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Histoire de la bande dessinée numérique, épisode 4

Et voilà la quatrième partie de mon histoire de la bd numérique, toujours sur Neuvième art 2.0. Après les blogs bd, un aperçu de l’évolution de la bd numérique sur Internet entre 2004 et 2009.

Croissance de la bande dessinée sur Internet (2004-2009)

En voici le résumé :

La bande dessinée numérique des années 2005-2008 est éminemment singulière, et donne tous les aspects d’une phase de transition. C’est alors moins la nature des œuvres produites qui change que les conditions de leur réception dans la société française. Les blogs bd, momentanément élevés au rang de standard de l’autoédition en ligne, ont accéléré une médiatisation qui concerne plus généralement l’ensemble de la culture numérique. Les anciens acteurs se professionnalisent de plus en plus. Les pratiques de publication quittent progressivement l’autoédition communautaire pour découvrir le modèle de l’hébergement, voire pour se risquer à un premier « éditeur » de bande dessinée numérique.
L’évolution principale tient donc en l’apparition de nouveaux intermédiaires qui structurent progressivement la bande dessinée numérique pour améliorer la visibilité des œuvres sur Internet ou pour aider les auteurs à passer de la publication numérique gratuite à la publication papier rémunératrice. Mais encore tout cela est balbutiant, tout cela se mélange avec les vieux réflexes communautaires encore vivaces et les anciennes communautés créatives bien actives. Là réside tout le sel des années 2005-2008, trop souvent éclipsé par l’ombre des blogs bd.

Histoire de la bande dessinée numérique, épisode 3

Juste une annonce pour signaler que la troisième partie de mon Histoire de la bande dessinée numérique est paru sur Neuvième art 2.0. Il est cette fois question des blogs bd, une partie centrale de ce panorama historique dont je me suis efforcé de montrer la juste place.

 » Les blogs bd, une spécificité française ? « 

En voici le résumé introductif :

On considère traditionnellement le mouvement des blogs bd comme le démarrage véritable de la bande dessinée numérique française, et comme le particularisme essentielle de la production nationale. Déclenché vers 2004 avec les premiers blogs graphiques, il est incontestablement le premier grand mouvement structuré de production de bande dessinée en ligne, ou du moins le premier mouvement qui entend s’adresser d’abord à un public d’internautes plutôt qu’à une communauté d’auteurs. En médiatisant brusquement la bande dessinée en ligne, il accélère sa mise en relation avec le marché papier et définit un premier type de rapport de l’un vers l’autre où la bande dessinée numérique devient l’antichambre des futurs auteurs de la bande dessinée papier.
Mais derrière les grandes tendances des blogs bd, derrière la façade de l’autofiction dessinée, se cache aussi une diversité d’œuvres dont l’objectif est tantôt la communication pure, tantôt la création, tantôt un peu des deux.

Bande dessinée numérique et standard

Pour fêter la mise en ligne du second épisode de mon histoire de la bande dessinée numérique sur Neuvième art 2.0, voici une réflexion sur la notion de standard. Cet article est paru antérieurement sur du9.org.

L’un des débats qui agitent le petit cercle des amateurs et spécialistes de bande dessinée numérique est la question du « standard ». Elle intervient à un moment clé où la bande dessinée numérique donne les signes qui peuvent faire d’elle une « industrie culturelle » à l’égal de son aînée papier. La question du standard est alors fondamentale dans la mesure où elle garantit une forme de stabilité, qui contrasterait avec les quinze années qui viennent de s’écouler durant lesquelles la bande dessinée dite numérique a revêtu de multiples formes… Et en même temps, certains y voient, justement, le risque que cette forme encore neuve de récits en ligne prenne dès ses débuts le pli d’une diffusion commerciale nécessairement contraignante…

Emergence du débat sur le standard

Pendant très longtemps, l’idée qu’il puisse y avoir une standardisation de la bande dessinée numérique, au sens de normes reprises par tous, ne se pose pas parmi les créateurs de bande dessinée numérique. La raison la plus évidente est l’absence d’enjeu commercial réel, mais il faut aussi compter avec la dispersion de cette communauté de créateurs qui ne forment pas un tout homogène et ne se placent pas sur le même plan, des amateurs du forum Bdamateur aux professionnels expérimentateurs comme Hislaire, en passant par les bd blogueurs des années 2005-2009. Il n’est pas indifférent que la notion de standard surgisse autour de 2010, pendant une ample vague de création d’entreprises commerciales autour de la bande dessinée numérique, que ce soit des éditeurs numériques (Foolstrip, Manolosanctis), des prestataires techniques proposant leur logiciel (Ave!Comics, Emedion), ou des distributeurs de bandes dessinées numérisées (Digibidi, Izneo). La question se pose de savoir quelle est la forme et le moyen de diffusion les plus efficaces pour garantir l’éclosion d’un marché. Chacune des entreprises citées y répond à sa manière, à chaque fois différente, ce qui tend à prouver qu’il n’y a pas, à cette date, de vision unifiée de la bande dessinée numérique.

L’enjeu du standard, il en est notamment question dans l’ouvrage de Sébastien Naeco État des lieux de la BD numérique, enjeux et perspectives1. L’auteur écrit ceci : « Entre les SSII qui essaient d’imposer leurs formats propriétaires, et les tenants de la composition libre à base d’Ajax ou de Flash, entre ceux qui se suffisent en intégrant une image en JPG dans la console de leur prestataire de blog, et ceux qui dessinent directement à même l’écran, on peut dire que, créativement, nous ne sommes pas prêts d’avoir un format standard qui va s’imposer en BD numérique. (…) Adopter un format et trouver un consensus simplifieraient pourtant beaucoup les choses, à plusieurs titres. », et il déroule ensuite plusieurs arguments :

  • créer des repères pour les lecteurs
  • lisser les coûts de production par des variables fixes
  • soutenir le développement d’un appareil critique sur un socle commun
  • stimuler l’imagination, comme un défi à la créativité des auteurs
  • trouver des partenaires et des diffuseurs

Parmi ces cinq arguments en faveur du développement d’un standard, trois portent sur la question des repères formels (pour le lecteur, l’auteur et le critique) et deux autres sur des nécessités économiques. Sébastien Naeco évoque ici plus spécifiquement des problématiques techniques de format numérique, et du débat entre le flash, le jpg et autres formats d’image. Mais la question peut avoir une portée plus globale, qui touche aux supports de diffusion ou à la « mise en scène » numérique de l’image.

A l’autre bout du débat, Anthony Rageul se fait le porte-parole d’une vision de la bande dessinée numérique qui réfute la notion de standard. Lors d’une communication donnée à Liège2, il récuse ainsi l’idée d’un « 48CC » de la bande dessinée numérique que serait le player unique pour support mobile. Le terme « 48CC » n’est pas choisi par hasard par Anthony Rageul : il provient des critiques adressées par Jean-Christophe Menu quand il dirigeait l’Association, à l’encontre des grands éditeurs commerciaux. Ici, le débat sur le standard quitte le terrain purement technique pour s’aventurer sur des terres idéologiques où l’originalité de la création libre est opposée aux contraintes de l’édition commerciale. L’absence d’édition commerciale de bande dessinée numérique fait que nous nous situons encore dans un moment décisif où rien n’est joué en terme de standardisation.

Qu’est-ce qui force le standard, du format à la diffusion ?

Revenons un peu à la notion de standard pour essayer de comprendre « ce qui peut faire standard », c’est-à-dire ce qui contribue, ou peut contribuer, en bien ou en mal, à une uniformisation des pratiques des créateurs. Un premier indice nous est donné par le fait que Sébastien Naeco et Anthony Rageul ne se positionnent pas exactement sur le même plan : le premier se limite à évoquer la question technique du « format » standard, tandis qu’Anthony Rageul se déplace plus globalement sur le modèle de diffusion. Il n’y a donc pas de réelle contradiction, si ce n’est sur le principe même de l’existence d’un standard. Les discours peuvent peut-être s’accorder si l’on tente de distinguer les différentes formes de standardisation qui se préparent pour la bande dessinée numérique.

Le standard en matière de format est un problème très concret et souvent moins évoqué que les autres. Mais la liste proposée par Sébastien Naeco résume assez justement un paysage qui va du simple .jpeg mis en ligne à des formats propriétaires comme flash, voire lié à un outil, comme le format .ave du Comic Composer d’Ave!Comics, en passant par les formats de compression .cbz et .cbr spécialement dédiées à l’échange de ces fichiers images lourds que sont les bandes dessinées. Il y a ici une vraie diversité, le seul point de convergence étant le fait que le format de la bande dessinée numérique doit être compatible avec le Web, au sens où la quasi-totalité des bandes dessinées numériques sont diffusées par le Web. Plus récemment, l’arrivée des smartphones et tablettes a permis l’essor de format qui, à l’instar de l’epub pour les livres numériques, sont suffisamment flexibles pour s’adapter à des lecteurs de taille différente. Le format Flash, format propriétaire de Adobe, a pu l’espace d’un instant s’imposer pour sa flexibilité. Toutefois, la tendance depuis quelques années est à l’apparition de formats dédiées à la bande dessinée numérique, et non de formats génériques comme flash, ponctuellement utilisé dans ce but. Finalement le débat sur le format a aussi porté sur l’opposition entre formats propriétaires et formats libres.

Les formats propriétaires posent un problème inédit qui est celui de la dépendance de l’auteur à ses propres outils de création et de diffusion. Inédit car un album imprimé, même avec une imprimante maison, est lisible par n’importe qui. Or, deux visions s’opposent parmi les acteurs qui souhaitent accompagner les auteurs dans l’usage d’un format plus avancé que les traditionnels .jpg, .pdf ou flash. D’une part celles d’éditeurs qui proposent leur propre format (comme Ave!Comics avec le format .ave). D’autre part celles d’auteurs férus d’informatique qui tentent de mettre au point un langage d’écriture numérique modulable à partir de formats libres, comme Joël Lamotte avec « Art of Sequence ». C’est une partition à trois qui se joue entre les formats génériques, les formats spécifiques libres et les formats spécifiques propriétaires. Pour l’instant, aucun format ne s’affirme vraiment, et la majorité des bandes dessinées mises en ligne le sont plutôt dans des formats génériques, flash et .jpg.

Le standard en matière de diffusion est un autre point aigu qui s’est encore accéléré avec la croyance, tenace depuis 2009, que les smartphones et les tablettes vont être l’avenir de la bande dessinée numérique, jusque là principalement diffusées pour ordinateur. Le plus remarquable est que, jusqu’à il y a peu, les standards de diffusion les plus courants étaient fortement dépendants d’une production papier. Il s’agissait de standards de transition, dictés par des usages majoritaires de scans de planches, donc finalement par la nature des oeuvres publiées. La vague des premières « bandes dessinées numérisées » à grande échelle, qui émerge avec Digibidi et Aquafadas en 2009, mais prend de l’ampleur avec l’apparition de la plateforme Izneo en 2010. Ce modèle est, par définition, un modèle de transition puisqu’il s’agit de transposer en numérique des bandes dessinées originellement papier. Et, contrairement à des travaux déjà effectués en ce sens par l’équipe de Coconino Classics pour la numérisation de vieilles bandes dessinées de la Belle Epoque3, il n’est pas question d’adapter l’interface de lecture à l’oeuvre. Au contraire, toutes les numérisations rentrent dans un moule unique, dans un player qui décompose la planche en navigant d’une case à l’autre. Ce premier standard est caricatural de l’écart entre numérique et papier, et des difficultés à transposer l’un dans l’autre. Une même différence qualititative est à l’oeuvre dans la littérature « textuelle », entre les numérisations de Google, capture d’images au format pdf océrisées pour les recherches plein texte, et les transcriptions du Projet Gutenberg, bien plus capables de s’adapter à différents formats de lecture.

Mais, me dira-t-on, le standard des bandes dessinées numérisées est un standard de copie, et non de création… Certes, mais il importe dans la mesure où, pendant longtemps, la majeure partie des bandes dessinées diffusées au format numérique (création originale comprise) sont des scans de planches, ou sont réalisées sur des modèles du format papier. Deux exemples témoignent que l’attachement aux normes du papier n’est pas l’apanage des éditeurs et des oeuvres numérisées. Les plateformes de diffusion et d’hébergement grandpapier.org et Manolosanctis diffusent, en très large partie, des oeuvres conçues comme des planches. L’interface de lecture de Manolosanctis reprend les principes de navigation d’une case à l’autre que l’on trouve sur Digibidi. Quant à grandpapier.org, son objectif initial est la promotion de dessinateurs papier. Ce modèle hybride, qui joue de la complémentarité entre numérique et papier a sa logique propre et sa pleine légitimité tant qu’il apporte au lecteur des oeuvres inédites. Mais dans le même temps il contribue à faire de la dépendance formelle aux normes de la bande dessinée papier un standard récurrent de diffusion et de création.

Standardisation formelle

La disponibilité des formats tout comme les usages en terme de diffusion de bande dessinée en ligne vont tous deux dans le même sens : de plus en plus, si standard il doit y avoir, il s’oriente vers une autonomisation du numérique par rapport à son aîné papier. Autonomisation lente, mais réelle.

Elle se remarque lorsque l’on s’intéresse à une troisième forme de standardisation, plus esthétique cette fois, la standardisation formelle. Car s’il est une constante formelle formelle dans les bandes dessinées diffusées durant la décennie 2000, c’est bien leur forte dette à l’égard des normes narratives et graphiques de la bande dessinée papier. L’exemple de Manolosanctis cité plus haut le montrent bien : jusqu’en 2009, la bande dessinée numérique est formellement pensée, dans son ensemble4, par rapport à la bande dessinée papier. Certes, on note des adaptations : le format du strip se verticalise parfois, pour s’adapter à la lecture en scrolling. Mais les codes que les auteurs ont en tête sont bien ceux de la bande dessinée papier.

Ce qui contribue à faire bouger les lignes est, justement, l’action combinée des évolutions de format et de diffusion. En terme de format, l’idée fait son chemin que la création de bande dessinée numérique demande un format spécifique. En terme de diffusion, l’arrivée de la lecture nomade modifie également la perception de la bande dessinée, au sens où l’on finit par admettre qu’une page ne peut bien se percevoir avec un smartphone. Ce standard formel qui, depuis 2009, fait son chemin, c’est le diaporama.

Cette fois, il est d’abord question d’oeuvres de création originale : Bludzee de Lewis Trondheim en 2009 participe d’un modèle de diaporama où le lecteur fait défiler une à une des images uniques. D’une certaine façon, l’écran remplace la page, et la forme de la bande dessinée s’adapte à un nouveau support de lecture. Une fois de plus, l’idée fait son chemin quant à la standardisation qui pourrait survenir de la généralisation de ces bandes dessinées pour support mobile, et du fait que le diaporama pourrait devenir le modèle de la bande dessinée numérique.

De nombreuses oeuvres tendent à confirmer cette idée. La bédénovela de Thomas Cadène Les autres gens adopte elle aussi le principe d’un diaporama uniforme, même si sa finalité n’est pas d’être lue sur support mobile. Certains auteurs comme Marc Lataste, dans Le règne animal, conserve le principe du diaporama tout en faisant varier le nombre d’images par séquence. La différence entre le premier standard et le second est que le diaporama est un standard purement formel qui ne se trouve pas lié à un mode de diffusion spécifique. Au contraire, les bandes dessinées en diaporama se developpent aussi bien sous des formes commerciales (Les autres gens), pour smartphone (Bludzee) et tablettes (Le règne animal), sur des blogs d’accès gratuits (Le blog à Malec), sur des hébergeurs comme deviant art (Balak) ou Webcomics.fr (Fred Boot), et même sur Facebook (Marc Lataste avec Tim Banak). L’historique du diaporama comme standard présente l’avantage d’une absence de contrainte de diffusion exclusive qui lui permet d’évoluer et de varier formellement.

Car en même temps survient le Turbomedia de Balak, variation numérique autour du principe du diaporama, mais interprétée de façon plus dynamique, avec insertion de séquences animées et variations de rythme calculées, inspirées en partie des principes de l’animation graphique. Le principe du Turbomedia, initialement imaginé par Balak en 2009, est repris par plusieurs auteurs et circule dans les milieux de l’animation, des graphistes et des concepteurs de jeux vidéos. Balak est finalement recruté par Mark Waid, auteur américain de bande dessinée, pour le lancement de la plateforme Thrillbent, destinée à diffuser des oeuvres conçues exclusivement pour support numérique, sur le principe des Turbomedia. Ce qui est intéressant dans le Turbomedia de Balak, c’est la façon dont l’auteur a de faire référence à des oeuvres commerciales existantes, autrement dit d’être conscient du contexte dans lequel il se place. Il parodie brièvement Bludzee avec Broutzi, clochard d’intérieur, et ironise sur les players qu’il compare à une lecture de bande dessinée à travers des rouleaux de papier toilette. Surtout, parmi les premiers Turbomedia se trouve une oeuvre qui entend, justement, expliquer les principes narratifs de nouveau format. C’est, en quelque sorte, la défense et illustration d’un standard.

Et si on peut parler de standard, c’est aussi parce qu’un phénomène de filiation qui se construit à la suite du Turbomedia : les auteurs de Turbomedia reconnaissent explicitement, voire revendiquent, leur emprunt à l’invention de Balak, et se placent dans sa continuité. On est bien face à une norme admise et reconnue comme telle.

Si le Turbomedia est le nom qui revient le plus souvent, la chronologie tend à montrer, entre Les autres gens, Bludzee, Marc Lataste, et d’autres encore, qu’autour de 2010, le format du diaporama devient de plus en plus courant comme alternative proprement numérique, et pas seulement en raison du développement du marché des supports mobiles.

En guise de conclusion…

L’évolution des standards de diffusion va depuis trois ou quatre ans vers une autonomisation, tant formelle que technique, qui fait qu’émergent des codes propres à la bande dessinée numérique. Formellement, la standardisation paraît sur sa route avec le diaporama. Techniquement, le débat entre formats propriétaires et formats libres a encore de beaux jours devant lui. Enfin c’est en terme de standard de diffusion que l’avenir est le plus incertain, tant il semble que chaque nouvelle bande dessinée numérique propose un nouveau modèle de diffusion. En cette année 2012, avec l’arrivée consécutive de Bdnag (Pierre-Yves Gabrion avec Emedion), de Uropa (Casterman avec iSlaire) et de La revue dessinée (un collectif d’auteurs, dont Kriss), c’est la diffusion sur les principes de la presse traditionnelle qui est remise à l’honneur, profitant du succès des tablettes comme outil de lecture de la presse.

Mais le 48CC de la bande dessinée numérique n’est pas pour tout de suite ; il est intimement lié aux évolutions économiques, et donc bien loin de préoccupations esthétiques qui ont le temps de murir avant que les éditeurs ne se mettent d’accord… Le diaporama a l’avantage de ne pas être une norme formelle directement imposée d’en haut par les éditeurs, de ne pas non plus être restreinte à un format de fichiers, mais d’avoir eu une fortune suffisamment diverse pour ne pas être encore vécu comme une contrainte par les auteurs, qui ont encore beaucoup à défricher.

12011, éditions Numerik livres.

2Colloque sur la bande dessinée alternative : http://www.acme.ulg.ac.be/?p=31.

3Ou, plus loin encore dans le temps, par les Humanoïdes Associés avec l’adaptation en CD-Rom de La Trilogie Nikopol en 1996.

4Tout est dans le « dans son ensemble » : les exceptions sont nombreuses, mais il est bien question dans cette article de « standard », c’est-à-dire du majoritaire.

Making of – Ecrire l’histoire de la bande dessinée numérique

Cet article est la seconde partie d’un making of sur l’histoire de la bande dessinée numérique, publié sur le site Neuvième art 2.0 d’avril à mai 2012. J’explique ici les intentions principales qui ont conduit à la réalisation de ce travail.

Après deux ans d’observation attentive des évolutions de la bande dessinée numérique sur mon blog Phylacterium, le moment était venu d’en rédiger une synthèse qui serve de première pierre à l’édifice encore à bâtir de l’histoire de la bande dessinée numérique. Le récent appel à contribution pour Comicalités lancé par Julien Falgas et Anthony Rageul est un excellent moyen d’enclencher une vraie réflexion sur la bande dessinée numérique, qui croise les approches historiques, esthétiques et socio-économiques. A partir du dimanche 29 avril, et à raison d’un épisode toutes les deux semaines, la revue en ligne neuvième art 2.0 hébergée sur le site de la Cité de la bande dessinée va diffuser une « histoire de la bande dessinée numérique » en cinq épisodes. Un panorama qui commence aux premières tentatives de bande dessinée sur CD-Rom au milieu des années 1990, jusqu’à la période de constitution d’un marché éditorial que nous vivons actuellement, en passant par le phénomène des blogs bd en 2005. L’axe problématique principal que j’ai choisi pour analyser les oeuvres et les évolutions en cours est celui des relations entre la bande dessinée numérique et son aînée papier, axe pertinent dans le contexte d’une période de transition et de cohabitation.

L’objectif de ce panorama historique est double. D’une part, il s’agit de mettre à la disposition d’un public varié (auteurs, chercheurs, journalistes, bibliothécaires, éditeurs, amateurs…) des données exhaustives sur la chronologie de la bande dessinée numérique (utilement mise en image par Julien Falgas dans une exposition virtuelle sur Facebook) et les directions les plus évidentes de son évolution ; des repères pour toute personne s’intéressant, personnellement ou professionnellement, à la bande dessinée numérique et voulant vérifier tel ou tel fait, telle ou telle donnée, telle ou telle date. Je fais la synthèse de nombreuses études menées depuis le début des années 2000, rassemblant en un seul endroit des données éparpillées sur Internet et dans les bibliothèques. L’utilité d’un texte de référence me semble d’autant plus évidente que les confusions sont grandes, en particulier à l’heure où le devant de la scène est parfois occupé par des faiseurs de bande dessinée numérisée, et non par une bande dessinée numérique de création qui existe pourtant depuis plus de dix ans. Je souhaite également rétablir quelques exactitudes et éviter les imprécisions qui confondent bande dessinée en ligne et bande dessinée numérique, qui ne voient que la bande dessinée numérisée, qui pensent que la bande dessinée numérique est née avec les blogs bd, ou qui limitent la bande dessinée numérique à un espace de création amateur, gratuit et expérimental. De nombreuses structures sont apparues, certaines ont disparues, mais le paysage qui se dessine entre 1996 et 2012 est bien plus varié qu’on ne pourrait le croire. La méthode historique me permet de livrer un travail qui ne se limite pas à un émerveillement béat face à l’avenir de la bande dessinée, mais qui analyse concrètement les oeuvres, les auteurs et les structures de production, et met au jour le véritable degré d’autonomie de la bande dessinée numérique par rapport à la bande dessinée papier.

D’autre part, le second objectif, à mes yeux plus important que le premier, est d’encourager les réflexions historiques sur la bande dessinée numérique, d’où qu’elles viennent ; journalistes, critiques, étudiants, chercheurs sont invités à prendre mon relai (certains ont déjà commencé), par exemple en répondant à l’appel à communication cité plus haut. Ces réflexions sont indispensables, ne serait-ce que parce que beaucoup des oeuvres sont en train de disparaître dans les limbes d’Internet (Foolstrip, Noomz, les premiers blogs bd sur 20six), et que Internet Archive a été pour moi un allié de poids. Tant que cela est possible, il faut garder un témoignage de ce qu’était la bande dessinée numérique à ses débuts faute de pouvoir le faire dans dix ans. Mon Histoire de la bande dessinée numérique se veut certes un texte de référence, mais il ne suffit pas : il faut poursuivre la réflexion sur de nombreux points encore en suspens que mes limites méthodologiques m’ont empêcher de creuser. Il y aurait encore beaucoup à dire du phénomène des blogs bd pour évaluer son impact global sur la bande dessinée. Les oeuvres des premiers temps mériteraient un examen plus approfondi que je ne le fais, car leur degré d’innovation est souvent exceptionnel et pourrait servir d’exemple aux créateurs à venir. L’analyse économique des structures de diffusion est un travail de longue haleine qui ne peut se résumer à un balancement entre le gratuit et le payant. Parce que ce n’est qu’un manuel introductif, mon texte se limite à l’exposition de grands axes de réflexion et appelle à d’autres analyses plus détaillées, potentiellement contradictoires. Il est destiné à être complété, discuté, critiqué, amendé, et toutes remarques et critiques constructives sont les bienvenues, qu’elles prennent la forme d’un mail à l’auteur (mrpetch@orange.fr), de la publication d’un autre texte, ou de commentaires sur le blog Phylacterium, sur lequel je tiendrais dans les semaines à venir un making-of à épisodes pour expliquer certains choix et ouvrir encore d’autres pistes. Je ne prétends ni à l’exactitude absolue, ni à l’objectivité idéale. Enfin, il m’est impensable de ne pas remercier les quelques personnes qui m’ont aidé, à des degrés divers, dans la réalisation de ce travail : Gilles Ciment, Julien Falgas, Phiip, Jean-Paul Jennequin, Anthony Rageul, Fred Boot, Benoît Berthou, Antoine Torrens et Jacques Sauteron.

Mon principal espoir en proposant ce texte en pâture aux internautes est que, dans quelques années, la connaissance sur l’histoire de la bande dessinée numérique ait si bien avancée qu’il paraisse terriblement obsolète !

 

Un panorama historique de la bande dessinée numérique !

Annoncé sur ce blog depuis plusieurs semaines, le premier épisode de « l’histoire de la bande dessinée numérique », par votre serviteur (Mr Petch, aka Julien Baudry) est à présent en ligne dans le webzine Neuvième art 2.0. Cette série sera publiée une fois toutes les deux semaines pour cinq épisodes. Son objectif, sur lequel je reviendrais sur ce blog, est de constituer une première synthèse des connaissances sur l’évolution historique de la bande dessinée numérique. Et en tant que première synthèse, elle est destinée à être corrigée, commentée, critiquée pour être finalement améliorée, polie, savamment lustrée par autant de conseils avisés.

Le tout a été mis en ligne grâce aux bons soins de Gilles Ciment, qui doit être ici remercié pour avoir accepter de publier ce dossier dans la vénérable revue de la Cité de la bande dessinée qui a rejoint le net depuis 2009. C’est un grand honneur pour moi que d’être accueilli dans ses pages, même immaterielles.

Le premier épisode s’intitule « Contexte d’émergence de la bande dessinée numérique en France » et en voici le résumé :

Parler des prémices de la bande dessinée numérique avant les années 2000, c’est vainement essayer de la définir rétrospectivement, de la circonscrire dans des limites souvent incertaines à une époque où on en parle encore peu, et où elle n’existe qu’à l’état de fragments hétérogènes. L’objectif de cette première partie, qui fait office de préambule aux articles qui vont suivre, est justement de délimiter le terrain d’étude à une définition toute subjective de la bande dessinée numérique comme objet culturel de transition entre un champ analogique bien connu à l’histoire presque bicentenaire et un futur « nouveau média » hybride et encore en cours de définition en 2012.
Pour remplir cet objectif, j’examinerai trois contextes qui, à mes yeux, expliquent l’apparition d’une bande dessinée numérique française vers la fin des années 1990 : l’influence des webcomics américains, les évolutions propres à la création artistique numérique et sa rencontre avec la bande dessinée, et enfin la naissance d’une communauté d’intérêt autour de la bande dessinée sur le web.

Bonne lecture ! Tous les retours sont les bienvenus (mrpetch@orange.fr). Et j’en profite pour remercier mes fidèles lecteurs qui m’ont poussé à poursuivre dans la voie du blog, décidément un excellent outil d’expérimentation reflexive et d’échanges !