Archives pour la catégorie Bande dessinée numérique

Parcours de blogueur : Guillaume Long

Dans un précédent parcours de blogueurs, j’évoquais Nancy Pena, auteur de Tea Party, en sélection officielle au festival d’Angoulême 2010. Son compagnon, Guillaume Long, fait lui aussi partie de la blogosphère avec deux blogs dont un sur la plateforme du Monde.fr. Ce jeune auteur né en Suisse en 1977 a déjà publié, dans les années 2000, de nombreux albums originaux et passionnants, dans l’esprit de la bande dessinée indépendante, expérimentale et autobiographique.

Reconnaissance rapide et parcours diversifié

Guillaume Long fait partie de la jeune génération de dessinateurs suisses qui, à l’image de Frederik Peeters (Pourquoi lire Frederik Peeters ?), Tom Tirabosco, Pierre Wazem, Ibn al Rabin, commencent leur carrière dans les années 2000 et allient assez rapidement une honnête reconnaissance et une production intense d’au moins un album par an. C’est toutefois en France qu’il s’établit en intégrant l’Ecole des Beaux-Arts de Saint-Etienne. (époque qu’il raconte dans Comme un poisson dans l’huile et Les sardines sont cuites).
Après un court premier album publié en 2001 aux éditions Memyself, maison d’auto-édition du dessinateur Ibn al Rabin, Guillaume Long trouve une place auprès de deux maisons d’éditions : Vertige Graphic (http://vertige-graphic.blogspot.com/) pour la BD adulte et La joie de lire (http://fr.wikipedia.org/wiki/La_joie_de_lire) pour la BD jeunesse. Car il navigue, comme beaucoup d’auteurs de BD, entre les deux eaux de l’édition adulte et de l’édition jeunesse, alternant dans sa production des albums pour l’une ou pour l’autre. Vous l’aurez compris, c’est surtout sa production de BD adulte qui m’intéresse, même si sa participation active à La Joie de lire, maison d’édition jeunesse suisse fondée en 1987, n’est pas dénuée d’intérêt en ce qu’elle montre la complémentarité des deux métiers de dessinateurs adulte et enfant (La Joie de lire a dans son catalogue d’autres dessinateurs de Bd suisses comme Tom Tirabosco, Pierre Wazem et Alex Baladi). Vertige Graphic l’inscrit bien dans la mouvance de l’édition indépendante : maison fondée en 1987, elle édite essentiellement des auteurs étrangers reconnus pour leur singularité graphique (Pratt, Mattoti, Breccia, Sacco) et des albums expérimentaux, catégorie dont fait partie Guillaume Long avec ses trois albums autobiographiques : Comme un poisson dans l’huile, Les sardines sont cuites et Anatomie de l’éponge. Récemment, toutefois, il a publié dans le label « rock » de Casterman, KSTR qui édite des auteurs débutants, l’album La cellule.
Une première marque de reconnaissance est venue à Guillaume Long lorsqu’il a reçu en 2003 le prix Töpffer de la ville de jeunesse pour Les sardines sont cuites, prix qui encourage un jeune auteur résidant à Génève. Il travaille également beaucoup pour la presse, mêlant là aussi presse jeunesse (Okapi, Tchô, Phosphore, Astrapi…) et presse adulte (Le Matin, Le Monde, La Tribune de Genève…). Il lui arrive également occasionnellement, pour compléter sa panoplie d’illustrateur, de réaliser des pochettes de disques (notamment pour Angil and the Hiddentracks, http://www.angil.org/).

Un blog appétissant

Guillaume Long est aussi un blogueur, ce qui est loin d’être la partie principale de son travail mais qui l’inscrit malgré tout dans la mouvance de la BD sur internet et lui donne une présence sur la toile. C’est en janvier 2007 qu’il commence un blog intitulé un café, un dessin (http://uncafeundessin.canalblog.com/ ) qui, comme son nom l’indique, rassemble des petits dessins impromptus réalisés sur un coin de table, insolites et expérimentaux, comme cet étrange haltérophile.
Depuis octobre 2009, sa carrière de blogueur a pris un élan supplémentaire puisqu’il est devenu blogueur invité sur lemonde.fr, rejoignant ainsi ses collègues Martin Vidberg et Nicolas Wild (évoqué dans un précédent Parcours de blogueur). Le thème du blog, qui a pour titre A boire et à manger (http://long.blog.lemonde.fr/) est, comme son nom l’indique, la cuisine, sujet passionnant s’il en est et qui donne l’occasion à Guillaume Long de partager son goût pour la gastronomie. L’occasion pour lui soit de nous narrer des anecdotes de vie culinaires, de donner des astuces, mais surtout de dessiner ses recettes préférées. Ainsi nous explique-t-il, non sans mauvaise foi, comment faire un bon café avec une vraie cafetière italienne ( Pause café ). Ou encore, fin gourmet, nous donne-t-il d’étonnantes mais néanmoins apétissantes recettes à base de radis noir (Le radis noir le week-end aussi ). Une manière pour lui de concilier deux passions, le dessin et la gastronomie domestique. Le rapport dynamique entre les commentaires et les dessins rend la lecture fluide et amusante.

Une question d’influence


Guillaume Long se pose lui-même des questions sur ses influences dans son album Anatomie de l’éponge, paru en 2006. Plusieurs noms en ressortent qui nous éclairent sur son style. Le rôle de ce qui fut appelée au début des années 2000 la « Nouvelle bande dessinée française » y est incontestable : Blain, David B., Sfar, et bien sûr Trondheim.
Déjà se ressent sur le blog un goût pour la narration concise et efficace, convenant parfaitement à l’objectif que Guillaume Long s’est donné : décrire des recettes de cuisine. Il n’est nul besoin d’encombrer les descriptions de détail, mais il faut simplement aller à l’essentiel. Ainsi maîtrise-t-il bien les rapports entre le texte, comme une voix-off, et le dessin. C’est d’ailleurs là une des marques de fabrique de ses albums pour adultes (tandis que les albums enfants font davantage appel à une narration à bulles traditionnelles) : il délimite le plus souvent sa narration en petites séquences de cases soutenues par un texte sous-jacent transcrivant les pensées ou le récit du personnage-narrateur. Si, dans le blog, ce rapport texte-image est extrêmement simple (le texte complète naturellement les informations du dessin qu’il rapporte ainsi à une narration parlée) dans la mesure où Guillaume Long ne cherche pas à y faire une oeuvre d’art mais à s’exprimer clairement en image (ce qui n’est déjà pas toujours facile !), les rapports en question se complexifient dans ses albums. Il fait souvent appel au décalage ironique : le narrateur raconte la scène dans le texte mais le lecteur s’aperçoit, par l’image, qu’elle ne se passe pas aussi bien qu’elle est décrite. C’est là par exemple tout le propos de « I smell smoke », court récit paru dans le recueil Anatomie de l’éponge : il y décrit sa rencontre avec le groupe Angil and the Hiddentracks, idéalisée dans la narration, catastrophique d’après le dessin…
La patte de Lewis Trondheim perce dans le minimalisme expérimental de certains albums, et notamment le dyptique Comme un poisson dans l’huile/Les sardines sont cuites dans lequel il s’attarde sur ses années passées aux Beaux-Arts et son amitié avec Rémi, un de ses camarades. Exercice transformé en expérience sur l’autobiographie et l’interrogation sur ce qu’est la « vérité » de ce genre. Dans Comme un poisson dans l’huile, il développe le récit en 1200 petites cases carrées de même taille (même procédé que dans Lapinot et les carottes de Patagonie de Trondheim en 1992). Le texte est volontairement concis et insuffisant tandis que le dessin révèle, parfois brutalement, les difficultés du narrateur; le tout amenant un étrange sentiment de malaise. Dans ces deux albums, proches de véritables exercices de style, mais aussi dans d’autres productions ou sur son blog, Guillaume Long montre qu’il aime expérimenter, dans le dessin ou la narration : jeu sur le contour des cases, clair-obscur expressionniste, itération iconique, minimalisme allant jusqu’à l’abstraction ; dans La cellule, la réalité, tout comme le dessin, se déforme pour le héros qui vient de se faire larguer par sa copine.
Autre trait qui le rapproche des influences de la BD indépendante des années 1990 : l’autobiographie est le genre favori de Guillaume Long ; sa vie, réelle ou romancée, la matière principale de son inspiration. Et il ne s’agit pas seulement de raconter sa vie, mais surtout d’analyser son travail de dessinateur. Seul La cellule parut plus récemment chez KSTR, vient rompre avec la spécificité autobiographique.
Son rapport à Lewis Trondheim est le fil conducteur de Anatomie de l’éponge. Le célèbre dessinateur y devient « Luis Troën » est l’évocation de son simple nom provoque chez Guillaume Long des crises de timidité aiguës. Le tout est émaillée de références constantes à La mouche, célèbre série muette de Trondheim. Une obsession parcourant l’album du début et jusqu’à la fin où un postface est justement dessiné par l’idole de Guillaume Long.

Bibliographie :

Hin! Hin!, Editions MeMyself, 2001
Quentin et les étoiles magiques (avec Nathalie Gros), Editions Alice Jeunesse, 2001
Comme un poisson dans l’huile, Vertige Graphic, 2002
Les sardines sont cuites, Vertige Graphic, 2003
Swimming poule mouillée, La Joie de lire, Collection Somnambule, 2003
L’imagier de Guillaume, La Joie de lire, 2005
Anatomie de l’éponge, Vertige Graphic, 2006
Le grand méchant huit, La Joie de lire, Collection Somnambule, 2006
La cellule, KSTR, 2008
Plâtatras!, La Joie de lire, Collection Somnambule, 2009
101 bonnes raisons de se réjouir de lire, La Joie de Lire, Collection 101 bonnes raisons de se réjouir de…, 2009

Webographie :
Un café un dessin
A boire et à manger
Book en ligne

Révélation blog 2010 : à la chasse aux auteurs débutants

Le blog repart de plus belle pour l’année 2010… Je commence avec une actualité du monde des blogs bd :

Le 21 décembre 2009 est tombé la liste des 30 concurrents sélectionnés pour le prix révélation blog. Qu’est-ce que ce prix ? Qui en sont les organisateurs ? Qu’augure-t-il pour l’avenir de la bande dessinée ? Et surtout, quels dessinateurs nous révèle-t-il ? Voilà ce que je tenterais de vous expliquer dans cet article. Pour me suivre, allez d’abord faire un tour sur le site de l’évènement : http://www.prixdublog.com/.

Du phénomène de mode des blogs à la concrétisation professionnelle
A l’occasion du festival d’Angoulême 2008, alors que le phénomène des blogs bd s’est largement répandu sur le net, un nouvel événement est inauguré, le concours révélation blog. Le règlement, jusque là inchangé, est le suivant : le concours est ouvert à tous les blogueurs de plus de 17 ans, encore non édité. Les concurrents peuvent se faire connaître au mois de décembre. Une première sélection est effectuée, désignant trente blogs (pour l’édition 2010). Les internautes sont alors invités à voter, du 26 décembre au 10 janvier, pour le blog(s) préféré(s) (un vote par jour et par personne). Enfin, un jury de professionnels choisit, parmi les blogs les plus plébiscités, trois gagnants qui seront invités au FIBD pour se voir remettre leur prix. Le vainqueur aura la possibilité d’éditer un projet issu de son blog chez Vraoum. Les deux dauphins pourront quant à eux être édités chez Diantre !, et à l’Officieuse collection.
L’objectif est clair : alors que le nombre de blogs bd de dessinateurs amateurs a augmenté depuis 2007, il se peut que parmi eux se trouvent de futurs auteurs talentueux à qui il serait utile de laisser une chance. Dont acte : les deux gagnants des éditions précédentes, Aseyn (The tarp has sprunk a leak) et Lommsek (Shaïzeuh !) sortent leur album respectif chez Vraoum en janvier 2010, à l’occasion du FIBD. (je reviendrais sur ces albums le moment venu.).
A l’initiative de ce projet se trouve un partenariat entre le FIBD, principal festival de BD français, le mieux capable d’assurer une couverture médiatique à l’évènement auprès des amateurs, et trois jeunes maisons d’éditions proches du monde des blogs bd, Vraoum, label des éditions Warum (http://www.warum.fr/index.php co-fondée en 2004 par le blogueur Wandrille) ; Diantre ! (http://www.diantre.fr/) qui a publié l’album de Miss Gally Mon gras et moi, primé à Angoulême en 2009) et l’Officieuse collection (http://www.officieuse.com/), micro-éditeur mêlant édition en ligne et format papier, crée en 2007 par les blogueurs l’Esbroufe et Raphaël B.
Dans le même ordre d’idée, le jury est essentiellement composé de personnalités venues de l’univers des blogs bd, mais aux parcours suffisamment divers. Ainsi pour cette édition 2010 trouve-t-on d’une blogueuse établies en tant que dessinatrice professionnels (Marion Montaigne), les lauréats de l’édition précédente (Lommsek, Vincent Caut, Dromadaire bleu), un blogueur-graphiste-journaliste sur Nolife tv (Davy Mourier), des représentants des différents partenaires, eux aussi blogueurs, (Wandrille pour Vraoum, Pauline Bravar pour Diantre et Paprika pour le Festiblog), enfin, Matt, le créateur du blogroll Blogsbd.fr (figure incontournable de l’univers des blogs bd) et Ezilda Tribot, responsable au FIBD du « Pavillon jeunes talents ».

Dans le même temps, lier le FIBD, vieille et honorable institution de la BD (mais qui, depuis quelques années, cherche clairement à se renouveler), au phénomène des blogs bd permet de légitimer ces derniers en affirmant qu’il ne s’agit pas que d’un phénomène de mode passager sans véritable intérêt pour l’industrie de la bande dessinée, mais, que, bien au contraire, un oeil attentif et ouvert peut en tirer quelque chose. Le FIBD a déjà démontré à d’autres occasions son ouverture et son soutien aux dessinateurs amateurs ou débutants : dès la première édition existe un prix du meilleur premier album (intitulé tour à tour Prix du meilleur espoir puis depuis 2007 Essentiel révélation, il récompense à présent un auteur en début de parcours professionnel) ; Bastien Vivès en a été le dernier lauréat avec Le goût du chlore) ; un prix « jeunes talents » est également décerné à un jeune dessinateur n’ayant jamais publié.
En soutenant des blogueurs bd (jeunes ou moins jeunes, mais toujours débutants), une nouvelle étape est franchie : il n’aura fallu que quelques années entre l’explosion du phénomène des blogs bd et son intégration au FIBD. Je ne peux que me satisfaire de cette capacité que montre une partie du milieu de la bande dessinée à s’intéresser à un phénomène neuf, qui plus est lié à Internet (donc à un média étranger par nature à la BD). Et j’ajouterai que cet intérêt porté n’est pas un enthousiasme aveugle car il se fait dans le cadre d’une sélection sérieuse, assurant de cette manière sa légitimité (tout n’est pas à jeter dans les blogs bd, mais tout n’est pas bon à prendre non plus). Le mode de sélection trouve un équilibre entre le seul plébiscite des lecteurs et l’approbation par un jury de professionnels, éditeurs et spécialistes. Certes, l’initiative vient de maisons d’éditions soutenant elle-même le mouvement des blogs bd, ce qui relativise l’évènement, le restreignant encore, pour le moment, dans un cercle réduit de connaisseurs (même si Warum et Diantre sont loin de ne publier que des blogueurs, bien entendu). Néanmoins, la formule choisie me semble d’autant plus intéressante qu’elle n’essaye pas de profiter commercialement de la vague des blogs bd en abandonnant toute ambition artistique, mais qu’au contraire elle cherche, en proposant l’édition d’un album autre que « l’album du blog », à amener de jeunes dessinateurs à montrer leurs capacités. Ce qui, à mon sens, différencie l’opération des nombreuses éditions de blogs bd dont l’intérêt semble parfois limité, surtout quand ils ne sont qu’une compilation non-réfléchie d’extraits du blogs. Les lauréats des années précédentes ont bien été jugé sur leur talent de dessinateur et non sur leur popularité. Le concours révélation blog interroge plutôt l’avenir de la bande dessinée et sa capacité à motiver des dessinateurs débutants, et s’extrait déjà du phénomène de mode pour en faire autre chose.

Les concurrents 2009 : aperçu et sélection

Depuis 2007, de nombreux blogueurs ont eu l’occasion de publier un premier album, ne serait-ce que l’album de leur blog. Tous ces blogueurs ayant déjà intégré le monde de l’édition sont donc exclus d’emblée de la compétition. Mais la sélection des 30 meilleurs blogueurs bd laisse encore apparaître de nombreux talents. Il est difficile de savoir, évidemment, si le passage du blog, espace de publication sans contraintes, à l’album, sera payant. La plupart des blogueurs bd sélectionnés répondent déjà à deux critères importants : un style personnel et original et une maîtrise de la narration graphique à court terme (pour certains, déjà, à long terme).
J’ai essayé ici de sélectionner, à destination des lecteurs de phylacterium, les 10 blogs qui m’ont paru les plus intéressants parmi les 30 sélectionnés. Les votes sont ouverts jusqu’au 10 janvier, donc n’hésitez pas à voter vous aussi et soutenir les blogueurs qui vous semblent les plus prometteurs.

Il y a d’abord trois blogueurs que j’ai déjà dû évoqué dans mes articles et dont je suis un spectateur régulier. Ils tiennent leur blog depuis plus d’un an et sont connus pour leur style graphique bien particulier. Tim, sur son blog A cup of tim utilise exclusivement des feutres, ce qui lui permet une réalisation rapide et des notes très colorées. Il mêle anecdotes de vie et récits oniriques où sa bonne maîtrise de la couleur donne des effets souvent prenants. Jean-Paul Pognon (http://jeanpaulpognon.canalblog.com/), grand amateur de Trondheim auquel il emprunte souvent le style et l’humour, livre de courtes planches ironiques. Il a renouvelé son blog avec une nouvelle série, Super Pognon, un super héros qui résout les problèmes avec de l’argent. Et enfin, mon chouchou, Eliascarpe, héros du blog Comme un poisson hors de l’eau que j’avais déjà évoqué dans un article précédent (Phantasme) et dont j’adore toujours autant l’humour décalé et le style réalistico-comique.

A côté de ces têtes connues, d’autres concurrents sont tout autant de bonnes surprises que je connaissais moins et que je vous fais ainsi découvrir.
Sur son blog, Fred Noens ( http://frednoens.over-blog.com/ ) cultive le srip minimaliste, mettant en scène les dialogues de deux oiseaux. Un air connu, sans doute, mais le trait est soigné et le dessin expressif. Parcourez les archives pour perdre plusieurs heures à rire. Le blog Une frite dans les fesses est une parodie de blog qui regarde du côté de l’humour crétin et décalé : son héros, Gaylord, dont l’âge mental ne doit pas dépasser celui d’un enfant de 3 ans, raconte d’étranges anecdotes de vie. L’humour comme le style lorgnent du côté de l’underground, de Ferraille ou Winschluss, par exemple.
De nombreux blogs reprennent des formules déjà éprouvées dans les blogs de dessinateurs professionnels, mais le font très bien. Ainsi peut-on rapprocher le blog de Mathias (http://leblogdemathias.blogspot.com/ ) de celui de Marion Montaigne : il illustre régulièrement une originalité de la langue française en variant souvent le style graphique ou narratif, ou la technique. Celui du professeur horreur (http://professeurhorreur.blogspot.com/) doit beaucoup, comme il l’avoue lui-même, à Bastien Vivès : même humour cynique, même traitement par des strips noir et blanc.
C’est pour leur graphisme que je garderais les blogs de Chanouga (http://chanouga.over-blog.com/) et Martin (http://monkeyworst.blogspot.com/). Ils présentent sur leurs blogs des illustrations et des planches. Chanouga, blogueur depuis 2006, est connu pour ses histoires de sirènes et ses créatures monstrueuses ; il allie une grande maîtrise des couleurs et des cadrages étranges qui me rappellent le style d’Yslaire. Quant à Martin, il expérimente des techniques variées (dessin traditionnel, collage, noir et blanc…), au rendu graphique très intéressant. Il présente sur son blog des esquisses de certains projets d’albums.
Enfin, une dernière excellente surprise : le blog d’Adrien Nil (http://adriennil.over-blog.com/), qui en est déjà à sa conquième saison. L’auteur du blog, Vertron, raconte les aventures d’Adrien Nil, aventurier philosophe qui semble tout droit sorti du XIXe siècle. Dans un style réaliste, ce blog, plus proche du webcomic en ce qu’il constitue une histoire complète, dure depuis 2007 et mêle strips (saison 1), grandes aventures épiques dans le passé (saison 2 à 4) et courtes anecdotes historiques (saison 5). Il y en a donc pour tous les goûts et, outre le fait que le dessin, soigné, ait bien progressé, révélant peu à peu les talents de l’auteur, les saisons 2, 3 et 4, sont de véritables albums complets de 54 pages mêlant aventure, humour et connaissances historiques.

Rendez-vous au festival d’Angoulême pour les résultats et pour la parution des deux premiers albums issus du concours révélation blog paru chez Vraoum : La ligne zéro de Lommsek et Abigail de Aseyn.

Parcours de blogueur : Lisa Mandel

Avant tout, une info essentielle pour les lecteurs de blogs bd : Frantico est revenu ! (http://www.megakravmaga.com/ )

Poursuivons doucement dans la bande de l’atelier d’illustration des Arts Déco de Strasbourg, une pépinière de dessinateurs et de blogueurs. Lisa Mandel y fut la camarade de Boulet et de Nicolas Wild que j’évoquais dans de précédents articles. Née en 1977, elle est déjà une dessinatrice prolifique et complète, à l’aise aussi bien dans la BD jeunesse que dans des oeuvres pour les adultes.

Des revues jeunesse à l’édition adulte


Lisa Mandel suit d’abord un parcours classique que l’on retrouve chez ses collègues précédemment cités et chroniqués. Après ses études aux Arts Décoratifs de Strasbourg, elle s’engage dans plusieurs revues pour la jeunesse où elle dessine ses premières séries. Son style volontairement regressif la conduit dans des revues au ton moins sage, en l’occurence Tchô ! et Capsule Cosmique. Cette dernière revue, expérience éditoriale lancée en 2004 chez Milan Presse par Gwen de Bonneval, revendique la recherche d’une autre BD jeunesse, plus impertinente et autour de thématiques nouvelles et de graphismes moins traditionnels. La revue fait se cotoyer des auteurs de BD adulte talentueux, dont certains sont issus de l’Association (Stanislas, David B…) et des débutants comme Lisa Mandel, mais aussi Riad Sattouf et Mathieu Sapin (qui ont tout deux commencé à publier au début des années 2000). Elle y crée la série Eddy Milveux, jeune garçon possédant une blatte magique capable de réaliser des voeux. Malheureusement, Capsule Cosmique s’arrête en 2006. Quant à Tchô, où elle retrouve Boulet, elle y dessine les aventures de Nini Patalo, une autre histoire loufoque d’une petite fille qui, dont les parents disparaissent par magie et qui se retrouve seule avec son canard en peluche devenu vivant et Jean-Pierre, un homme préhistorique décongelé. Les deux séries lui donnent l’occasion de publier ses premiers albums. Progressivement, par ses séries et son humour original, elle s’est imposée comme une figure de l’illustration pour enfant.
Mais Lisa Mandel ne s’arrête pas là et tente aussi l’aventure de la BD adulte avec des albums plus personnels où elle montre qu’elle ne fait pas qu’elle peut aussi quitter le registre de l’humour. C’est ce qu’elle explique dans une interview donné à 20minutes à l’occasion du festival d’Angoulême : « J’étais cataloguée « petits machins rigolos ». Mais depuis quelque temps, je suis sorti du rayon jeunesse grâce à mon blog où j’abordais des thèmes différents. Avec cet album [Esthétique et filatures], j’ai atteint le statut d’auteur. Même s’il y a encore de l’absurde et du rigolo dedans. » . Commence alors pour Lisa Mandel, sans qu’elle abandonne complètement le dessin jeunesse, une nouvelle phase de son travail, moins marquée par l’humour. Les sujets qu’elles abordent sont clairement adultes, voire même graves et sérieux. Princesse aime princesse, publié en 2008, a détourne les schémas classiques du conte de fées pour raconter une histoire d’amour lesbienne. Esthétique et filatures, qu’elle scénarise avec Tanxxx, une autre célèbre blogueuse, au dessin, traite aussi, mais dans un univers plus sombre, du destin d’une jeune lesbienne. Nommé au festival d’Angoulême, l’album connaît ainsi une petite publicité. Enfin, avec HP, son dernier album sorti en septembre dernier, elle sort de la fiction pour proposer une suite d’histoires courtes où elle donne la parole à des infirmiers d’hôpitaux psychiatriques. Un album qu’elle avait, dit-elle, depuis longtemps en projet pour témoigner de l’évolution d’un métier et surtout d’un milieu peu connu du public.

Le blog de Lisa Mandel : un blog d’expatrié


Le blog de Lisa Mandel, « Libre comme un poney sauvage » apparaît sur la toile en 2005, suivant de près la première génération de blogueurs. Il ne s’agit pas pour elle de dessiner des anecdotes de vie ; ce blog a un objectif plus concret, un événement déclencheur : le long séjour qu’elle fait en Argentine en 2005. Lisa Mandel a déjà voyagé, au Sénégal et au Cambodge, mais elle décide cette fois de raconter son périple en BD, sous la forme d’un blog. Rappelez-vous Nicolas Wild : nous sommes là dans la formule du blog d’expatrié qui s’identifie au carnet de voyage, genre littéraire riche d’une longue tradition. Comme le blog de Boulet, celui de Lisa Mandel offre un graphisme étudié loin des formes plus artisanales qui sont celles des blogs bd ; le site est d’ailleurs réalisé par designfacility, un studio de création sur le web. Lisa Mandel y raconte donc son séjour en Argentine en mêlant des anecdotes classiques, impressions de voyage et réflexions sur l’écriture et la BD. Il évolue progressivement et s’enrichit de rubriques : vente aux enchères, infos sur les dédicaces… Lisa Mandel en prévoit même une version anglaise et espagnole, encore en travaux.
En 2006, le blog est édité en album dans la collection Shampooing de Lewis Trondheim, comme de nombreux autres blogs bd.
A côté de son blog principal, Lisa Mandel participe à la blogosphère par d’autres biais. Elle participe à la deuxième édition du festiblog. Elle est aussi une des cinq « chicous » du blog Chicou-chicou, où elle incarne le personnage de Juan, séducteur invétéré et bisexuel. Ayant participé aux premières 24heures de la BD en 2007, on la trouve dans Boule de neige, le collectif réuni à cette occasion par Lewis Trondheim.

Depuis novembre 2009, à la grande joie de ses fans, Lisa Mandel a réouvert son blog qui était resté en suspens après son retour d’Argentine. L’occasion en est, évidemment… son retour en Argentine jusqu’en janvier.

L’expressivité d’un style

Si Lisa Mandel fait appel à un style enfantin, assez proche de Reiser dans sa facture volontairement brouillonne, ce n’est qu’une façon de brouiller les pistes. Une esthétique très particulière, peut-être déstabilisante pour qui n’en a pas l’habitude mais que Lisa Mandel utilise aussi bien pour ses albums humoristiques pour enfants que pour des albums adultes. Elle reprend là une tradition de la BD underground du « dessin laid » qui ne recherche pas la perfection esthétique et la clarté mais vise au contraire une forte expressivité qui renforce les effets et, indirectement, humanise le dessin ; expressivité efficace aussi bien pour des scènes comiques que pour des scènes plus dramatiques. Sur son blog comme dans certains de ses albums, elle utilise une mise en page libre supprimant volontairement la traditionnelle case qui peut là encore rappeler Reiser, mais aussi les carnettistes de l’Association, Sfar et Trondheim. (note)
La richesse de Lisa Mandel réside dans cette opposition entre un style en apparence désordonné et enfantin et des réflexions qui, à bien y réfléchir, sont plus profondes qu’il n’y apparaît. C’était déjà perceptible dans ses premières séries pour enfants où le non-sens masquait un humour subtil dans son absurdité. Les albums pour adultes viennent confirmer cette capacité qui donne à son graphisme simple un fort pouvoir de suggestion qui fait passer des émotions et des idées. De véritables obsessions ressortent, tissant des liens entre le monde de l’enfance et le monde adulte : la naissance du sentiment amoureux, le pouvoir à la fois stimulant et destructeur de la folie, la force de l’imagination enfantine. Dans son dernier album, HP, édité par la très sérieuse maison l’Association, elle explore une voie documentaire tout en se servant de son graphisme pour représenter la folie et la monstruosité. Elle troque ses habituelles aquarelles pour un noir et blanc réhaussé de orange qui insiste sur les scènes critiques des étranges récits des infirmiers psychiatriques.

Bibliographie :
Nini Patalo, Glénat, 2003-2009
Chansons pour les yeux, Delcourt, (collectif) 2004
Eddy Milveux, Milan, 2004-2005
L’île du professeur Mémé, Milan, 2006
Libre comme un poney sauvage, Delcourt, 2006
Boule de neige, Delcourt, 2007
Chicou-Chicou, Delcourt, 2008
Princesse aime princesse, Gallimard, 2008
Esthétiques et filatures, Casterman, 2008
HP, L’Association, 2009

Webographie :

L’ancien blog de Lisa Mandel : Libre comme un poney sauvage (il faut passer par les archives pour lire le blog)
Le nouveau blog de Lisa Mandel : http://lisamandel.net/
Les citations sont tirées des deux interviews suivantes :
Bodoï – Lisa Mandel ausculte l’hôpital pschiatrique
20minutes – Lisa Mandel de la cour de récré à la cour des grands

Internet et l’édition de bande dessinée : le projet Manolosanctis

Comme Yannick Lejeune nous l’expliquait en novembre dans cet interview, la Bd numérique est une notion qui recouvre de nombreuses et hétérogènes réalités qui, pour la plupart, ne sont encore que des projets en devenir. Celle qui nous intéresse aujourd’hui tient à la façon dont Internet a amené à la création de maisons d’édition qui s’approprient les potentialités d’Internet à travers des projets, des choix éditoriaux et des méthodes commerciales. Internet commence à autoriser quelques changements dans le petit monde de l’édition de bande dessinée, changements encore assez peu perceptibles pour le grand public, mais néanmoins significatifs. J’illustrerais mon propos par l’exemple des éditions Manolosanctis (http://manolosanctis.com/), ce qui me permettra de vous présenter un chouette album, Phantasmes, sorti ce mois-ci, et qui révèle les talents de nombreux blogueurs bd…

Manolosanctis et l’édition de BD en ligne

La maison d’édition Manolosanctis a été créée en septembre 2009 par trois fondateurs (Arnaud Bauer, Maxime Marion, Mathieu Weber) dans le sillage de nombreuses autres éditeurs et hébergeurs de bande dessinée sur internet comme les éditions Lapin (2005) Foolstrip (2007) ou Webcomics.fr (2007) (des noms que j’évoquais dans un ancien article, Internet et la bande dessinée). Elle se situe dans le même crêneau éditorial que Foolstrip, à laquelle elle emprunte d’ailleurs certaines caractéristiques : l’accompagnement des auteurs par une rémunération en droits d’auteur, un intérêt porté aux blogueurs bd débutants, une politique d’édition de beaux albums papier qui vient s’ajouter à l’édition, courante, de BD en ligne. Quelques différences apparaissent toutefois : Manolosanctis se veut moins traditionnelle que Foolstrip, plus clairement orientée sur les potentialités et les ideaux du web. Là où Foolstrip se limite à l’édition numérique ou papier, mettant en avant un souci de qualité constante et de meilleur contrôle des contenus disponibles, Manolosanctis est aussi un simple hébergeur dans la mesure où n’importe quel dessinateur peut y publier ses dessins à la communauté de membres inscrits sur le site. Dans l’idéal, le système fonctionne comme suit : les auteurs postent leurs albums, puis les lecteurs et les autres auteurs donnent leur avis et font ainsi buzzer certains albums qui deviennent plus accessibles à partir de la page d’accueil. Les lecteurs laissent des commentaires sur les albums qu’ils lisent pour faire éventuellement progresser le jeune dessinateur. Les fondateurs utilisent pour ce mode de fonctionnement le terme de « comité de lecture permanent », dans le sens où les internautes sont de fait invités à participer aux choix éditoriaux. Une expérience semblable existe depuis 2007 aux Etats-Unis, sous le nom de Zuda Comics. Fondé à l’initiative de DC, un des grands éditeurs de comic books américains, le site organise tous les mois une compétition entre dix comics mis en ligne par des auteurs débutants. Les internautes sont invités à voter et les gagnants peuvent signer un contrat et voir leur comics publié. La différence notable est que l’accent y est véritablement mis sur la notion de « compétition », plus ouvertement que sur Manolosanctis.
L’accent est mis, on l’aura compris, sur les potentialités « communautaires » d’internet. Un forum et un blog viennent compléter le site principal, ainsi qu’une inscription dans les réseaux sociaux Facebook et Twitter. C’est bien sûr là une des utopies d’Internet : l’idée que le web favoriserait les contacts humains, le partage des opinions et des contenus, la « démocratie » au sens large du terme. Comme il est indiqué dans la présentation : « [Manolosanctis] permet à ses membres de participer activement à ses choix éditoriaux ». Il faut aller chercher le modèle du côté de Dailymotion qui, d’hébergeur vidéo, s’est mué en promoteur de vidéastes et de créateurs. Une pierre de plus dans le jardin de ceux qui veulent qu’Internet favorise la création artistique est restreignant au maximum les contraintes économiques. Manolosanctis emprunte d’ailleurs à Dailymotion l’idée d’un label de créateur, « creative contents », ici appelé « creative commons » qui garantit à l’auteur un respect de ses droits d’auteur conforme à la loi.

Personnellement, je suis toujours un peu réticent face à l’excès de « participativité » de ce type de projet. Ne serait-ce que parce que l’emploi inconditionnel des termes « participatifs » et « communautaires » a tendance à m’agacer. Ce qui est bien avec une maison d’édition, c’est aussi lorsque les choix éditoriaux sont clairs et reconnaissables, et faire confiance aux internautes bédéphiles est une solution qui m’apparaît un peu dangereuse. A sa décharge, Manolosanctis semble vouloir équilibrer les choses par une double politique d’édition qui sépare publication en ligne libre et moins contrôlée et édition papier plus exigeante, car comme il est précisé plus loin : « Le choix des ouvrages publiés en version papier s’effectue par un processus original combinant préférences de la communauté et sélection éditoriale. ». L’édition papier reste ici la garantie d’une qualité plus élevée.
Je trouve que la comparaison avec Dailymotion est d’autant plus intéressante qu’elle révèle un dilemme qui est celui de la célèbre plateforme de vidéos et qui pourrait bien arriver à Manolosanctis. Dans les deux cas, il y a une séparation entre deux objectifs certes complémentaires, mais néanmoins différents : l’hebergement et l’édition. Manolosanctis est d’abord hébergeur : il accueille des planches de BD, y compris des extraits d’albums édités chez d’autres éditeurs indépendants (Onapratut, Les enfants rouges, Bakchich, Le moule à gaufres), de la même manière que Dailymotion héberge des vidéos de France Inter ou Rue89. Le travail d’hébergeur suppose un suivi et une exigence moindres vis à vis des contenus qui doivent surtout être investis par la communauté de fans. Le travail d’éditeur, deuxième facette de Manolosanctis, est très différent puisqu’il s’agit cette fois d’insuffler une politique éditoriale, de garantir la rémunération des auteurs, d’assurer la publicité des albums. C’est un travail beaucoup moins passif et qui suppose cette fois une sélection et des choix. Dailymotion a trouvé une solution intermédiaire, son label « creative contents » qui empêche un trop grand n’importe quoi.
Dernier détail : le travail d’éditeur suppose aussi des moyens financiers. Contrairement à Foolstrip, qui demande au lecteur un abonnement mensuel, l’accès à Manolosanctis est entièrement gratuit. Il se rattrape donc sur les albums papier et sur les subventions du Centre National du Livre. Reste donc à voir si le projet tiendra sur la longueur et pourra notamment assurer une rémunération suffisante aux jeunes auteurs pour rester à la fois attractif et compétitif.

Que lire sur Manolosanctis ?

Vous l’aurez compris, la possibilité pour n’importe quel dessinateur de publier ses dessins oblige le lecteur à concevoir son propre degré d’exigence et ses propres choix. Quelqu’un qui ne chercherait que des bandes dessinées abouties pourrait être un peu perdu : un grand nombre de planches publiées sont des travaux certes honorables pour des débutants, mais qui n’aurait pas forcément leur place dans une librairie. Doit-on par exemple se diriger vers les « buzz du jour » en faisant confiance à l’avis des internautes ? Doit-on au contraire lire transversalement des dizaines de pages avant qu’une d’entres elles nous accroche le regard ? Ou bien doit-on se contenter d’aller voir les planches d’auteurs que l’on connaît déjà, par leur blog, par exemple ? Au final, chaque utilisateur dessine son propre modèle d’utilisation du site.
Ayant très certainement compris que le site ne pouvait fonctionner que si un maximum de choix était laissé à la disposition lecteur, le site multiplie le nombre de portes d’accès vers des albums : par thèmes, par auteur, par albums les plus plébiscités… Chaque internaute doit ainsi avoir le sentiment de sélectionner lui-même ce qu’il pourra aimer, d’être guidé dans ses choix propres. L’interface de lecture plein écran est plutôt bonne et simple d’utilisation.
J’ai particulièrement apprécié la possibilité de lire des extraits d’albums d’autres maisons d’éditions. De nombreux éditeurs de BD, y compris les plus grands, y viennent progressivement. Bien sûr, on peut aussi donner son avis, soit par un vote, soit par un commentaire plus complet et se voulant constructif, exercice toujours très délicat à manipuler. Enfin, Manolosanctis édite en format papier les auteurs qui recueillent le plus de suffrages et correspondent à la ligne éditoriale.
Une dernier chose : le projet Manolosanctis ne fait que commencer, on ne trouvera donc que trois albums papiers édités pour le moment… Dont un que j’ai testé pour vous.

Phantasmes
ou les espoirs de la blogosphère


Si je vous parle de Manolosanctis, ce n’est ni parce qu’ils m’ont payé pour le faire, ni par caprices, mais parce que j’ai découvert chez eux, récemment, un album qui mérite une attention toute particulière. Il s’agit d’un collectif édité en format papier et livré par Manolosanctis en 48h (ce que je peux confirmer ?). Cet album m’a intéressé pour deux raisons : d’abord parce qu’il est réussi, ensuite parce qu’il révèle quelques dessinateurs talentueux de la blogosphère.
Il s’agit d’un recueil réunissant les contributionss d’un concours lancé en septembre-octobre et parrainé par une des plus célèbres blogueuses bd, Pénélope Bagieu. Des centaines de blogueurs bd y ont répondu et parmi eux, une vingtaine de récits courts (à chaque fois environ huit pages) ont été sélectionnés pour composer le recueil intitulé Phantasmes, épais volume de 176 pages. Le thème était donc ce même titre mystérieux qui pouvait laisser libre cours à tout type de récits : humoristiques, tragique, fantasmagoriques… C’est ce qu’on trouve dans le recueil final et qui fait l’une de ses qualités : une grande diversité de thématiques et de traitement graphique et narratif. On trouvera bien sûr des histoires légèrement érotiques, mais pas uniquement. Tout ne m’a pas absolument plu mais force est d’avouer que, pour des débutants (la plupart des auteurs n’ont jamais publié d’albums), le niveau est bon et le recueil réserve de bonnes surprises.
J’y ai retrouvé quelques noms connus de la blogosphère bd et j’en ai découvert d’autres. J’attendais avec impatience les contributions de certains de mes blogueurs préférés : Manu xyz, Esther Gagné, Eliascarpe, Lommsek. Ce sont tous des blogueurs de la deuxième génération, qui débutent leur blog à partir de 2007-2008. Manu xyz nous livre avec L’antichambre un hommage velouté à l’hédonisme et au plaisir des sens, dans son style hyperréaliste proche de Solé et Alexis, avec une ambiance retro-IIIe République. Eliascarpe reste fidèle à ses deux personnages fétiches, Elias et Zack, et à son humour efficace.
Beaucoup de ces récits souffrent malheureusement du format réduit et on aimerait souvent en voir plus. Chez Esther Gagné ou Lommsek par exemple, on sent que le format de huit pages est un peu contraignant, et on espère une suite, un développement qui n’existe pas. Le récit d’Esther Gagné se veut avant tout psychologique, progressif, pour s’immerger dans l’esprit d’une fan dont la vie finit par tourner autour d’un acteur célèbre. Son style sobre et réaliste inspiré par Miyazaki, tout en noir et blanc, s’accorde parfaitement avec l’histoire.
Je découvre aussi des talents dont j’ignorais l’existence. Parmi eux Léonie dont le récit Smog met en images l’invasion de l’horreur dans le quotidien, opposant un style plus traditionnel à un traitement plus gothique de cauchemars abjects et innommables. Les couleurs oppressantes et déstabilisantes y sont bien utilisées. C’est le même sujet que traite Thomas Gilbert : l’irruption de l’horreur dans le quotidien, mais avec un trait plus fin. Ce dernier auteur a à son actif deux albums édités que je n’ai pas lu, mais dont je vous donnerais des nouvelles si j’en ai l’occasion : Bjorn le Morphir chez Casterman et Oklahoma Boy chez Manolosanctis.

Soyons honnêtes : j’ai aussi apprécié le recueil pour son caractère expérimental. Je ne l’aurais sans doute pas acheté en librairie, face à des milliers d’autres albums d’auteurs que je sais extrêmement talentueux et reconnus. Sans que je sache si je suis représentatif des utilisateurs d’objets culturels via internet, j’ai le sentiment qu’Internet donne une certaine marge de manoeuvre à la qualité : on n’est davantage enclin à se montrer indulgent. J’ai de moins en moins de doutes sur le fait qu’Internet favorise l’éclosion et la valorisation de jeunes talents qui auraient eu, en temps normal, plus de mal à se faire un nom. Le défi que les acteurs d’Internet ont à relever à présent, dans la BD comme dans les autres secteurs culturels, et d’être capables de suivre la carrière de ces jeunes auteurs et de ne pas s’arrêter à la seule découverte.

Pour en savoir plus :
Sur les maisons d’éditions en ligne :

Zuda comics
Les éditions Lapin
Foolstrip
Webcomics.fr
Manolosanctis
Sur l’album Phantasmes et ses participants :
Consulter les récits courts de Phantasmes : http://manolosanctis.com/theme/phantasmes
Le blog d’Eliascarpe : Comme un poisson hors de l’eau
Le blog d’Esther Gagné : La lanterne brisée
Le blog de manu xyz : Coins de carnets
Le blog de Lommsek : Schaïzeuh
Le blog de Léonie : On the road to nowhere
Le blog de Thomas Gilbert : Profondville

Parcours de blogueurs : Nicolas Wild

Les blogs bd racontent des anecdotes de vie en BD, certes. Mais ceux de Nicolas Wild, ainsi que ses albums, racontent des anecdotes de vie en direct de l’Afghanistan ou de l’Iran. Présent depuis longtemps sur internet, il a encore peu d’albums à son actif mais la sortie de son blog en format papier en 2007 sous le titre Kaboul disco l’avait fait connaître auprès du public. S’inscrivant dans la mouvance récente des récits de voyage en BD à visée documentaire, les travaux de Nicolas Wild ont sur les autres blogs bd ont l’avantage incontestable du dépaysement.

Nicolas Wild se forme dans l’atelier d’illustration des Arts Décoratifs de Strasbourg, où il se trouve en compagnies d’autres futurs éminents blogueurs : Boulet, Reno, Lisa Mandel et Erwann Surcouf. Comme beaucoup de dessinateurs, il commence par l’illustration pour enfants en réalisant en 2004 quelques dessins pour Fleurus Presse. Sa toute première bande dessinée est éditée en 2000 chez un tout petit éditeur, les Oiseaux de Passage (elle peut se lire ici : Le Bourreau, très influencée par Lewis Trondheim). Puis, avec Boulet et Lucie Albon, il co-scénarise un album, Le voeu de Marc, publié, à plus grande échelle cette fois, à La boîte à bulles en 2005.

Le blog comme carnet de voyage

Entre temps, Nicolas Wild s’est installé sur la toile avec son site internet, comme de nombreux dessinateurs. En 2003, à l’occasion d’un séjour de six mois en Inde, il publie régulièrement, sur ce site, des dessins et des photos, comme des impressions de voyage (Six mois dans le sud de l’Inde ). C’est le début d’une des principales thématiques de ses travaux suivants : le voyage, car Nicolas Wild adore voyager. Internet est alors un moyen de communiquer avec la France et de raconter une expérience, de donner des nouvelles ; c’est un autre aspect du « blog » (même si les blogs n’existaient pas encore à l’époque) qui se dévoile ici, quittant les rivages du quotidien qu’on lui connaît habituellement. Mais paradoxalement, c’est en rentrant en France qu’il se lie au mouvement des blogs bd en lançant son propre blog fin 2004 sur la plateforme 20six (une plateforme bien connue des blogueurs de la première génération). Sur ce blog intitulé « Pangolin », il romance sa vie quotidienne à Paris, un peu à la manière de Boulet (le blog n’existe plus mais quelques extraits ici http://n.wild.free.fr/BD/paris.htm ).
Et puis, en 2005, il reçoit une proposition de travail dans une agence de communication en Afghanistan. C’est le début d’un long séjour dans ce pays qui donnera naissance à l’album Kaboul Disco. Il trouve là le pretexte à un album qui, comme il l’explique lui-même, dépasse le simple stade du blog par une scénarisation plus complexe. L’album sort en 2007, toujours à la boîte à bulles qui, décidément, s’intéresse aux jeunes blogueurs. Un second tome sort en 2008.
Nicolas Wild retrouve le format du blog en avril 2008 pour évoquer cette fois un séjour en Iran, mais où il revient aussi sur l’Afghanistan (From Kabul with blog). Ce blog est abrité sur la plate-forme de blogs du Monde, lui donnant ainsi une visée journalistique et documentaire. Dans ce domaine aussi les blogs sont, pour des journalistes, un bon moyen de renouer avec l’instinct du reporter vivant au jour le jour l’actualité que l’on entend à la radio, se posant en témoin. (le site du Monde accueille de nombreux blogs de voyage, mais, par exemple, je vous conseille le blog de Justine Brabant, Dakar entre quatre yeux ). Le blog est une forme renouvellé du carnet de voyage, plus rapide, plus efficace, et permettant de toucher un plus vaste public. Et le voyage donne un sens au blog, à plus forte raison à un blog bd où l’image et le récit se mêlent pour approfondir les impressions de voyage.

Bande dessinée et carnet documentaire
En lisant Kaboul Disco, on ne peut s’empêcher de penser aux nombreux albums récemment publiés traitant, eux aussi, de la vision d’un dessinateur dans un pays lointain. Emmanuel Guibert est un des principaux représentants de ce courant qui se développe particulièrement dans les années 2000 avec sa série Le Photographe, publiée chez Dupuis de 2003 à 2006. Mais Nicolas Wild, graphiquement, se rapproche davantage du Canadien Guy Delisle et de sa série de carnets de voyage (Schenzhen en 2000, Pyonyang en 2003, Chroniques birmanes en 2007). Notons aussi un album du Suisse Pierre Wazem, Presque Sarajevo, paru en 2002, traitant là encore du même thème avec le même trait synthétique. Mais rappelons-nous aussi que l’un des premiers à se servir de la BD pour témoigner de la réalité quotidienne d’une situation difficile est Joe Sacco qui publie ses carnets de voyage dans des zones sensibles du continent européen : la Palestine en 1992-1993, la Bosnie en 1994-1995. Joe Sacco ouvre ainsi la voie à un travail de dessinateur qui se rapproche de celui du journaliste-reporter.
C’est dans cette mouvance des dessinateurs globe-trotter qu’il faut replacer Kaboul Disco. Nicolas Wild a peut-être en tête les travaux de Delisle lorsqu’il commence son blog. Il partage avec les titres cités de nombreux points communs, et en particulier une volonté didactique : l’enjeu est de présenter au lecteur un pays mal connu en France en insistant à la fois sur les aspects du quotidien et sur l’expérience personnelle de l’auteur. La dimension autobiographique est utilisée pour faire du dessinateur un témoin, le plus souvent passif par rapport à l’action et véhiculant un regard étranger et curieux proche de celui du lecteur. (C’est là tout le propos du Photographe de Guibert : être dans l’oeil du photographe, l’image devenant ainsi dépendante du commentaire propre au narrateur). L’exotisme est évacué au profit d’un récit du quotidien qui s’intéresse davantage aux personnes et ne prétend pas à la beauté des paysages. Le but n’est pas non plus politique : les dénonciations sont présentes, mais pas violentes ou dramatisées. Bien au contraire, ce sont des récits parcourus par les incertitudes de l’auteur qui pose la question de son rôle sur place, de ses convictions et de ses hésitations (dans la boîte de communication où il travaille, Nicolas Wild hésite à . Il est là non pas pour se battre mais le plus souvent pour exercer son travail de dessinateur. Nicolas Wild est en Afghanistan pour réaliser une BD didactique à destination des petits afghans, Yassin et Kâkâraouf. Son seul objectif est de témoigner, au sens le plus neutre du terme, sans pathos, de raconter une expérience qui sort de l’ordinaire mais colle à la réalité.
La réduction du trait vers le schématisme accentue cet effet, chez Nicolas Wild, mais aussi chez Delisle ou Wazem, en concentrant le lecteur sur les dialogues et les situations et en donnant une large place au dialogue intérieur de l’auteur. On trouve donc finalement ces deux dimensions dans Kaboul Disco et dans les blogs de Nicolas Wild : un récit autobiographique par la forme (suite d’anecdotes, vie quotidienne, récit intérieur) mais où la vie de narrateur est dépassée par l’enjeu documentaire d’une situation politique hors norme pour nos civilisations occidentales.
Il faut bien l’avouer, on ne retrouve pas chez Nicolas Wild le dynamisme synthétique et l’humour de Delisle. Kaboul Disco n’est pas exempte de défauts et de longueurs, se concentrant surtout sur le milieu des expatriés et n’exploitant pas toujours tout le potentiel de ses histoires. Mais le récit reste sympathique et instructif ; on y trouve de belles trouvailles et le trait de Nicolas Wild permet une lecture rapide. Son blog tenu en 2008-2009 sur l’Iran montre aussi que le carnet de voyages s’adapte très bien à une lecture de petits épisodes au jour le jour, peut-être davantage qu’à un album. Personnellement, je trouve que les notes sont l’Iran montrent un progrès dans l’écriture de Nicolas Wild, la narration est mieux gérée, les notes sont plus inventives, mêlant textes, dessins et photographies (et en plus disponible gratuitement sur Internet !). Peut-être est-ce là le début d’une nouvelle carrière de dessinateur-reporter…

Bibliographie :
Le voeu de Marc (co-scenario de Boulet, dessin de Lucie Albon) La Boîte à Bulles, 2005
Kaboul Disco, La boîte à bulles, 2007-2008 (2 tomes)

Webographie :
Le blog actuel de Nicolas Wild, From Kabul with blog
Le site internet de Nicolas Wild (pas récemment mis à jour) : http://n.wild.free.fr/
Les premières pages à lire de Kaboul Disco sur le site de l’éditeur : Kaboul Disco
Une interview de Nicolas Wild sur bdencre : rencontre avec nicolas wild

D’autres titres de dessinateurs-reporters à découvrir :

Joe Sacco, Palestine, Vertige Graphic, 1996 (2 tomes)
Joe Sacco, Gorazde, Rackham, 2004 (traduction de l’anglais)
Guy Delisle, Schenzhen, L’Association, 2000
Guy Delisle, Pyonyang, L’Association, 2003
Pierre Wazem, Presque Sarajevo, Atrabile, 2002
Emmanuel Guibert, Le photographe, Dupuis, 2003-2006 (2 tomes)