrens Encore une prophétie : à votre avis, comment va évoluer la bande dessinée dans les prochaines années ?

Benoît Mouchart Euh… la décroissance ?

Antoine Torrens La décroissance… vous voulez dire moins de quantité et plus de qualité ?

Benoît Mouchart C’est utopique de dire ça, donc pas très réaliste, mais c’est ce que je souhaiterais idéalement. Je ne suis pas un prophète et je ne lis pas dans le marc de café. Mais je ne suis pas si sûr que les choses soient gagnées et que la bande dessinée soit assise pour toujours dans sa légitimité culturelle. Il y a encore beaucoup de boulot.

Antoine Torrens Vous avez moins de 35 ans, vous avez écrit un certain nombre de livres, monté des expositions, organisé des événements, récemment vous avez tourné un documentaire. Qu’est-ce qui vous reste pour toutes les années à venir ?

Benoît Mouchart Plus de documentaires : j’ai vraiment beaucoup aimé cette expérience. Je me suis rendu compte que j’adore la réalisation et le montage ; j’ai adoré travailler avec Thomas Bartel et Sophie Creusot sur le film Brigitte Fontaine n’est pas folle !. Et puis ça m’a permis de renouer avec ce que je sais sans doute faire le mieux : parler avec les gens et leur permettre de dire ce qu’ils ont à dire. Si j’ai une qualité, c’est peut-être celle d’aider les gens à s’exprimer artistiquement. Avec Brigitte Fontaine aussi, d’ailleurs. Je la motive parfois à écrire des textes, et je l’aide à choisir des chansons pour ses concerts.

Antoine Torrens C’est très important pour vous de participer à la naissance des oeuvres ?

Benoît Mouchart Disons que si on le peut, cela peut être stimulant d’apporter modestement un peu de combustible à un artiste qu’on aime. Par exemple, pour les chansons “Soufi” ou “Harem”, je me suis juste contenté de dire un soir à Brigitte : « Pourquoi tu n’écrirais pas sur les soufis et sur les harems ? ”. Le lendemain, elle me téléphonait pour me lire les deux textes au téléphone. Dans mon travail pour le Festival, j’ai également ce rôle d’accoucheur.

Antoine Torrens Être un aiguillon en somme ?

Benoît Mouchart Oui, ça, je sais le faire, et je sais aussi le faire avec des dessinateurs.

Antoine Torrens Je vous ai demandé tout à l’heure ce que vous aviez apporté au Festival. Dans l’autre sens, qu’est-ce que le Festival vous a apporté ?

Benoît Mouchart Beaucoup de rencontres, et aussi beaucoup de voyages. Grâce au Festival, je suis allé en Chine, en Finlande, en Grèce, au Portugal, aux Etats-Unis… Cela restera pour moi une vraie ouverture au monde. J’ai été reçu dans tous ces pays avec beaucoup de gentillesse par mes homologues étrangers. Les voyages professionnels sont toujours très intéressant : on rencontre des gens, on travaille avec eux, c’est passionnant, vraiment. La plupart du temps, je précise que ce n’était pas le Festival d’Angoulême qui me payait ces voyages : j’étais très officiellement invité par des organisateurs de colloques ou de festivals parce que j’étais le directeur artistique d’Angoulême.

Le Festival m’a apporté ça ; ça et malheureusement aussi beaucoup d’angoisse.

Antoine Torrens Plus que dans ce que vous faisiez avant ?

Benoît Mouchart Oui. Et en même temps ça m’a donné ce que Greg appelait un “cuir de rhinocéros” ; j’ai le cuir un peu plus tanné aujourd’hui. Il y a 7 ans, quand j’ai commencé à travailler pour le Festival, j’étais beaucoup plus sensible et sans doute trop attentif à ce qu’on pensait de moi. Maintenant, je ne dirais pas que je m’en fiche, mais je sais qui je suis. Je ne suis plus vraiment intéressé par le jugement des autres : c’est leur problème, pas le mien ! Ce genre de détachement, qui est assez nouveau pour moi, me vient un peu de mes conversations à bâtons rompus avec Areski Belkacem, qui est un sage à sa façon.

Antoine Torrens L’article que Charente Libre vous a consacré mentionnait l’éventualité que vous travailliez un jour dans l’édition et cela paraîtrait assez logique. Est-ce que c’est une perspective pour vous ou bien est-ce que c’est quelque chose qui ne vous intéresse pas ?

Benoît Mouchart On me l’a proposé, plusieurs fois. Ça pourrait m’intéresser, mais pas tout de suite. Être directeur littéraire, ça me permettrait aussi d’être un aiguillon. Mais pour l’instant je suis toujours attaché au FIBD.

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous diriez à votre successeur, ou à vous même pour les années à venir ? De bonnes résolutions ou de bons conseils, selon le point de vue.

Benoît Mouchart Le seul conseil que je donnerais, ce serait de se désensibiliser, de prendre tout ça comme un job – ce que je n’ai jamais réussi à faire.

Antoine Torrens Un job ce n’est pas pareil qu’un travail ?

Benoît Mouchart Ce n’est pas pareil qu’une passion.

Antoine Torrens Qu’est-ce que vous feriez différemment si c’était à refaire ? Vous ne le referiez pas ?

Benoît Mouchart Si, je le referais. Mais, dans les rapports humains, je mettrais plus de distance ; au début je n’ai pas mis assez de distance dans mes relations professionnelles. Mais à part ça, je referais à peu près la même chose… En essayant d’être meilleur, évidemment ! J’aime beaucoup le film Un jour sans fin, où Bill Murray revit éternellement la même journée et finit par devenir meilleur pour séduire Andie MacDowell, mais je n’aimerais pas vivre ce genre de situation ! Le bouddhisme ne m’attire pas du tout ! Comme dit Brigitte Fontaine: “Il était une fois mais pas deux”…

Lire la suite

Interview de Yannick Lejeune, deuxième partie

Et sans plus attendre, la suite de l’interview de Yannick Lejeune qui commence à cet endroit. Il parle cette fois de l’avenir du festiblog et de la blogosphère, enfin, il explique mieux que je ne saurais le faire c’est qu’est réellement la bd numérique et ce qu’elle pourrait être…

Est-ce que vous avez envie d’étendre le festiblog à d’autres activités ?
Oui et non. Cette année, on a invité 200 personnes, et c’est une logistique extrêmement lourde. On essaye d’organiser les plans de table pour que les auteurs soient à côté de gens qu’ils aiment bien ou des gens avec qui ils peuvent créer une relation. Le fait d’organiser autre chose, ça risquerait de dépouiller les blogueurs pas très connus des lecteurs venus pour les dédicaces : après avoir attendu longtemps pour Maliki, ils vont voir l’auteur qui est à côté s’il a moins de monde, ça permet à l’un de profiter de l’attractivité de l’autre. Et puis, dans l’espace public on ne peut pas tout faire.
Cette année, vous aviez quand même quelques animations…
Oui, notamment la table ronde de la veille, mais là-dessus nous nous posons pas mal de question. Je ne veux pas des tables rondes trop professionnelles, d’auteurs de bd qui parlent de bd entre eux. J’aurais peur qu’il y en ait un ou deux qui se prennent au sérieux. Cette année, elle avait lieu dans E-art sup, l’école partenaire du festiblog, pour nourrir la réflexion des élèves. On avait la fresque, le festifight club qui fonctionne très bien. On a toujours une expo qu’on affiche… Ensuite, il y a l’aspect communautaire qui prend le relais : les auteurs se retrouvent pour pique-niquer, un auteur emmène ses lecteurs dans le parc pour discuter… Je préfère que ça reste des initiatives d’auteurs. Mon but est de créer des rencontres entre des auteurs et des auteurs, des auteurs et des lecteurs, des lecteurs et des lecteurs pour passer une bonne après-midi. Dans une dédicace, il y a la magie de se voir faire un dessin devant soi. On essaye de reproduire le lien désargenté et interactif entre l’auteur et le lecteur. Certaines filles, pardon mesdemoiselles, qui lisent Pénélope gloussent autant sur son blog que quand elles la voient en vrai ! On aime bien montrer qu’internet, ce n’est pas quelque chose qui déshumanisent les relations, mais qui les multiplient.

En 2013, si le festiblog continue jusque-là, on devrait pouvoir investir dans le 3e le marché du Carreau de Temple, une espèce d’immense bâtisse qui est en train d’être refaite. On aura moins de problème et on réfléchira à des animations. Mais je veux que ça reste des animations participatives. On a quelques idées pour qu’il se passe quelque chose en plus tous les ans. Déjà, le renouvellement des auteurs est une bonne chose.

Tu parlais de 2013… Ça veut dire que tu n’as pas fixé de date limite.

Tous les ans, juste après, je me disais « plus jamais! » pour des raisons d’épuisement. Cette année, ça c’est vraiment bien passé, on a eu une vague d’amour en retour du public et des auteurs, du coup on est bien partis pour l’année prochaine. Après, on verra… On se dit que, si un jour la bd numérique devient un truc majeur, que le format blog s’épuise, on arrêtera. Si on arrête, on vérifiera que si c’est repris par quelqu’un, ce sera quelqu’un dans le même état d’esprit de nous : des gens qui ne s’en serviront pas pour en faire une plate-forme égotiste de promotion de leur être. Par exemple, des gens comme Matt de blogsbd.fr. Ce mec fournit du trafic aux blogueurs, cela ne lui rapporte rien, et il se fait insulter par les auteurs qui se plaignent quand ils n’y sont pas. Il fait ça, parce qu’il veut montrer des choses qui lui plaisent. Je ne lui en ai jamais parlé, mais si on arrête, ce serait un très bon repreneur du festiblog. Dans tous les cas, on en est pas là !

Comment vois-tu l’avenir des blogs bd ?
Un blog, c’est un moyen de diffusion et de communication, comme le téléphone. Petit à petit, ça sera moins original d’être blogueur. On voit d’ailleurs des auteurs de BD plus classiques se diriger vers le blog. Ce qui m’intéresse, c’est les blogs dans lesquels on utilise le media pour créer.
Sur l’avenir des blogs, il y a une discussion de fonds par rapport à leur disparition au profit des réseaux sociaux. C’est non négligeable. Avant, sur certains blogs, on se contentait de transmettre des liens. J’avais moi-même un linkblog : un blog où je disais juste : « Vous devriez aller voir ça ». Maintenant, je fais ça sur Facebook. Demain, pour certains auteurs, publier les planches sur Facebook rapportera plus de commentaires que sur un blog. On est dans une réflexion qui dit : « Comment je peux être à un maximum d’endroits en même temps tout en conservant un endroit sur internet où je suis chez moi ? ». Chez Facebook, on est pas chez soi, on est chez Facebook. Et puis on sait exactement à qui on parle alors que sur son blog, on peut être découvert par des inconnus.

Et pour ce qui est de la BD numérique ?
La question de la bd numérique serait un sujet à elle toute seule. Qu’est-ce que c’est la bd numérique ? Est-ce tout ce qui est lié à la BD et encodé avec des zéros et des uns ? Si demain on publie une planche de bd maquettée sur un blog, est-ce qu’on fait de la bd numérique ? Oui, parce que c’est du jpeg. Est-ce qu’on apporte quelque chose à l’utilisation du numérique ? Pas sûr. Il y a plein de formes de bd numérique. Je pense à Jean-Michel Ponzio qui fait des modèles 3D de ses décors pour placer ses personnages, il fait aussi de la bd numérique.
Les gens ont tendance à mélanger l’outil, la bd faite avec des outils numériques qui aujourd’hui a de moins en moins de sens puisque tout le monde y vient ; la plate-forme de diffusion, diffuser par des canaux numériques et le support de lecture, avec les bd sur téléphone qui sont de la bd numérique.
Une BD sur téléphone ne serait donc pas forcément une BD numérique ?
La plupart des bd sur support numérique ne sont pas des bd prévues pour le numérique mais des BD diffusées par voie numérique. Le dernier Achille Talon sur iPhone, c’est Achille Talon qui a été charcuté pour rentrer sur un petit écran. Il faut se poser la question : qu’est-ce que le numérique peut apporter à la BD ? Par exemple, Raphael B fait un truc intéressant : des pages verticales qui coulent bien plus loin que celles auxquelles nous sommes habituées en papier. Il s’abstrait du support papier et utilise quelque chose que seul un écran peut permettre. Options, c’est la même chose, c’est un webcomics qui utilise le défilement de l’écran pour ajouter à la narration. Il y a ensuite la question de la bd numérique en tant que bd interactive qui va utiliser le lecteur ; là, il n’y a pas de grands efforts visibles mais je pense qu’on y viendra. Il y a la bd multimédia où on ajoute des sons. Je pense qu’aujourd’hui, ça ne peut venir que des auteurs. Je travaille sur des projets d’auteurs qui ne peuvent se faire qu’en utilisant des moyens numériques. On est vraiment dans la BD : des séquences qui prennent du sens, mais pas dans le dessin animé mal fait. La bd numérique, c’est beaucoup de gens qui en parlent et pas assez qui en font. Elle doit naître d’une envie des auteurs et la maison d’édition est là pour être le facilitateur. On ne peut pas demander à un auteur d’être développeur, marketeur, mettre en place un contrat… J’attends de voir des auteurs qui ont envie de se lancer, heureusement il y en a plein qui ont juste besoin d’une petite impulsion.
Qu’est-ce qui bloque ?
Il faut être honnête, il n’y a pas de business model éprouvé. Par exemple, pour les bd sur iPhone, il y a 30% qui part à Apple. Ensuite, 35% part à la personne qui a fait le développement de la bd. Ensuite, il y a la part de l’auteur et de l’éditeur qui doit payer le marketing, éventuellement qui a investi dans la partie technique… Personne ne gagne d’argent à part Apple. Ce n’est pas vraiment intéressant, sauf pour quelqu’un qui veut faire une expérimentation. On est dans cette problématique-là : des auteurs qui veulent bien apporter quelque chose mais être payé, et des éditeurs qui ne vont rien gagner et ne veulent pas faire le projet. Comme le marché n’existe pas, à moins de trouver des mécènes, c’est compliqué à financer. Heureusement, il y a des moyens de financement liés à ce qui est multimédia. C’est comme ça que s’est fait Bludzee, par des aides à la recherche multimédia. Comme ça, Trondheim touche un peu d’argent, et Aquafadas peut financer. On manque d’auteurs comme Lewis. Oui, il vit bien, mais on manque d’auteur qui disent : je vais défricher, prendre des risques, peut-être me planter mais j’aurai avancé d’un pas. Il s’est fait beaucoup secouer, mais lui, au moins, il l’a fait.

Quelle est la situation aux Etats-Unis et au Japon, par exemple ?
C’est très différent. Au Japon, la bd est souvent vue comme jetable, cette notion est plus applicable au numérique qui a un coté immatériel. Cependant, aux dires des éditeurs locaux, ce n’est pas non plus la ruée vers le numérique.
Aux Etats-Unis, on est dans une approche différente. Le comics a vécu une période de crise assez forte. Il s’était centré sur des réseaux liés à des boutiques spécialisées. Or, on le voit bien, Zep vend beaucoup plus à Carrefour que chez Album parce qu’il y a plus de gens qui passe par les grandes surfaces. Aux Etats-Unis, il faut être chez Barnes & Nobbles. Parallèlement l’arrivée du manga supporté par le dessin animé, Dragon Ball, Naruto, Pokemon a obligé les éditeurs à repenser leur rapport aux écrans notamment en lançant leurs propres dessins animés Batman ou X-Men. Du coup, ils ne pensent pas la BD comme nous.
En plus de cela, leur grosse différence, c’est que les comics, c’est un épisode tous les mois. Si je prends X-Men, on a fêté le 500e exemplaire de la série principale. Il y a X-men, X-Factor, Génération X, et, finalement, ça fait près de 3000 numéros. C’est ingérable en fond, donc ils ont compris qu’il vaut mieux faire des recueils, avec une couverture cartonnée. Puis ils ont tous numérisés et tout mis en ligne, par exemple chez Marvel, avec un abonnement « all you can eat » pour dix dollars, rentable parce qu’il y a un important volume. C’est plus simple aussi parce que les personnages n’appartiennent pas aux auteurs et qu’il n’y a pas de droits à gêrer. C’est plus simple de vendre un catalogue « à la louche » quand on a rien à verser aux auteurs et qu’on a plusieurs dizaines de milliers de numéros à offrir.
Et pourtant les Américains ont beau être 5 fois plus que nous, les ventes de nos best-sellers BD les feraient rêver.
Existe-t-il l’équivalent du Festiblog aux US ?
Aux Etats-Unis, le Webcomics week-end s’est créé l’année dernière et je suis super jaloux de leur nom. Pour l’instant, c’est plus petit, mais ils vont grandir. Je pense qu’on va les contacter pour faire des échanges d’auteurs. On va essayer l’année prochaine, mais avec le billet d’avion d’un auteur américain, on peut faire venir dix auteurs français. Mais on y songe, on aimerait bien faire venir Zach Weiner, Scott McCloud, pourquoi pas !

Interview de Yannick Lejeune, organisateur du Festiblog

Yannick Lejeune a fort sympathiquement accepté d’être interviewé pour Phylacterium afin de parler du festiblog (festival des blogs bd et du webcomics qui a lieu depuis 2005 fin septembre et permet aux dessinateurs de blogs de rencontrer leur lectorat) et de sa vision de l’univers des blogs bd et de la bd numérique. L’occasion de nourrir la réflexion que je mène ici sur ces sujets à travers un des acteurs de l’animation de la blogosphère bd.
Je posterais cette longue interview, réalisée le 6 novembre 2009, en deux parties. Dans cette première partie, Yannick évoque son parcours personnel et la rude organisation du festiblog. Il donne sa vision d’une communauté des blogueurs marquée par la diversité.

Quelques liens utiles :
Mon article sur la communauté des blogueurs
Site du festiblog
Blog de Yannick Lejeune
Une autre interview de Yannick Lejeune sur le comptoir de la bd, où il donne son avis sur la bd numérique

Pour commencer, peux-tu présenter rapidement ton parcours avant le Festiblog ?
Rapidement, ça va être difficile parce que je n’y suis pas venu de manière très directe. A la base, j’ai une formation d’ingénieur en informatique avec une spécialisation en Sciences Cognitives. Après quelques expériences de consulting, j’ai dirigé un laboratoire de Recherche et Développement qui regroupait une armée de petits génies. J’ai fait ça 6 ans avant d’avoir envie de changement, j’ai obtenu un Master de Recherche en Sciences de Gestion et j’ai changé de métier. Je suis aujourd’hui Directeur Internet pour le groupe IONIS ce qui me permet de mêler informatique et marketing, c’est dans ce cadre que j’ai repéré le phénomène des blogs.
Comment en es-tu venu à la Bande Dessinée ?
D’abord par le journalisme. J’avais commencé à écrire des bouquins d’informatique ce qui m’a valu d’être contacté par le groupe Posse Presse pour écrire dans des magazines comme PC Team ou Linux Mag. Cela ne s’est pas fait mais j’ai fini par devenir le « monsieur comics » de leur magazine de BD qui s’appelait Bédéka, [paru de 2004 à 2005].
A cette époque, en BD, je ne connaissais que les grands classiques, Les Schroumpfs, Astérix, Franquin… A 12 ans un ami de mes parents m’avait fait connaître Gotlib, Reiser et quelques auteurs Metal Hurlant. Par la suite, j’étais tombé dans le comics et j’avais arrêté la BD franco-belge. Je suis un gros collectionneur des X-men, j’ai à peu près lu tout ce qui s’est fait en X-Men depuis 1963. En travaillant à Bédéka, le rédacteur en chef m’a refait une culture de BD. J’ai pu découvrir des choses qui, aujourd’hui, me paraissent évidentes, Trondheim, Sfar, Larcenet, Les Stryges, Lanfeust… Je me suis mis à écrire dans ce magazine et, par la suite, j’ai pu passer quelques moment privilégiés à interviewer mes idoles, notamment Gotlib et Alan Moore.
C’est en mêlant mon amour des nouvelles technologies et des blogs qu’est né le Festiblog.
Depuis juillet, je suis directeur de collection chez Delcourt. Je travaille sur des projets papier, mais ma grande mission est surtout le développement de la Bd numérique.
Comment en es-tu arrivé à ce poste de directeur de collection chez Delcourt ?
Il y a deux choses.
Je pense que le festiblog a joué. Dans Bédéka et d’autres magazines dans lesquels j’ai pu écrire comme DBD et Bulldozer, j’avais tendance à dire « Hé, il se passe un truc sur internet. Internet permet de s’abstraire des formats, de viser un lectorat qui n’est pas le lectorat classique et de jouer sur l’interactivité entre le lecteur et l’auteur. ». A l’époque, en 2004, il y avait déjà un grand nom qui avait dit ça mieux que moi, Scott McCloud, quand il avait sorti Reinventing comics. Moi quand je le disais, tout le monde s’en foutait jusqu’à ce que j’organise le festiblog. 7000 personnes qui viennent pour voir des auteurs non publiés, ça a interpellé un certain nombre d’éditeurs.
L’autre point, c’est Angoulême. On m’a demandé d’intervenir dans une conférence professionnelle sur la BD numérique. Là, ça m’a permis de dévoiler à l’univers de la BD un autre pendant de ce que je savais faire : la partie technique et business que je pratique dans mon activité principale. Discuter des API, du développement sur Facebook, de la mise en ligne sur une console de jeu, c’est des problématiques techniques que je connais. Dans la salle, il y avait un certain nombre d’éditeurs et plusieurs se sont mis en contact avec moi.

Delcourt était une maison d’édition que je connaissais bien. Les attachées de presse de chez Delcourt sont efficaces et c’est un endroit où j’avais des amis comme Thierry Mornet qui s’occupe de la branche comics. Quand Guy Delcourt et François Capuron m’ont contacté, ils l’ont fait de manière très cadrée : ils ne m’ont pas dit comme certains « On y comprend rien à la bd numérique, fais ce que tu veux. », ce qui aurait été pour moi très stressant, ils m’ont dit « Voilà ce qu’est la maison d’édition Delcourt, on sait qu’il y a un truc qui se passe, on a commencé à y réfléchir, est-ce que tu veux partager avec nous cette réflexion ? ». Il y a eu un vrai échange qui m’a amené à leur faire un certain nombre de propositions. On a mis du temps à tomber d’accord, pas parce qu’il y avait divergences ou négociation mais parce qu’on essayait d’avoir une vision commune, solide et réaliste. J’ai signé en juillet mon contrat.

Par ton intérêt pour les comics, est-ce que tu lisais les webcomics américains avant les blogsbd français ?
J’ai découvert les webcomics assez tard, encore aujourd’hui je n’en lis pas beaucoup. Je vais lire Saturday morning breakfast, Ctrl-Alt-Del, un truc bien geek, ou PHD Comics. Il y en a une dizaine dans ma liste de flux parce que beaucoup m’ont déçu sur le long terme.

Comment avais-tu pris connaissance du travail de Scott McCloud ?

Par mon boulot dans les nouvelles technologies. On s’intéressait à ce qui concernait les nouveaux modes de diffusion. Le travail de Scott McCloud, c’est comme ça que je l’ai abordé, par Reiventing Comics. Il parlait d’internet et ça connectait plusieurs de mes passions. C’est par la suite que j’ai lu L’art invisible et Making Comics.

Comment te définirais-tu comme lecteur de blogbd ?

J’ai 700 blogs dans mon lecteur de flux. Blogs High-tech, blogs marketing, blogs bd et le reste. Je dois avoir 250 blogs bd et blogs d’illustrations, je ne les lis pas, je les scanne : je fais défiler ça rapidement et je m’arrête sur les trucs qui m’interpellent. Il y a très peu de blogs que je suis de manière quotidienne. Ce sont les blogs de mes potes : Pénélope, Wandrille, Turalo, Nancy Peña, Boulet, les gens avec qui j’ai des rapports réguliers, pour savoir ce qu’ils racontent.
Heureusement, en parrallèle, il y a mon acolyte du festiblog qui lit beaucoup d’autre chose. On n’a pas forcément les mêmes goûts donc on se refile les bonnes adresses.

Comment as-tu commencé à lire les blogs BD ?

J’ai commencé les blogs bd par les blogs de Cha et de Laurel, assez classiques. C’était l’époque où les fans de Cha et Laurel s’entretuaient par commentaires interposés pour défendre leur égérie. Je me suis dit : « Il y a des centaines de personnes en train de s’insulter alors que dans les blogs les plus connus comme le blog de Loïc Le Meur, il n’y a jamais autant de monde. Il se passe quelque chose dans la bd, le côté proximité est intéressant. » C’est de là qu’est née l’idée du festiblog : « ces gens qui se parlent sur internet, si on les faisait se rencontrer une bonne fois ? ». A la base, c’était une rencontre très simple, on a mis dessus le mot « festival » pour que les gens comprennent ce que c’était parce que les notions de blogs et d’IRl étaient inconnues à l’époque. Je ne voulais pas réserver l’évènement à quelques experts…

On en vient justement au festiblog. Quel était le but exact du projet ?
Le but était de se faire rencontrer les lecteurs et les blogueurs tout en promouvant la création en ligne. C’était destiné aux fans inconditionnels et aux gens qui ne savaient pas ce que c’était. Je me suis dit, il faut trouver un lieu où il y a des lecteurs de BD papier : on a démarré à Album Bercy. On va mettre cinq blogueurs autour d’une table qui vont faire ce qu’ils font sur un blog : dessiner gratuitement et offrir ce dessin. En échange, il y aura des gens qui vont venir voir leurs dessins et ils vont avoir des commentaires en vrai. Je suis allé voir quelques « stars », par exemple, Boulet, qui m’a présenté Libon, Capucine, Goretta, Ak… Par le bouche à oreille, petit à petit, ça s’est enrichi.
Le 1er aout, j’ai annoncé « on va faire un festiblog » et je suis parti en vacances. Quand je suis revenu, j’avais 240 mails de gens qui m’écrivaient pour postuler ! Je n’avais pas d’argent, de sponsor, je voulais faire une rencontre avec cinq potes et des blogueurs. J’ai dit aux blogueurs : si vous êtes capables de venir par vos propres moyens, je vous mets des tables et des chaises. 40 auteurs sont venus !
Le festiblog est un cas d’école qui m’hallucine toujours : annoncé le premier août 2005 avec une première édition le 11 septembre, soit un mois et demi après, on a eu presque 1500 personnes. Et ça, pour avoir organisé d’autres trucs dans ma vie, c’est un miracle, le miracle du bouche-à-oreille sur le web.

Les autres années, on a voulu trouver des sponsors pour nourrir les auteurs, leur payer des billets de train, acheter des tentes. Et, tous les ans, trouve des sponsors. On organise ça à deux tout au long de l’année avec Mike (http://www.pastroplesboules.com/). On essaye que ce soit à la bonne franquette, mais carré. On veut que les auteurs soient dans un truc bien organisé, sérieux mais pas trop et que les gens soient heureux.

Ce qui n’était pas prévu c’est que les blogueurs investissent autant le festiblog et organisent des choses en parrallèle…
Non. Je suis d’Avignon et je sais que dans tout grand festival, il y a un festival off. J’essaye d’y voir ce qui est flatteur. On essaye de canaliser ça, parce qu’on est sur l’espace public et on ne peut pas faire une grande beuverie, un feu d’artifice… Tous les ans, on demande aux gens qui organisent d’autres trucs de nous prévenir, pour les conditions de sécurité. Cette année, il y avait 800 personnes dans le parc qui faisaient des dédicaces et discutaient. Ce qu’on ne pourrait pas faire dans un festival payant, dans un lieu fermé. C’est l’avantage quand il fait beau, le jour où il y aura un déluge, les gens trouveront ça moins sympa.

C’était clair pour toi que le festiblog se démarquait des autres festivals de BD ?

Non mais on essaye de ne pas être comme les autres, pas par « prétention » mais parce que des festivals de BD plus classiques, il y en a déjà plein des biens, ne serait-ce qu’à Paris. Au festiblog, les gens viennent probablement plus pour la rencontre que dans une démarche collectionneuse. Je n’ai pas vu de dessin du festiblog revendu sur ebay jusqu’à présent. La moitié des auteurs invités n’ont jamais été publié et on ne paye pas pour avoir un dessin. Pas de ticket ou de tirage au sort non plus, ça a été imposé par Boulet mais c’est ce qu’on voulait.
C’est Boulet qui a imposé cette idée ?
Je me voyais mal, moi, imposer quoi que ce soit aux auteurs publiés. Il y a toujours la crainte du chasseur de dédicaces. On en a alors discuté avec les auteurs. Boulet, qui faisait alors office de chef de file dans la blogosphère bd, a dit : « J’ai horreur des tickets, de l’obligation d’achat. Quand c’est pour mon éditeur, ça me paraît normal. Là, c’est pour le blog, c’est pour mes lecteurs. Donc, on n’impose aucune règle dans la dédicace et on fait des dessins jusqu’à ce qu’on en ait marre. ». C’est la règle du premier parrain du festiblog et cette règle est incontournable. Si un auteur dit qu’il ne veut dessiner que ses albums, il ne vient pas au festiblog !

Economiquement c’est intéressant ?

On fait ça sur notre temps libre, avec comme ambition d’apporter de la joie dans ce monde triste. Ça fait niais de dire ça, mais ce qui nous préoccupe c’est de savoir si les gens vont être bien. On ne se rémunère pas sur le festiblog : à la fin du festiblog, on n’est pas loin de zéro et quand on est au-dessus, c’est réinvesti l’année d’après. Le festival est organisé à la hauteur des moyens dont on dispose. Du coup, la vente d’albums ne m’importe que pour la part qui va aux auteurs.
Si j’étais un festival classique, que je louais une salle, je serais obligé de faire payer l’entrée d’augmenter les coûts, de rentrer dans un truc très lourd, j’aimerais que ce ne soit jamais le cas !

Comment as-tu fédéré la communauté des blogueurs ?
La communauté des blogueurs, c’est une vaste blague. Il y a plein de blogosphères. Il y a quelques années, j’avais donné un coup de main à Loïc Le Meur pour une conférence qui s’appelle « Le Web » qui est la conférence des blogueurs. Il y avait des blogueurs du monde du business, du marketing, eux aussi avaient l’impression de représenter la blogosphère alors les lecteurs de blogs bd ne les connaissent pas.
Dans la blogosphère bd, en 2005, quand on a commencé, il y avait un groupe homogène, avec Cha, Laurel, Mélaka, Boulet, Libon, princesse Capiton, Poipoipanda… Des gens qui se connaissaient tous. Aujourd’hui, il y a tellement de blogs qu’il n’y a plus d’idée de blogosphère bd. Il y a des groupes qui se forment : le duo démoniaque Margaux Motin/Pacco, Boulet et ses potes, 30joursdebd, qui est une communauté à part entière…
Donc pas d’unité au Festiblog ?
Le Festiblog, ce n’est surtout pas une unité ! Le mot-clef c’est diversité ! Le but, c’est d’avoir un échantillon représentatif de tous les styles qu’on peut trouver sur le net. On va avoir Maliki et d’autres influencés par l’animation japonaise, des gens comme Cha dans la bd punk, comme Turalo dans la bd franco-belge à gros nez, comme Manu xyz qui a un dessin retro qui rappelle le Fluide Glacial des années 1980… Ma grande fierté, c’est la différence de dessins entre Pénélope et VonKrissen, entre Lucile Gomez et Paka. Ce qui m’intéresse aussi c’est de montrer qu’il n’y a pas que des blogs bd d’autofiction ironique, des gens qui racontent la vie en finissant par un gag sur « les petits travers de chacun ». C’est très français, on ne le retrouve pas dans le webcomics qui est plutôt dans la fiction. Chez nous, dans la mouvance webcomic, il y a des gens comme Chanouga et ses histoires de sirènes ou alors Chicou-Chicou qui est plus dans l’exploration créatrice. On essaye vraiment de ne pas donner l’impression d’unité. Je ne voudrais pas que ça devienne le festiblog des blogsbd que Yannick aime bien, parce que ce serait vraiment chiant !
Alors, comment se fait le choix ?
Cette année, on a invité environ 200 auteurs. D’abord, on invite les 40 qui nous paraissent incontournables pour des raisons d’envies des lecteurs et de représentativité. Difficile d’imaginer un festiblog sans Maliki, Pénélope, Boulet, Laurel, Everland, Cha… On essaye d’avoir tous ceux que nos visiteurs ont envie de voir. Ce n’est pas la chasse au nombre de lecteurs, c’est la liste des talents incontestés.
Dans ceux-là, il y a des gens qui ont su rencontrer leur public en ligne sans pour autant être les meilleurs dessinateurs de la blogosphère, par exemple Paka ou Davy. Je pense qu’ils ne m’en voudront si je les cite en exemple. L’un comme l’autre sont des bons exemples d’auteurs dont on apprécie l’humour, la personnalité et l’humilité, trouvez-moi des mecs aussi sympathiques et aussi légitimes pour être au festiblog ! Etre capable de dessiner une calèche et 4 chevaux en plongée avec réalisme ne permet pas forcément de trouver son public, eux ont su le faire et leurs files d’attente en a fait rêver plus d’un.
Ensuite, on invite les gens qu’on a envie d’inviter parce qu’on les lit. C’est hyper subjectif. La chance qu’on a, c’est que Mike et moi avons des goûts totalement différents du coup, on peut avoir Christophe « Kawaï » Achard et Laetitia « Trash » Koryn dans la même liste.
Ensuite, comme on a peur de rater des gens très bien, on invite les gens à postuler. Cette année, on a reçu les adresses de plus de 500 postulants ayant des blogs et des webcomics. On a été les voir un par un, à trois. On a invité ceux qui plaisaient à l’un d’entre nous. Ca donne une belle diversité de style. Par exemple, il y a 3 ans, on a invité Vincent Caut qui avait 15 ans. Cette année, il est venu en tant que vainqueur du prix Révélation blog !
On essaye d’être en accord avec ce que le public a envie de voir et en accord avec nous-mêmes. Il y a des gens qu’on a envie de faire découvrir, même s’ils ont 4 visiteurs sur leur blog. Dans les 500, on a récupéré une soixantaine d’invités.

Les éditeurs ont-ils leur importance ?
On se fout de qui est pote avec qui et on se fout de qui est publié chez qui. Nous invitons les gens pour ce qu’ils font sur leur blog. Nous invitons aussi des gens parce qu’ils sont sympas. Tout ça ne passe pas par l’éditeur, et les éditeurs ne sont pas trop sollicités festiblog même si nous avons de bons contacts avec eux. Certains nous ont demandé de prendre des stands, mais on a dit non parce que le festival est indépendant. Par contre, on était ravis de voir qu’Ankama, Paquet, Drugstore, Lapin, Diantre !, Delcourt, Makaka et Warum étaient sur place. Depuis 3 ans, pas mal d’auteurs nous disent avoir été contactés pendant le Festiblog et nous sommes toujours ravis de créer des contacts pour faciliter les rencontres.