Archives pour la catégorie Bande dessinée numérique

Parcours de blogueurs : Libon

Après l’art décoratif retro et savant de Nancy Peña, retour vers un registre plus léger mais non moins complexe : l’humour. Parmi la fine équipe de blogueurs regroupés autour de Boulet au début du mouvement, on trouve l’un de ses collègues dessinateurs de Tchô !, Libon. Graphiste avant de devenir auteur de bande dessinée, Libon, qui a encore assez peu d’albums à son actif, pratique un humour idiot et joyeusement régressif. C’est avec sa compagne Capucine, elle aussi dessinatrice, qu’il tient depuis le début de l’année 2005 le blog turbolapin, amas hétéroclite d’anecdotes, de roman-feuilleton, d’annonces de dédicaces et de projets…

Du graphisme à la BD

Avant d’arriver à la bande dessinée, Libon, né en 1972, est infographiste, travail qu’il exerce après des études aux Beaux-Arts de Beauvais puis dans une école de graphiste. Il se démène donc dans l’industrie du jeu vidéo pendant cinq ans puis décide de se tourner vers la bande dessinée.
Il commence d’abord dans le Psikopat, un célèbre fanzine dirigé par Carali, le père de Mélaka, une autre blogueuse, fanzine qui publie surtout des dessinateurs débutants voire des amateurs. Puis, doucement, il trouve sa place dans des revues de bande dessinée. C’est dans Spirou qu’il publie sa première série en 2004, Jacques le petit lézard géant. Depuis cette date, il est un collaborateur régulier de ce journal et ajoute à son palmarès une participation dans Tchô !pour Le Miya de Boulet et surtout une première série adulte en 2006 dans Fluide Glacial, Hector Kanon. Là encore, il participe depuis, régulièrement, à cette revue. En quelques années, Libon s’est fait une petite place dans le domaine de la BD humoristique. Il se joint au mouvement des blogs dès 2005, à ce moment où la blogosphère était encore composé de collègues dessinateurs désireux de donner des nouvelles dessinées à leurs amis et à d’éventuels lecteurs anonymes.

Turbolapin, le blog de Capu et Libon
Ce blog, appelé aussi Mouton-Benzène Luxe, fait partie des quelques blogs bd à quatre mains qui peuplent la toile (citons aussi le Loveblog de Gally et Obion et Bruts de Raphaël B. et L’Esbroufe. Il est peuplé par Libon, Capu, deux dessinateurs aux styles très différents, par leur fille Lenka et par leur chat Lapin. Ce blog n’a jamais eu une régularité exceptionnelle et les notes soignées y sont rares ; il faut le situer comme le bric à brac personnelle du couple Capu et Libon, leur espace d’expression et de dialogue sur la toile.
On y trouve tout de même, en cherchant bien, l’humour de Libon et les pin-up de Capu, ainsi que des expérimentations étranges dans l’esprit décalé du couple. Le roman-feuilleton Sophia, parodie d’une sorte de film d’espionnage de série B à tendance érotique est un objet totalement non identifié dans la blogosphère et mérite certainement le coup d’oeil (Sophia, les poumons de la capitale). Il y a aussi les 2160 gags automatiques générés aléatoirement, expérience loufoque au possible, réminiscence de l’Oubapo (2160 gags de Popo et Lolo Poche ). En somme, le genre de blog bd dont on attend pas forcément des notes impeccables, mais qu’on se plait à parcourir.

Enfance et humour regressif

Mais revenons plus précisément à Libon et à ses albums car heureusement pour les fans de Mouton Benzène, si le blog n’est que trop peu mis à jour, plusieurs des séries que Libon dessine dans divers magazines sont sorties en album. A première vue, on pourrait dire qu’il oscille entre la BD d’humour jeunesse et la BD d’humour adulte, entre Spirou et Fluide Glacial… A première vue seulement car, fondamentalement, Libon emploie un humour détaché des âges et des générations, cet étrange humour dont la BD a le secret, l’humour regressif. L’avantage de l’humour regressif, c’est qu’il marche aussi bien sur les enfants que sur les adultes… Si les thématiques changent d’un public à l’autre, l’humour, lui, est toujours le même, souligné par le trait caricatural et outrancier de Libon qui rappelle parfois Pétillon.
Qu’est-ce que l’humour regressif, me direz-vous ? Pour reprendre une analyse de Thierry Groensteen dans La bande dessinée mode d’emploi (Impressions nouvelles, 2007), c’est une forme d’humour qui a élu domicile dans la bande dessinée et qui consiste à raconter les aventures d’un ou deux plusieurs personnages risibles, bêtes mais généralement innoffensifs. Libon poursuit ainsi une tradition dont Daniel Goossens est un des principaux représentants dans la génération précédente. Il est un des piliers de Fluide glacial et Libon voit en lui une de ses influences. On pense aussi à un auteur moins connu mais tout à fait drôle qui s’est fait une spécialité de l’humour crétin : Charlie Schlingo. Il est lui aussi passé par Fluide Glacial, mais aussi par les grandes revues renovatrices de l’humour adulte : Charlie Hebdo, Hara Kiri, L’Echo des savanes, Le Psikopat. C’est un peu de cet héritage d’un humour gratuitement provocateur que l’on trouve chez Libon. Le comique est alors basé sur l’impression que les personnages, adultes, se comportent comme des enfants. Hector Kanon, le héros de la série éponyme, est un beauf moderne complétement irresponsable dont les combines provoquent toujours des catastrophes. Quant à Jacques, le petit lézard géant de la série toujours éponyme, ce n’est pas forcément lui qui est bête (il n’est, après tout, qu’un lézard qui a grandi après avoir reçu une mini-bombe atomique), mais les gens qu’ils rencontrent, policiers, scientifiques, militaires. (on peut lire le début de ses aventures sur cette page ). Avec ses albums, Libon reprend bien le flambeau du loufoque et de l’incohérent. Humour enfantin et humour adulte sont réunis dans une seule et même forme où la bêtise humaine est poussée à des extrêmes délirants. Si vous aimez cette forme d’humour graphique, Libon devrait être votre prochaine lecture.

Un article plus court cette semaine, mais je vous mets des références de lecture en plus en bas pour me faire pardonner !

Bibliographie :
Hector Kanon, Fluide Glacial, 2008-2009
Jacques, le petit lézard géant, Dupuis, 2008-2009
Tralaland, Bayard, 2009
Le blog Mouton-Benzène Luxe : http://www.turbolapin.com/blog/
interview de Libon : http://www.planetebd.com/BD/interview-123.html
Et si vous voulez devenir un connaisseur de l’humour idiot de ces dernières décennies :
Daniel Goossens, Georges et Louis romanciers, 1993-2006 (6 tomes), Audie-Fluide Glacial
Charlie Schlingo, Josette de rechange, Le Square, 1981, réédité cette année par L’Association.

Parcours de blogueur : Nancy Peña

Pour poursuivre le même chemin déjà emprunté avec l’article sur Boulet, je vais vous présenter aujourd’hui une autre blogueuse déjà connue comme auteur de bandes dessinées avant d’ouvrir son blog, Nancy Peña. La comparaison avec Boulet s’arrête là ; elle possède un style extrêmement différent, très personnel et reconnaissable, et ses albums ne sont pas humoristiques mais se rapprochent de l’univers du conte. Elle diffère aussi par l’utilisation de son blog, davantage espace personnel hétéroclite que carnet d’anecdotes dessinées. En réalité, elle n’appartient que périphériquement à l’univers de la blogosphère BD. Néanmoins, Nancy Peña a su utiliser l’outil internet à la fois pour mieux faire connaître son travail et pour étendre ses expériementations. Sans aucun doute une auteur à découvrir.

La passion de l’art

Nancy Peña naît en 1979 à Toulouse et développe très tôt un goût pour les disciplines artistiques. Dès 1995, elle suit des cours de dessin à l’atelier Catherine Escudié à Toulouse ( une artiste qui dispense des cours de dessin : http://www.atelier-catherine-escudie.com/index.html). Elle poursuit ensuite un cursus universitaire classique en arts appliqués (licence, maîtrise) jusqu’à obtenir, en 2002, l’agrégation qui lui permet d’être enseignante dans cette discipline, métier qu’elle exerce actuellement.
Mais à côté de cette carrière académique, Nancy Peña met en oeuvre ses talents de dessinatrice et d’illustratrice dans divers projets, dont des albums de bande dessinée. Par l’intermédiaire de Vincent Rioult, illustrateur, graveur et maquettiste à la Boîte à Bulles, elle publie en 2003 son premier album, Le cabinet chinois, chez cet éditeur indépendant encore jeune, fondé cette même année 2003 par Vincent Henry, un journaliste BD. Ce premier album reçoit auprès des critiques un bon accueil. Elle devient alors un des auteurs réguliers de La Boîte à bulles où elle continue de publier ses nouveaux albums, dont Le chat du kimono en 2007, étrange conte onirique illustré, entre le Japon et l’Angleterre et La guilde de la mer en 2006-2007, série d’aventures maritimes plus traditionnelle à base de personnages animaliers. Toujours au sein de la Boîte à bulles, elle participe aux albums collectifs Dieux et idôles et Amour et désir.
D’autres projets occupent encore Nancy Peña, qu’il s’agisse d’albums chez d’autres éditeurs (elle travaille actuellement à la suite de la série Les nouvelles aventures du chat botté commencée en 2006 chez 6 pieds sous terre), de projets d’illustration jeunesse chez Bayard et Milan ou d’autres collectifs de bande dessinée (Drozophile n°7, revue de la maison d’édition du même nom).

Présence sur la toile


Nancy Peña n’est pas une blogueuse bd au sens où on l’entend d’habitude : son blog n’est pas un journal, une suite d’anecdotes de vie, mais plutôt un carnet de croquis sur lequel elle tient ses lecteurs au courant de l’avancement de ses projets. On n’y trouvera donc pas de courtes planches de bd mais plutôt des illustrations inédites et des motifs qui traduisent bien l’univers et l’humeur de l’illustratrice. Elle entretient pourtant des liens avec le monde des blogs bd : elle fait partie de la vague des premiers blogs de dessinateurs et sa coloriste pour La guilde de la mer n’est autre que Miss Gally, une célèbre blogueuse « historique ». (http://missgally.com/blog/)
Nancy Peña utilise très tôt le net pour se faire connaître et étendre son champ d’action. Faire la « webographie » de sa présence sur la toile en dit long. Outre son blog principal (le blog actuel est le deuxième), elle possède un site internet plus ancien encore, puisqu’il date de 2003 (et n’est plus guère mis à jour depuis, d’ailleurs). Il faut encore à ajouter le site de sa série La guilde de la mer, où l’on peut se balader dans l’univers de la série ; son book en ligne ; un blog commun avec son compagnon Guillaume Long, autobiogriffue (fermé depuis). Nancy Peña a pleinement investi internet dans sa vie professionnelle et son exemple montre bien les potentialités qu’un illustrateur peut y trouver. Chacun de ses sites a une identité graphique propre et se propose comme une invitation au voyage plutôt que comme une page internet.
Et puis Nancy Peña participe activement à la sociabilité des blogueurs bd. Elle est invitée au premier festiblog en 2005 et en 2006, elle fait partie des auteurs participant, dans le cadre du festiblog, aux « miniblogs », une petite collection d’albums édités par Danger Public où l’histoire dessinée trouve un prolongement sur le net. N’oublions pas non plus que Nancy Peña est l’une des « pirates » du site Donjon Pirate, mené par Wandrille, qui a présenté sur internet, en 2006-2007 des planches de dessinateurs encore peu connus autour de la célèbre série Donjon de Sfar et Trondheim. Elle est enfin, en 2008, avec d’autres blogueurs, au sommaire de Soupir, la revue des éditions Nékomix.

Exotisme de l’espace et du temps

Le style de Nancy Peña nous fait radicalement changer d’univers, avec un petit côté retro et exotique. On sent chez elle une bonne connaissance de techniques et de périodes artistiques assez inhabituelles dans le milieu de la bande dessinée, et cette originalité est déjà une grande source de plaisir. Du point de vue narratif, ses albums ressemblent généralement à des contes, où les évènements s’enchaînent implacablement. Ses histoires se situent dans des univers bien identifiés, soit qu’ils se rapprochent d’une Europe en pleine Renaissance (La guilde de la mer, Le cabinet chinois), soit qu’ils s’ancrent dans un Orient fantasmé (Le chat du kimono). Souvent sont présents les thèmes du voyage exotique, du rêve et de l’aventure.
Du point de vue graphique, et c’est là sa grande originalité, Nancy Peña a recours à plusieurs influences très variées qui se mêlent les unes dans les autres, sans doute le fruit de sa formation d’enseignante en art. L’Orient émerge, et en particulier le style graphique des estampes japonaises… (Combat de chats) Mais pointe aussi le spectre l’illustration anglaise du XIXe siècle, gothique et victorienne à souhait (on pourra rapprocher certains de ses dessins des illustrations d’Arthur Rackham pour Alice in Wonderland)… (Deux girafes sous Louis XVIII ) Ou encore les expérimentations optiques du graveur virtuose Maurits Cornelis Escher… Ou enfin les exubérances géométriques et colorées de l’Art déco du début du siècle… (Conduite Art déco ). Toutes ces influences ont un parfum exotique, appartenant soit à des époques éloignées, soit à des pays éloignés. Elles se mélangent, offrant ainsi des images totalement inédites, et c’est là tout l’art de Nancy Peña.
Je pourrais vous parler encore d’autres caractéristiques du style de Nancy Peña pour vous donner envie de lire ses albums et suivre son blog : son goût prononcé pour l’ornement décoratif, souvent floral et envahissant ; sa connaissance des diverses techniques de gravure (sur bois, sur gravure) dont elle chercher à se rapprocher dans ses albums noir et blanc, leur donnant ainsi un aspect vieillot ; les innombrables chats qui parcourent les pages de ses travaux… Mais j’espère déjà vous avoir convaincu !

Bibliographie :
Le cabinet chinois, 2003, La boîte à bulles
La guilde de la mer, 2006-2007 (2 tomes), La boîte à bulles
Les nouvelles aventures du chat botté, 2006-2007 (2 tomes), 6 pieds sous terre
Dieux et idoles, 2006, La boîte à bulles (collectif)
Kitsune Udon, 2006, Danger public (miniblog)
Le chat du kimono, 2007, La boîte à bulles
Drozophile n°7, 2008 (collectif)
Amour et désir, 2008, La boîte à bulles (collectif)
Soupir, 2008, Nékomix (collectif)
Tea party, 2008, La boîte à bulles
Mamohtobo, 2009 (dessin de Gabriel Schemoul), Gallimard

Webographie :

Blog : http://nancypena.canalblog.com/
Premier site, Nancity : http://nancipena.free.fr/ (2003)
Site de la guilde de la mer : http://www.la-boite-a-bulles.com/guildedelamer/
www.autobiogriffue.com (fermé)

Parcours de blogueurs bd : Boulet

Je reprends le cours de ma réflexion sur les blogs bd (qui commence avec cet article) avec une nouvelle série d’articles. Je vais tenter de vous présenter un certain nombre de blogueurs, et particulièrement ceux qui poursuivent en parallèle une carrière d’auteur de bd et publient régulièrement, en format papier ou numérique. L’occasion aussi pour moi de vous faire découvrir des auteurs parfois trop peu connus en dehors de la blogosphère.

Contredisant ainsi magnifiquement ma dernière phrase, je commence avec un des blogueurs bd les plus connus, Boulet, sans doute le meilleur exemple de la possibilité qu’offre le format blog pour déployer et développer des talents. Mais Boulet est aussi et avant tout un auteur ayant déjà derrière lui une carrière, par laquelle je vais commencer. (Bouletcorp )

Un parcours solide dans la bd papier

C’est dans le secteur de la BD jeunesse que Boulet fait ses premières armes, dans le magazine Tchô !. Ce petit magazine mensuel, conçu autour du personnage à succès Titeuf de Zep, apparaît en kiosque à l’automne 1998 et fait progressivement son nid dans le paysage de la presse jeunesse française en augmentant sa pagination et son format. Mené par Jean-Claude Camano, il propose, outre la prépublication de Titeuf, des séries principalement humoristiques. Le jeune Gilles Roussel est repéré au festival de Sierre par Jean-Claude Camano et devient un des auteurs réguliers du journal avec plusieurs séries récurrentes : La rubrique scientifique et Le Miya en 2000, Raghnarok et Les Womoks en 2001 qu’il scénarise, avec Reno au dessin, une de ses anciennes connaissances des Arts Déco (Pourquoi je hais Reno ). Il signe alors Boulet, pseudonyme qu’il gardera par la suite. Sa participation à Tchô ! lui donne une discipline de travail et le professionnalise en cotoyant ses aînés. Elle lui permet aussi de publier ses premiers albums chez Glénat, qui édite le magazine de Titeuf. C’est ainsi que La rubrique scientifique, Raghnarok et Les Womoks deviennent des séries régulières dès 2001-2002, les deux derniers passant du statut de suite de gags courts à de véritables histoires suivies. Boulet y montre sa capacité à renouveler la BD jeunesse en parodiant des univers de fantasy et de science-fiction et en réalisant des albums qui, il faut bien l’avouer, ne sont pas destinés qu’aux enfants !
C’est donc surtout par Tchô que Boulet est connu lorsqu’il lance son blog en juillet 2004 (Une pub éhontée ). Mais d’autres projets vont vite venir s’ajouter à sa production déjà conséquente, et en particulier en 2006 la reprise du dessin de la série Donjon zénith crée par Joann Sfar et Lewis Trondheim qui restent au scénario. L’enjeu est de taille : Donjon est une saga à grand succès à laquelle de nombreux dessinateurs ont participé et Zénith en est la série centrale, dessinée à l’origine par Lewis Trondheim, un auteur reconnu dont le palmarès n’est plus à évoquer. Dans cette parodie d’heroic-fantasy à l’origine réalisée dans le style minimaliste de Trondheim, Boulet fait preuve d’une grande capacité d’adaptation en imposant, dès son premier album, Un mariage à part (le tome 5 de la série), l’efficacité de son propre style qui tranche nettement par un plus grand réalisme et des scènes d’action plus nombreuses et plus dynamiques. Hasard du scénario ou force du dessin de Boulet, la série quitte progressivement sa dimension entièrement parodique pour se plonger plus avant dans l’aventure héroïque. Il transforme l’essai en dessinant en 2007 le tome 6, Retour en fanfare, où les évolutions précédentes sont encore accentuées. Sa participation à la série Donjon lui permet de mettre un pied dans la BD adulte tout en restant fidèle à Tchô puisqu’il poursuit Raghnarok, sa série principale.

Les débuts du blog et ses prolongements papier
C’est principalement à travers son blog qu’il étend son public et déploie sa capacité de dessin et d’humour sur un support plus libre. Boulet fait partie de la communauté des tous premiers blogueurs, celle qui se forme avant 2005 et se compose d’auteurs, souvent professionnels, et se connaissant déjà hors du monde des blogs. Ainsi, Boulet avoue dans sa première note (Le comment du pourquoi http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20040728 ) que l’idée d’un blog lui a été suggéré par Mélaka, la compagne de Reno, le dessinateur des Womoks qui, lui-même tient un blog à ce moment-là. Parmi les autres dessinateurs, on trouve Poipoipanda, qui dessinera à partir de 2007 Ange le terrible dans Tchô !, le couple Capu et Libon (Auteur de Jacques le petit lézard géant dans Spirou à partir de 2004), Laurel et Cha qui animent avec Mélaka la rubrique 33 rue Carambole dans le même Spirou, Lisa Mandel qui dessine Nini Patalo dans Tchô !… Un petit monde qui, dans l’ensemble, se cotoie et se connaît.
Le succès rapide du blog de Boulet, intitulé Bouletcorp, vient de l’appropriation particulière que le dessinateur a de ce format. Il poste très régulièrement, et la plupart du temps au moins un strip voire une planche, ce qui n’est pas le cas de tous les blogueurs. De plus, le blog est très agréable visuellement, réalisé dans un format flash qui facilite la navigation et changeant d’habillage deux fois par an ; il est connu pour ses petits bruitages et ses monstres qui parsèment l’écran. Cette esthétique qui, là aussi, tranche avec celle des autres blogs, plus minimalistes et artisanaux, a certainement une grande part dans le succès du blog. Un public est rapidement fidélisé et Boulet devient, consciemment ou non, une importante référence de la blogosphère bd. Un tel succès n’était certainement pas prévu au départ, au moment où le noyau des blogueurs était encore restreint, mais force est de constater que son blog est devenu, pour les amateurs du genre, incontournable. C’est lui que les organisateurs du festiblog choisissent comme parrain de la première édition avec, à ses côtés comme marraine, Mélaka.
Boulet utilise le potentiel de liberté que lui offre le blog en diversifiant énormément ses dessins : parfois de simples croquis ou des anecdotes, parfois des planches très soignées, parfois des brêves en quelques cases ; il se sert également du blog pour présenter aux lecteurs ses différents travaux et séances de dédicaces. Comme sur les autres blogs, il introduit une interaction avec les lecteurs ; l’espace commentaires, par exemple, n’a jamais été fermé.
Surtout, Bouletcorp devient l’espace où bouillonne l’imagination extrêmement fertile de Boulet, le format souple permettant à cette imagination de partir dans tous les sens. Il y a en cinq ans une réelle progression, des quelques cases crayonnées aux planches et essais graphiques qui les suivent. Boulet peut y présenter un projet inachevé, réaliser la page d’un album qui n’existera jamais mais dont il rêve (Marcinelle mon amour ). Boulet joue sur le rôle habituellement attribué aux blogs, raconter en images des anecdotes de vie, en dépassant la banalité du quotidien par le dessin, l’humour et l’imagination (Bêtises ). Un univers se crée autour de Bouletcorp, avec ses récurrences connues de tous les fans : la raclette mutante, les dinosaures, les superpouvoirs, les tournées de bières avec des amis, les compte-rendu de festivals, les zombies, les geeks…

Le blog lui permet de poursuivre d’autres projets via internet, puis sur papier. Il est l’un des cinq Chicou-chicou (http://www.chicou-chicou.com/), masqué sous le personnage d’Ella, et anime cet autre blog fameux jusqu’à sa parution en album en 2008 chez Delcourt. Il participe régulièrement aux 24 heures de la BD (événement organisé lors du festival d’Angoulême, lancé par Trondheim, et consistant à dessiner 24 planches en 24h autour d’un thème) et est même l’un des auteurs de l’album collectif sorti à cette occasion, Boule de neige (2007). Enfin, il a dessiné occasionnellement, avec d’autres blogueurs, quelques planches pour l’association-éditeur Nékomix dans deux de ses revues, Soupirs et Nékomix.
Malgré son succès, le blog en lui-même sort assez tardivement en une version papier. Si les publications papier de blogs commencent dès 2005, Notes sort chez Delcourt en 2008, et il en existe pour le moment trois tomes. Chacun d’eux reprend une partie des notes de blog dans l’ordre chronologique, avec quelques planches supplémentaires qui créent un fil directeur dans la lecture. Une manière pour lui de montrer à ses lecteurs de blog qu’il est également présent en librairie et peut-être aussi d’amener de nouveaux lecteurs qui ne connaîtraient pas le blog.
En 2005, il analyse ainsi, dans une interview donnée sur sceneario.com, la place que tient le blog dans sa carrière : « Le boulot de dessinateur consiste souvent à passer six mois à bosser et n’avoir de réaction que pendant les festivals: avec le blog j’ai trouvé le plaisir du spectacle, c’est comme avoir sa petite tribune et pouvoir sentir à chaud les réactions. Outre que ça soit très utile pour mieux capter ce qui fait réagir dans une BD, c’est aussi un formidable moteur pour bosser vu que la motivation est sans cesse renouvelée. De plus, la structure fait que c’est un très bon exercice vu qu’il faut se renouveler en permanence et produire le plus possible . »

L’art comique de Boulet :
S’il ne tenait qu’à moi, je dirais que Boulet fait partie des meilleurs talents de sa génération, et ce pour l’unique raison qu’il y a longtemps que je n’avais pas pris autant de plaisir à lire des planches de BD que depuis que je visite son blog. Mais je vais essayer de pondérer mon propos, d’être davantage objectif, et surtout d’argumenter !
On notera d’abord que Boulet est un auteur prolifique : en moins de dix ans, il a publié ou participé à près d’une vingtaine d’albums, sans compter l’édition de son blog. Blog qu’il met régulièrement à jour, tout en poursuivant sa participation à Tchô !. On pourrait encore ajouter les projets d’illustration sur lesquels il travaille comme, par exemple, la réalisation d’un livret illustré pour l’album Repenti du chanteur Renan Luce. C’est un auteur complet, tantôt scénariste, tantôt dessinateur, tantôt les deux à la fois. « Je travaille beaucoup. Mais c’est aussi que j’ai un graphisme qui permet une réalisation assez rapide. » dit-il, sur sceneario.com. Vous l’aurez compris, ce qui le caractérise le mieux est sans doute son imagination puissante dont le blog offre un aperçu intéressant. Elle permet une fantaisie graphique renouvellée par des images inattendues, comme dans cette planche décrivant un univers parallèle ( Février ).
C’est principalement dans le domaine de l’humour qu’il a jusque là fait ses preuves. Domaine délicat s’il en est, présentant toujours le risque de la répétition. Un des domaines où il excelle est la parodiea transposition et l, qu’il met d’ailleurs en oeuvre dans Tchô !, avec Raghnarok, parodie d’heroïc-fantasy dont le héros est un jeune dragon maladroit, mais aussi La rubrique scientifique. Il utilise le décalage comique entre la réalité, transpose une situation réelle dans un monde hypothétique. On retrouve là des formules qui avaient fait le succès de revues comme Pilote : pensons à l’humour basé sur le décalage dans Astérix ou aux parodies loufoques des Dingodossiers et de la Rubrique-à-brac de Gotlib. ( Tout le monde aux dodos ). L’âge d’or franco-belge est d’ailleurs souvent l’occasion de parodies jubilatoires, à la fois hommage et transgression des règles.(Schtroumpfs)

Boulet fait preuve, aussi bien dans ses albums papier que sur son blog, d’une bonne capacité de synthèse entre des influences extrêmement variées, tant au niveau du dessin que du scénario. On connaît ses goûts en matière de bande dessinée : les héros de Spirou, Calvin et Hobbes de Watterson (Fan art de la semaine ), Dr Slump de Akira Toriyama, Lewis Trondheim… (Copieur ) Une même diversité se retrouve sur le blog où il n’hésite pas à changer de style selon le type de note qu’il souhaite réaliser, voire à se livrer à des expériences graphiques (8bits le retour ; VIP ). Mais on la retrouvera aussi dans ses albums : les scènes de combat de Donjon reprennent en partie des codes graphiques du manga, intégrés à des formules plus européennes.
Enfin, il y a chez Boulet, je trouve, un certain classicisme dans l’humour, faisant appel aux ressources du comique de situation, de la parodie, du comique de répétition, ce qui rend ses gags souvent efficaces ; la narration est bien maîtrisée et mesurée, dans le sens où il sait faire passer un message avec un minimum de signes graphiques, comme on le voit dans certains gags muets (http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20090117 ). Mais ce classicisme efficace dialogue avec des images inattendues (dinosaures, monstres, zombies, extraterrestre) qui l’empêche de trop se répéter. Le comique vient assez souvent de la surprise du lecteur qui attend le gag et assiste à l’irruption de l’imprévu dans la routine.

En espérant que les quelques notes ainsi présentées vous aurons donné envie d’approfondir la lecture du blog ou des albums, pour ceux qui ne connaissaient pas encore Boulet !

Bibliographie de Boulet :
2001-2004 : Les Womoks, dessin de Reno, édité par Glénat (4 volumes)
2001-2009 : Raghnarok, Glénat (6 volumes)
2002-2005 : La rubrique scientifique, Glénat (3 volumes)
2005 : le Miya, Glénat
2006 : Soupir, Nékomix (collectif)
2006-2007 : Donjon Zénith, tomes 5 et 6, scénario de Joan Sfar et Lewis Trondheim, Delcourt
2007 : Boule de neige, Delcourt
2007 : Le voeu de Simon, dessin de Lucie Albon, La boîte à bulles
2008 : Nékomix 7, Nékomix (collectif)
2008-2009 : Notes, Delcourt
2008 : Chicou-chicou, Delcourt

Les citations viennent de cet interview donné en 2005 :
http://www.sceneario.com/sceneario_interview_BOULE.html

Blogs bd : l’illusion autobiographique

Pour lire l’intro : intro
Pour lire la première partie : définir un blog bd
Pour lire la deuxième partie : petite histoire des blogs bd français
Pour lire la troisième partie : blogs bd face à l’édition papier
Pour lire la quatrième partie : La blogosphère bd comme communauté
Pour lire la cinquième partie : Le Bien, le Mal, et les blogs bd

On a souvent rapproché le phénomène français des blogs bd avec le courant de la bd autobiographique. C’est notamment l’un des plus éminents représentants de ce courant, Fabrice Neaud, qui, dans une interview en ligne sur le site de l’éditeur d’Ego comme X, critique les blogs bd justement en les analysant comme intégrés au genre autobiographique. J’ai donc décidé de m’atteler à cette question en apportant une précision initiale : je vais occulter le temps de cet article tous les blogs dans lequel l’auteur ne raconte pas sa vie (et ils sont nombreux). Le récit par un auteur de sa propre vie est en effet la définition traditionnelle de l’autobiographie. Je reprends celle de Philippe Lejeune, théoricien du genre : (site : http://www.autopacte.org/ ) « le récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » (le « en prose » étant ici à ignorer, naturellement). Dans l’absolu, beaucoup de blogs bd qui se présentent comme une forme numérique d’un carnet de bord, d’un journal (que je n’ose pas appeler intime en raison de sa publicité) semblent correspondre à cette définition. Un auteur-dessinateur présente au public sa vie. La réalité m’est apparue plus complexe et ce n’est pas en approfondissant l’autobiographie dans ce sens traditionnel que certains blogueurs ont développé des oeuvres originales. C’est l’avis d’un non-spécialiste en matière d’autobiographie, j’espère donc ne pas commettre de trop grosses erreurs.
Après reflexions, j’en suis donc arrivé à deux conclusions :
1.Il y a sans aucun doute des rapprochements à faire entre le genre de la bd autobiographique « historique » et le particularisme français du succès des blogs bd comme forme d’auto-édition en ligne. Mais considérer pour autant les blogs bd comme relevant du genre autobiographique est une confusion. Il serait plus exact de dire que les blogs bd utilisent des moyens d’expression mis au jour par les dessinateurs autobiographes, mais sans aller aussi loin qu’eux.
2.Certains blogs bd se donnent justement pour tâche de gérer le grand écart entre récit de vie et fiction par des créations qui vont au-delà de l’autobiographie.

L’apport formel de l’autobiographie dessinée française

Je commence simplement un petit rappel sur l’évolution historique de la bd autobiographique, que je tire d’un article de Thierry Groensteen dans Neuvième art n°1. Le genre se développe d’abord aux Etats-Unis dès les années 1970 avec des auteurs reconnus qui décident de se consacrer à l’autobiographie dessinée : Art Spiegelman (auteur du célèbre Maus en 1972), Robert Crumb et Will Eisner. A l’inverse, en France, si certains auteurs comme Gotlib et Moebius se mettent déjà en scène, il faut attendre les années 1990 pour que se développe un véritable courant autobiographique au sein de la bd française, généralement chez de jeunes auteurs et des éditeurs indépendants. Les noms qui viennent à l’esprit sont d’abord ceux de Max Cabanes et Baudouin pour les aînés, puis Fabrice Neaud, Jean-Christophe Menu et Lewis Trondheim dans la jeune génération. L’objectif de ces oeuvres autobiographiques est une réflexion approfondie sur le Moi, une exploration du destin et de la personnalité respective des auteurs. Nous sommes donc en présence, en particulier avec Le Journal de Fabrice Neaud, d’oeuvres autobiographiques exigeantes répondant à la définition littéraire du genre, si l’on considère celle de Philippe Lejeune citée plus haut. Ainsi sont apparus de véritables oeuvres autobiographiques dessinées, et ce courant n’a fait que s’étendre depuis les années 1990, avec de nouveaux auteurs s’attaquant à l’analyse de leur vie, comme Manu Larcenet, Joann Sfar, Marjane Satrapi (même si le terme d’autobiographie n’est pas tout à fait exact) ou Aude Picault.
En citant ces derniers auteurs, je fais volontairement un parallèle entre deux générations, la première ayant inspiré la deuxième. Il me semble pertinent de considérer que l’écho rencontré chez la jeune génération par Sfar et Trondheim et leur « carnets » (édités à l’Association) ait pu avoir un impact sur l’évolution du phénomène des blogs bd. Lewis Trondheim, en particulier, tenant lui-même un blog et étant fortement soupçonné d’être l’auteur du blog de Frantico, a pu jouer un rôle important. Je souligne d’autant plus son rôle que les blogs qu’il a contribué à éditer dans sa collection chez Delcourt ont pour beaucoup une dimension autobiographique.

Ces auteurs, dans leurs carnets, ont mis au point des techniques graphiques dont se servent les blogueurs bd. Le plus important de ces éléments est sans doute la banalisation de l’idée de l’autoreprésentation graphique, qui autorise un dessinateur à se représenter et surtout à se représenter comme un personnage de bd, c’est-à-dire de façon reconnaissable pour le lecteur. Baudouin, Trondheim, Sfar, Neaud, Larcenet utilisent ce type d’avatar, de façon plus ou moins directe. Je parlerais une fois de plus de Trondheim (vous allez dire que c’est une obsession chez moi…) qui est connu pour se représenter en oiseau au bec crochu, de telle façon qu’on reconnaît immédiatement le personnage-Trondheim. Les blogueurs bd ont repris le principe de l’avatar dont l’objectif principal n’est pas d’être réaliste, mais d’être reconnaissable par le lecteur en tant que personnage récurrent censé représenter le dessinateur auteur du dessin. Cet avatar se dotant, dans sa version numérique, d’un pseudonyme qui contribue à le hisser au rang de personnage.
Le second élément qui me semble important à souligner est l’exaltation d’un récit du quotidien, même dans sa trivialité. La voie dans ce sens a été ouverte par Lewis Trondheim. Neaud souligne d’ailleurs que de nombreux blogs (il a tendance à généraliser) reprennent la structure formelle de l’autobiographie humoristique qui est celle de Trondheim dans ses carnets, reprises pour son blog (vous pouvez suivre la structure en reprenant un gag du blog de Trondheim : http://www.lewistrondheim.com/blog/ ). Cette structure est la suivante : le héros-auteur est confronté à une situation surprenante mais vécue dans son quotidien qui l’amène à une réflexion intérieure. Cette réflexion donne lieu à chute humoristique dont le comique vient le plus souvent de la constation de sa propre vacuité. Le lecteur est pris à parti lors de la chute. C’est évidemment là un canevas initial sur lequel on peut broder. Mais force est de constater que les blogueurs de la première génération comme Boulet et Pénélope Jolicoeur y font appel, et que le schéma perdure dans d’autres blogs. Trondheim, avec ses carnets, a rendu possible de dessiner le quotidien, même dans sa plus grande trivialité et son absence la plus totale d’intérêt et d’exemplarité.

L’autobiographie malmenée : une vision superficielle

Le blog bd pourrait se rapprocher d’une forme particulière de l’autobiographie, le journal de bord, notamment par la forte présence de la contrainte temporelle et de l’immédiateté dans la retranscription des faits et des pensées. La forme du « blog » offre la potentialité d’un tel exercice où l’auteur se livrerait face à ses lecteurs tout en essayant de réfléchir sur lui-même (le genre du journal intime en ligne existe d’ailleurs, et a même sa revue, http://journalintime.com/archives/sites/clavint/ ). Or, cette potentialité n’a pas véritablement été saisi par les blogueurs. Je ne connais pas, à l’exception peut-être du blog d’Esther Gagné (http://lanternebrisee.net/) de blog dans lequel soit présent, de façon récurrente et même obsédante, une réflexion sur le Moi, sur l’intime… Pour cette raison, les blogs bd, tels qu’ils se sont développés, me semblent être une illusion d’autobiographie plutôt que relever véritablement du genre. Les blogueurs empruntent certes les ressources formelles des dessinateurs autobiographes, mais sans aller aussi loin dans l’introspection. On ne retrouve alors que très peu chez les blogueurs bd une exigence de vérité face aux lecteurs, d’où l’émergence du quotidien, plus superficiel, moins révélateur, avec souvent une volonté d’interpeler le lecteur : « alors, toi aussi tu as vécu ça, n’est-ce pas ? ». Les blogs bd reprennent les formes de l’autobiographie dessinée, mais avec une vacuité (volontaire ?) dans le propos. Il est davantage vécu comme un outil de communication que comme un outil de réflexion sur Soi. On ne retrouve pas la trace de ce « pacte » autobiographique théorisé par Lejeune, que l’auteur fait avec son lecteur, jurant de lui dire la vérité à la manière du Rousseau des Confessions, pour que sa vie serve d’exemple.
Il faut donc un peu d’indulgence et une définition élargie pour que le blog bd soit considéré comme une forme indirecte d’autobiographie. Dans son blog, le dessinateur livre sa personnalité, soit sous forme de récit de vie, soit par de simples dessins qui, sans rien raconter, sont porteurs de sens. De même, le graphisme du site, l’ajout éventuels d’outils d’expression face aux lecteurs (commentaires, radio blog, boutique), fait du blog une page réellement personnelle. Il y a introduction du lecteur dans la vie du dessinateur, ou du moins dans une partie choisie de sa vie.

L’autobiographie comme prétexte
Alors qu’apporte les blogs bd à la notion d’autobiographie ? Je n’ai pas abandonné ma réflexion sur un constat d’échec. Je vais donner ici deux exemples de tendance qui se sont affirmés chez les blogueurs, tendances qui témoignent d’une interrogation (souvent embryonnaire mais néanmoins présente) autour de l’écriture du Moi et de sa publication auprès du public.
Le premier exemple tient aux blogueurs qui utilisent l’autobiographie comme pretexte pour aller au-delà du quotidien. Cela peut être, d’une manière très simple, le pretexte autobiographique pour témoigner soit d’un métier (comme Martin Vidberg dans Journal d’un remplaçant, la publication de son blog), soit d’une situation politique (propos des blogs de Nicolas Wild, http://nicolaswild.blog.lemonde.fr/ ). On est alors plutôt dans le registre documentaire.
Mais surtout, dans d’autres blogs, l’exaltation du Moi est remplacé par l’exaltation de l’imaginaire créateur du dessinateur. C’est là tout le propos du blog de Boulet, et sans doute son originalité et sa force. Dans ses notes, Boulet explore son propre imaginaire, ouvre des portes, part du quotidien pour en faire de l’extraordinaire. Beaucoup de ses notes sont basées sur le principe du « et si », qui permet ensuite à l’imagination de décoller vers d’autres univers, de partir d’une situation réelle pour créer de la fiction. Comme dans cet exemple (http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20081209) où une invasion de limaces est l’occasion d’une interminable saga, ou encore dans cette brillante analyse de Noël (http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20081226 ). Romain Ronzeau, dans une de ses notes, traite aussi de la difficulté pour le blogueur de s’échapper de la narration banale du quotidien qui caractérise le blog, (http://commedesguilis.blogspot.com/2009/06/histoire-banale-du-quotidien.html ). Il y a dans certains blogs une réflexion entre la réalité et la fiction, le dessin étant vécu comme une manière d’exagérer le réel pour le rendre extraordinaire, puisqu’il autorise toute dérive par rapport au vécu.
Peut-être peut-on rapprocher ce type de développement de la notion d’autofiction, née dans les années 1970 pour qualifier des écrits ayant l’apparence de l’autobiographie (identité narrateur/auteur) mais relatant des faits inventés, parfois en partant d’une base réelle.

L’autobiographie comme jeu aux multiples lectures

Enfin, un dernier aspect mérite d’être évoqué : le cas des faux blogs bd, c’est-à-dire les blogs mettant en scène des personnages fictifs mais prétendant être des blogueurs bd. Trois exemples concrets : le journal d’un lutin d’Allan Barte (http://laviedulutin.over-blog.com/ ), le blog de Maliki par Souillon (http://www.maliki.com/), le blog des Chicou-Chicou (http://www.chicou-chicou.com/). Dans ces blogs, de vrais dessinateurs mettent en scène de faux dessinateurs et livrent une sorte de parodie de blog bd.
L’aspect parodique est particulièrement flagrante dans le journal d’un lutin, puisque l’auteur est censé être un enfant de 8 ans. Allan Barte utilise donc une esthétique enfantine : dessin simpliste, support de cahier quadrillé, humour régressif. Là aussi on retrouve une réflexion sur la différence entre fiction et réalité, poussée à bout puisque le lecteur est volontairement floué. Le blog de Maliki détourne ainsi le cliché du « blog de filles » : l’auteur supposé est une jeune fille racontant ses états d’âmes, sa vie quotidienne, (et le motif si caractéristique du « chat mignon » parodie certains blogs féminins). A partir de ce postulat de départ, Maliki s’inscrit dans tout un monde avec des personnages fictifs et magiques, tel son alter ego Ladybird possédant des superpouvoirs. Enfin, Chicou-Chicou est un blog tenu entre 2006 et 2008 par cinq dessinateurs (Boulet, Aude Picault, Domitille Collardey, Lisa Mandel et Erwann Surcouf) mettant en scène cinq amis d’enfance racontant leur vie à Chateau-Gontier. Chacun d’eux à son propre style de dessin qui reflète sa personnalité. Le blog a été édité sur papier en 2009.
Alors le blog bd devient un jeu graphique, un véritable projet construit, puisqu’il s’agit d’interpréter une nouvelle personnalité par le dessin, en imaginant comment ce personnage dessinerait. La notion d’avatar dessiné, propre à l’autobiographie graphique, est détournée pour une production ambiguë. La fille aux oreilles pointues et aux cheveux roses de Maliki pourrait correspondre à l’avatar d’une blogueuse fan de manga. La confusion est livrée telle quelle au public, sans véritable explication et rien, sur le blog, ne laisse supposer la supercherie. De même que le narrateur du Côté de chez Swann n’est pas Proust, les dessinateurs de Chicou-Chicou ne sont pas Frédé, Ella, Fern, Juan et Claude. C’est une synthèse tout à fait réussie entre le webcomic et le blog bd.

En partant d’une forme initiale de journal numérique, en utilisant les ressources offertes par leurs aînés autobiographes, les dessinateurs de blogs bd ont tantôt livré une version superficielle de l’autobiographie, tantôt dépassé l’ancrage à la réalité quotidienne qui caractérise souvent le blog pour s’en servir comme d’un tremplin vers des vies rêvées.

Quelques ouvrages cités pour aller plus loin :
Edmond Baudouin, Passe le temps, Futuropolis, 1982
Jean-Christophe Menu, Livret de Phamille, 1995
Fabrice Neaud, Le Journal, Ego comme X, 1996-2002 (4 tomes)
Lewis Trondheim, Carnet de bord, L’Association, 2001-2004 (4 tomes)
Allan Barte, La vie du lutin, Delcourt, 2006-2007 (2 tomes)
Chicou-Chicou, Delcourt, 2009
Aude Picault, Transat, 2009

Le Bien, le Mal, et les blogs bd

Avant de commencer, un petit lien vers le site d’Annaïg, http://ninonbd.over-blog.com/ qui a travaillé pendant un an sur la BD numérique et a mis en ligne ses intéressantes conclusions.

Pour aujourd’hui, un article un peu plus atypique sur les blogs bd autour d’une question que le phénomène illustre particulièrement bien : la notion de qualité est-elle pertinente dans le cas des blogs bd ? En gros, dans quelle mesure peut-on juger qu’un blog est bien, de façon absolue et pas seulement parce qu’il nous plaît à titre personnel. Non seulement cette question de la qualité des blogs est extrêmement délicate, mais elle est rendue d’autant plus aiguë par la nature des blogs. D’abord parce qu’un blog bd, je pense l’avoir démontré, ne répond pas à une seule définition, et donc à un seul critère de qualité. Ensuite parce que sur son blog, un dessinateur livre des dessins souvent plus personnels et libres que ceux qu’il pourrait publier via un éditeur, où, et c’est le rôle de l’éditeur, un jugement extérieur précède et conditionne la publication, ce qui n’est pas le cas sur le blog. Enfin, l’interactivité inhérente à Internet et surtout aux blogs, via le système de commentaires, introduit un rapport de proximité entre les lecteurs et le dessinateur, laissant les avis les plus divers s’exprimer, et en particulier des avis dont les critères de sélection sont parfois flous voire malhonnêtes. Le blog est jugé sur son contenu, sur les dessins, mais aussi parfois sur la personnalité du blogueur. Le jugement des autres est bien souvent omniprésent sur un blog, justement via les commentaires.
Je me suis efforcé jusque là dans mes articles de ne pas juger les blogs et de ne pas donner mon avis sur la qualité de tel ou tel blog… Mais je ne pourrais pas m’empêcher de terminer cet article sur quelques blogs « coup de coeur ». Une conclusion idéale, me semble-t-il.

La hiérarchisation des blogs

Pourquoi se poser la question, me direz-vous ? Elle m’est venue en constatant que, en 5 ans, une hiérarchisation s’est faite de facto entre les blogs. J’ai trouvé intéressant de réfléchir aux données de cette hiérarchisation et aux critères sur lesquels elle a pu se faire.
Le première critère, le plus évident, est lié à la publicité des blogs. La hiérarchisation se fonde sur l’audience du blog et permet de distinguer les « blogueurs connus », stars de la blogosphère comme Pénélope Bagieu, Boulet, Laurel, Martin Vidberg, des blogueurs plus anonymes et moins compétents. L’inflation incroyable de la blogosphère depuis 2005-2006 a poussé à une sélection pour orienter l’internaute.
Lorsqu’est apparu le classement wikio des blogs bd, (http://www.wikio.fr/blogs/top/bd), un nouveau critère est apparu, propre à internet, celui de l’autorité des blogs. Comme il est expliqué sur ce classement, « La position d’un blog dans le classement Wikio dépend du nombre et de la valeur des liens qui pointent vers lui. » et « De plus, la valeur de chaque lien dépend du classement du blog qui le poste. ». La liste recherche donc une certaine objectivité et une représentativité pour présenter des blogs influents au sens numérique du terme : qui ont non seulement de l’audience mais surtout qui sont reconnus comme des références par les sites du même type. Ainsi retrouve-t-on, dans ce classement, des blogs connus : Pénélope Bagieu, Martin Vidberg, Margaux Motin, Boulet, Pacco pour citer les « stars » de ce mois-ci (mais ce classement varie en général assez peu).

A partir du moment où l’on commence à classer les blogs, il faut commencer à s’interroger sur la pertinence de ce classement. Et ce d’autant plus que cette hiérarchisation à des conséquences indirectes lors d’évènements comme le Festiblog qui, forcément, sélectionne ses invités. Etre invité au festiblog est vécu pour la plupart des blogueurs comme une consécration de leur travail. Ces blogueurs connus seront ceux que l’on contactera pour des interviews, des interventions, et parfois des publications. La hiérarchisation a donc une influence sur la carrière des dessinateurs. Il faut lier ce phénomène au contexte du star-system traditionnel du monde de la culture qui confond bien souvent visibilité et qualité, à cause duquel certains talents se retrouvent masqués derrière des « stars » proclamés. C’est bien sûr moins le cas dans la blogosphère où, bien souvent, les blogueurs acquièrent une certaine notoriété justement suite à un travail régulier et susceptible de plaire.
Mais le problème de la hiérarchisation se pose de façon encore plus aiguë dans le cas de blogsbd.fr, principal site de référencement des blog bd français qui possède, lui aussi, ses propres critères. J’ai déjà amplement présenté ce site dans mes articles précédents. Régulièrement reviennent des débats sur le rôle, et surtout le monopole de blogsbd.fr, qui est, en effet le principal (car le plus utilisé, mais pas le seul) portail d’accès vers des blogsbd. Car, sans forcément le vouloir, en créant son site, Matt a offert son jugement personnel comme un critère absolu. Matt répète pourtant à chaque polémique que blogsbd.fr ne vise pas à présenter objectivement et égalitairement des blogs, mais qu’il s’agit de son site personnel, où ses goûts se réflètent. La sélection « Officielle », qui s’affiche sur la page d’accueil et est limitée à 100 blogs est présentée ainsi : « Liste de 100 blogs BD élaborée par le webmaster du site, mélange d’incontournables et de goûts personnels. ». L’idée de « goûts personnels » est suffisamment clairs, mais celle « d’incontournable » se réfère bien souvent au classement d’autorité cité plus haut (ainsi retrouve-t-on Boulet, Pénélope Bagieu, etc.). Récemment, justement, la sortie de Laurel de cette sélection officielle a conduit à des interrogations dans les commentaires de son blog, car beaucoup considère Laurel comme une « incontournable » de la blogosphère, l’une des fondatrices du mouvement. La gratuité du service fourni par Matt lui laisse le libre choix de gérer son site comme il l’entend. Or, Matt a, sans le vouloir, une responsabilité dans le succès de certains blogs. Il y a alors une forte ambiguité de blogsbd.fr : à la fois site personnel n’ayant aucune obligation d’objectivité et site de référence utilisé par beaucoup de lecteurs de blogs qui s’en servent comme un outil de sélection des blogs qu’ils vont lire.

N’oublions pas non plus que le phénomène des blogs bd a généré un cliché inversé qui représenterait le degré zéro du blog bd : un blog dont le propriétaire parlerait de ses chats, de sa vie sentimentale, de ses fringues, ou encore prendrait pretexte du moindre événement insignifiant pour en faire une note. Bastien Vives utilise ce cliché dans ce strip acide sur les « blogs de filles » : http://bastienvives.blogspot.com/2008/12/mercredi-lorsque-lon-sent-la-caresse.html ou encore dans cet autre strip sur « le gag » : http://bastienvives.blogspot.com/2009/06/dimanche-lorsque-un-peintre-surfacique.html. On peut alors en déduire qu’un des critères de qualité d’un blog bd serait de dépasser le stade du blog personnel n’ayant pas d’autre intérêt que pour soi-même, mais ayant un intérêt pour ses lecteurs.

Présence du jugement : les commentaires

Il existe justement sur les blogs un système de commentaires dont le rôle est d’autoriser un avis critique. Un argument souvent avancée par les blogueurs à la question du but de leur blog est l’idée d’avoir des retours variés sur leur travail. Via le système des commentaires, présents sur presque tous les blogs, les lecteurs peuvent, ou non, donner leur avis. Pour cette raison, le jugement est très présent sur le blog, soit uniquement dans les commentaires, parfois aussi dans les notes du blogueur, lorsqu’il prend à parti ses lecteurs ou répond directement à une question. Dans une situation idéale, donc, le dessinateur poste une note, et les lecteurs donnent leur avis de façon constructive, lui apportant des conseils.
Je parle ici dans une situation idéale, car bien souvent, les critères de jugement des commentateurs ne sont pas parfaitement constructifs. Il faut d’abord considérer les « trolls » : commentateurs agressifs qui, pour d’obscures raisons, arrosent systématiquement les notes d’appréciations négatives voire injurieuses touchant parfois à la personnalité du blogueur plus qu’à son dessin. Surtout, les remarques positives du type « c’est très bien, continue », sont certes très encourageantes mais pas forcément constructives. Il existe pour des commentaires plus construits et utiles des forums, dont le plus célèbre est celui de Cafésalé, mais le format des commentaires de blog s’avère souvent corrompu ou insuffisant pour permettre d’être toujours pertinent. Je ne connais à vrai dire pas l’avis des blogueurs sur le sujet, pour savoir s’ils tiennent comptes des commentaires…
A travers les commentaires, il y a une présence du jugement qualitatif directement sur le blog, de façon publique. Là encore, on voit bien que les blogs bd ne sont pas détachés de tout jugement. Or, ce jugement des lecteurs est profondément subjectif, lié à une impression personnelle.

Peut-on juger les blogs bd ?
Et pourtant, il me semble que plusieurs arguments viennent montrer que, malgré l’existence de hiérarchisation et de jugements, les blogs bd se prêtent mal à un jugement qualitatif.
L’argument le plus flagrant, à mon sens, est la gratuité. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ce n’est pas parce que quelque chose est payant (a une valeur marchande) qu’il est de qualité, et inversement. La gratuité n’implique pas forcément la médiocrité, et les débats autour d’internet, parfois dressé en symbole d’une gratuité idéale, tournent souvent autour de ce point. Beaucoup de contenus internet gratuits sont d’une qualité supérieure à leur homologue payant. Mais en revanche, la gratuité n’encourage pas non plus à la qualité, ne serait-ce que pour des raisons bassement humaines. On ne peut pas demander des comptes à un blogueur qui ne poste pas régulièrement une planche complète et, bien souvent, l’argument revient selon lequel le blog étant un espace de libre expression, le dessinateur peut y mettre ce qu’il souhaite, et ceux à qui ça ne plait pas ne sont pas obligés de venir lire. Argument tout à fait recevable, justement à cause de cette gratuité : le lecteur est libre de prendre ou de laisser. Rien n’oblige un blogueur à soigner particulièrement son dessin : tout dépend de l’impression qu’il souhaite donner. La gratuité offre donc une évidente liberté au blogueur qui ne doit pas se plier à un certain nombre de contraintes ; un rapport plus sain au dessin, vécu comme une passion plutôt que comme un travail.
D’autre part, beaucoup de blogs bd existent pour un cercle restreint de lecteurs, famille et amis. Il faut donc faire deux poids deux mesures entre les différentes catégories de blogueurs bd et ne pas juger de la même manière le blog d’un dessinateur professionnel comme Boulet (voir lien sur le côté), ayant suivi une formation artistique et celui d’un jeune étudiant amateur de dessins et de mangas. Là encore, ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des talents à découvrir dans les jeunes dessinateurs amateurs (c’est le but des « jeunes talents » du Festival d’Angoulême (http://www.bdangouleme.com/fibd-31-concours-jeunes-talents-2010)). Mais il est clair qu’on ne peut juger ces deux types de blogs sur les mêmes critères. S’ils étaient tous deux publiés, sans doute pourrait-on les juger, mais le format blog bd brouille les codes de lecture et rend valable à la fois un blog professionnel et un blog amateur.
Au final, il n’existe pas de véritables critères objectifs pour juger d’un blog et les seuls jugements qui interviennent sont subjectifs et personnels. Le problème du blog est que, comme beaucoup d’autres choses sur Internet, il est coincé entre la sphère publique (puisque publié sur internet) et la sphère privée (en tant qu’espace plus personnel). L’idée d’une hiérarchisation des blogs me semble absurde et dénué de sens dans la mesure où la part d’implication personnelle pousse à une trop grande diversité de formules et de choix. Un exemple frappant est celui des blogs adoptant un style relâché (et je ne veux pas dire par là que leurs auteurs passent trop peu de temps sur les notes). Le blog de Mélaka http://www.melakarnets.com/, par exemple, se présente justement comme un carnets de notes pris sur le vif et donc par essence moins travaillé qu’une véritable planche. De même, les blogs d’anonymes à l’audience restreinte peuvent difficilement être jugés, car l’intérêt qu’ils peuvent avoir et qui pourrait paraître limité est lié à un public fait avant tout d’amis, et donc à des exigences moindres. Il faut tout de même rendre hommage aux nombreux blogueurs qui dessinent de véritables planches sur lesquels ils peuvent passer des heures et les offrent au public sur internet…

La validité du critère de goût est ce qui sépare le webcomic du blog bd : un webcomic est un objet conçu comme l’aboutissement d’un travail de création rendu présentable au public ; il est sujet à un jugement sur sa qualité. Au contraire, la note de blog est un instantané dans lequel intervient la subjectivité ; chaque blogueur envisage à sa manière son blog, de même que chaque lecteur a sa vision de ce que doit être un blog. Certains blogueurs travaillent leur planche de façon approfondie, tandis que d’autres ont une conception plus libre et moins contraignantes. Et bien souvent, un blogueur tente de plaire au goût de son public, la boucle étant ainsi bouclée.
Les blogs bd se situent à la frontière entre la création artistique, de par leur lien avec la bande dessinée, et le billet d’humeur personnel. Tantôt le dessin n’est qu’un simple moyen d’expression, tantôt il est l’objet d’une attention particulière (je schématise, ici, dans la réalité, la frontière n’est pas aussi clairement définie).


Mes blogs à découvrir

Et mes goûts à moi, me direz-vous ? L’intérêt principal que je trouve au blog bd est de découvrir des styles et des créateurs originaux de façon régulière. Je privilégie en général la surprise que me procure une note et l’effet du dessin qui doit être capable à la fois de transmettre des émotions et d’exprimer un univers, celui, puissant et présent, du dessinateur. C’est selon ces critères que je vais vous présenter quelques blogs parmi mes préférés.
Je passerais sous silence le blog de Boulet, un des symboles du succès de la blogosphère, que beaucoup d’entre vous doivent connaître et qui est assurément un incontournable. Un blog que j’adore, mais dont je ne parlerais pas ici pour au contraire vous amener à des découvrir d’autres blogs dont vous êtes peut-être moins familier.
Le blog de manu xyz (http://manu-xyz.blogspot.com/ ) : Manu-xyz est une incroyable découverte de la blogosphère. Dessinateur autodidacte, il livre dans son blog de véritables billets d’humeur qui portent en eux une vision de la société, de la politique, de l’homme. Il faut ajouter à cela un trait prenant, entre l’hyperréalisme et la caricature, souvent très prenant (manu-xyz se dit inspiré par des dessinateurs comme Solé, Alexis, Will Eisner, Boucq, dont l’influence apparaît comme évidente ; source : http://www.festival-blogs-bd.com/2009/07/interview-2009-manu-xyz.html ).
Tu mourras moins bête de Marion Montaigne (http://tumourrasmoinsbete.blogspot.com/). La dessinatrice Marion Montaigne utilise le support du blog mais pour un usage tout à fait différent de son usage habituel de carnet de notes personnel. Elle met en scène le « professeur à moustaches » dans des planches d’explications pseudo-scientifiques assorties d’un humour loufoque. Son style très expressif, proche de Reiser. Au final, une alternative originale à la monotonie des blogs bd. Précisons que, au-delà de son blog, Marion Montaigne est uen dessinatrice professionnelle ayant déjà publié quatre albums.
Eliascarpe (http://eliascarpe.over-blog.com/) : Si le contenu reste plus traditionnel (anecdotes de vie, humeurs…), c’est, comme chez manu xyz, la qualité du dessin d’Eliascarpe qui m’a frappé. Le blog met en scène un personnage, Elias, inspiré de l’auteur, et son collocataire dans des histoires longues souvent très drôles et imaginatives, dans la lignée des notes de Boulet.

A suivre dans : Blogs bd, l’illusion autobiographique