Archives pour la catégorie Bande dessinée numérique

La blogosphère bd comme communauté

Rejouissez-vous (ou pas), je reviens à la charge avec mes articles sur les blogs bd !

Pour lire l’intro : intro
Pour lire la première partie : définir un blog bd
Pour lire la deuxième partie : petite histoire des blogs bd français
Pour lire la troisième partie : blogs bd face à l’édition papier

Lorsque l’on considère un contenu Internet, quel qu’il soit, il ne faut pas oublier la dimension communautaire. C’est là une des caractéristiques principales du média Internet tel qu’il s’est développé, en particulier dans sa version 2.0 (notion théorisée par Tim O’Reilly, dont vous pouvez avoir une définition ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Web_2.0 ) : l’usage qui en a été fait est celui d’un espace d’échange auquel n’importe quel utilisateur peut se connecter ; échange d’idées, d’informations, de contenu, de marchandises… Il y a, à tort ou à raison, une utopie Internet qui voudrait que ce média rende possible des rencontres qui n’aurait jamais eu lieu sans lui. Voilà ce qui m’intéresse ici : la notion de « rencontre ». Le mouvement des blogs bd est indissociable de l’idée d’une reconnaissance commune. On parle de blogs bd parce que plusieurs utilisateurs, d’abord individualisés, se sont trouvés des similitudes dans l’usage fait d’un format, le blog. Puis, ils ont développés d’eux-mêmes une sociabilité propre autour de ce point commun (tenir un blog graphique), sociabilité utilisant généralement les ressources de leur média de référence, Internet, mais pas seulement. Le concept de sociabilité culturelle veut donc qu’un phénomène culturel n’existe et se développe que si ses acteurs s’identifient comme communauté, soit d’eux-mêmes, soit poussés par des facteurs externes. Selon ce processus apparaissent les grands mouvements culturels, la sociabilité ainsi formée étant, parfois (pas toujours) facteur de stimulation et d’innovation. Il est donc nécessaire, pour qu’un objet culturel puisse être identifié, qu’il y ait un espace « médiateur » qui en rassemble les acteurs et leur permettent de discuter ensemble. Avant que n’émergent les grands médias de masse aux XIXe et XXe siècle, ces espaces médiateurs étaient les cours des princes, les salons, les académies, les universités. Puis d’autres structures ont pris le relais : journaux, maisons d’édition, radio et télévision (je n’ai pas dit que cette stimulation culturelle aboutissait toujours à un résultat intellectuellement satisfaisant !) et enfin Internet à la fin du siècle dernier. Si on en reste au secteur de la BD, à d’autres époques, d’autres structures ont joué le même rôle que la blogosphère bd. Dans les années 1960, autour du journal Pilote dirigé par René Goscinny se sont rassemblés des personnalités qui ont permis la diversification et le déploiement de la BD adulte (Gotlib, Mandryka, Brétécher, Fred…). Dans les années 1990, autour de la maison d’édition L’Association se sont rassemblés des auteurs proclamant la Bd comme un art exigeant et poussant les limites du genre par les expérimentations de l’OuBaPo. La même chose se produit avec les blogs bd.
La différence essentielle est peut-être que, alors que dans les cas précédemment cités le lecteur n’avait accès qu’au résultat de cette collaboration et stimulation, Internet permet de rendre plus facilement visibles les processus communautaire pour l’internaute. Ou plutôt lui donner l’impression d’avoir accès aux structures de la communauté des blogueurs ; la blogosphère se transforme alors en un théâtre où chaque blogueur contrôle son avatar pour jouer le rôle qu’il s’est (ou qu’on lui a) assigné. Internet rend à la fois plus visibles et moins visibles les structures communautaires.
L’occasion pour moi de pointer et déchiffrer les espaces et procédés qui caractérisent la sociabilité culturelle des blogueurs bd.

Une sociabilité virtuelle, des moyens virtuels
En 2005 les flux RSS n’étaient pas encore extrêmement répandus et le meilleur moyen que les blogueurs ont trouvé pour se constituer en communauté est l’usage du lien, élément structurel de base de la navigation internet. Les blogueurs mettent donc en lien leurs collègues, ce qui facilite grandement la tâche de l’internaute qui peut ainsi, après avoir lu un blog, approfondir sa connaissance de la blogosphère (qui a dit « perdre encore plusieurs heures devant son ordinateur » ?). Le lien est le premier signe qu’une communauté se forme, même si au début ces liens traduisent des amitiés hors d’internet : Mélaka met en lien Cha et Laurel avec qui elle travaille. Certains blogs deviennent, en raison de leur audience, des blogs « d’autorité », comme celui de Boulet. (voir cette note de Ced où il explique sa tentative d’entrer dans les liens de Boulet : http://ceduniverse.blogspot.com/2006/01/voir-angouleme-et-mourir.html ).
Une étape nouvelle est franchie en matière de liens avec la création en 2006 de blogsbd.fr par Matt (http://blogsbd.fr/ ). Ce site se donne pour but de recenser un grand nombre de blogs bd, de signaler chaque mise à jour et de proposer à l’internaute une vision, certes subjective de la blogosphère mais néanmoins très complète. « Hub » de la blogosphère, le projet fonctionne, que ce soit pour les internautes qui s’en servent pour naviguer dans la blogosphère et pour les blogueurs qui y gagne une visibilité inédite. Ce qu’exprime manu xyz sur cette note d’avril 2009, à son entrée dans la base de Matt : http://manu-xyz.blogspot.com/2009/04/ho-putain.html . Beaucoup de blogueurs sont donc, à juste titre, reconnaissant à Matt de les avoir sélectionné et conservé dans la sélection dite « officielle », qui regroupe seulement une centaine de blogs et s’affiche comme page d’accueil du site. A l’inverse, être supprimé de la sélection officielle est bien souvent vécu comme un affront, le site étant vu par beaucoup comme une manne de lecteurs (comme récemment, Laurel dans cette note, http://www.bloglaurel.com/coeur/index.php/2009/10/13/2473-le-coup-de-free-n-est-plus-d-actualite-dans-cette-note, moins récemment Maadiar, http://maadiar.blogspot.com/2009/08/blogsbd-fait-chier.html ). Régulièrement ressort le débat de la fidélité du lectorat, de l’impact réel du site de Matt sur les statistiques d’audience, de la dépendance des blogueurs à blogsbd.fr (beaucoup d’internet utilisent aussi les flux RSS ou ne vont jamais sur blogsbd.fr), de la subjectivité de Matt. Ce dernier n’a jamais prétendu que son site était exhaustif et objectif, d’où une certaine ambiguité à le considérer comme une référence de la blogosphère. Blogsbd.fr n’est pas le seul portail de ce type, d’autres existent, (http://www.wikio.fr/blogs/top/bd, http://annuaireblogbd.com/ ) mais ne sont pas parvenus à s’imposer réellement face à la maniabilité de celui de Matt.
Il est naturel que les blogueurs bd utilisent les ressources directes de leur média. Si le lien est le meilleur manifestation de cet usage, d’autres espaces communautaires sont crées et investis, facebook, twitter ; mais surtout le forum La Brouette est spécialement conçu pour rassembler les blogueurs en une communauté. ( http://labrouette.org/index.php ) Les posts consacrés aux méthodes de dessin et de numérisation, ou encore à l’annonce de manifestation et aux galeries personnelles participent tout autant à l’identité du blogueur bd.

La passion commune du dessin
En dehors des ressources traditionnelles d’Internet, les blogueurs bd se sont crées d’autres moyens de rassemblement autour de leur passion commune, le dessin. La blogosphère se transforme alors en un espace de création en commun (création entendue au sens large).
Certains de ces projets communs sont de l’ordre du jeu graphique, rappelant ainsi la composante expérimentale des membres de l’OuBaPo qui, depuis les années 1990, tente d’appliquer les règles de l’OuLiPo à la création graphique. La BD, soumise à des contraintes, est alors vécu comme un moyen d’expression malléable et amusant. Dans le cas des blogueurs, la contrainte vient des caractéristiques structurelles du blog. Je citerai ici les plus marquantes de ces expérimentations qui, parfois, donnent lieu à d’intéressants dessins. Ainsi, le squat consiste en une « invasion » d’un blog en l’absence de son propriétaire par d’autres blogueurs qui dessinent tour à tour une note ; le ping-pong se fait entre deux blogueurs qui se renvoient l’un l’autre un dessin ou encore répondent en image à une suite de question posées par l’autre ; enfin, les chaînes sont un grand classique de la blogosphère : un blogueur transmet un questionnaire ou un défi à un autre blogueur qui doit y répondre et le transmettre à son tour. La « chaîne des blogbédéistes » concrétise ce dernier type de jeu en servant au passage d’annuaire (http://lachainedesblogs.canalblog.com/).
On peut opposer ces expériences ponctuelles à des projets plus ambitieux. Le site 30joursdebd, http://30joursdebd.com/, se donne pour objectif de publier une planche de bd par jour d’un dessinateur amateur. Il constitue un lieu d’échanges pour quelques blogueurs (Ced, manu xyz, Waltch, Ol Tichit, etc.). Les 24h de la BD est un projet lancé par Lewis Trondheim lors du festival d’Angoulême 2007, inspiré par un projet initial de Scott McCloud. Il se reproduit désormais régulièrement à chaque festival et a donné lieu à d’autres initiatives identiques. Sur un thème ou une contrainte donnée, des dessinateurs, amateurs ou professionnels, à Angoulême ou chez eux, doivent réaliser 24 planches de BD en 24h. Les résultats sont présentés sur le site http://www.24hdelabandedessinee.com/public/index.php. Les blogueurs sont également friands de cet événement dépourvu d’enjeu. Si la première édition n’a compté que 26 participants et a été édité sous format papier (Boule de neige, chez Delcourt), les suivantes ont accueilli près de 200 puis 400 participants. Le forum CaféSalé (http://www.cfsl.net/ ), quant à lui, regroupe principalement des illustrateurs en une « communauté créative », dont quelques blogueurs.
Enfin, une dernière exploitation très intéressante des possibilités communautaires de la blogosphère est le blog collectif, qui permet à deux ou plusieurs blogueurs de travailler ensemble via internet. Le plus célèbre est bien sûr le blog des Chicou-chicou, (http://www.chicou-chicou.com/ )faux blog dessiné depuis 2006 par Boulet, Domitille Collardey, Lisa Mandel, Aude Picault et Erwann Surcouf, récemment publié chez Delcourt. Chaque auteur garde son style et poursuit les histoires commencées par les autres. Le collectif Damned (http://www.blogdamned.com/ ) rassemble également quatre blogueurs, Clotka, Flan, Goupil acnéique et Olgasme, sur un site commun. Quelques blogs à quatre mains fleurissent également, comme Bruts (http://www.bruts.fr/ ) de Raphaël B et l’Esbroufe et le Loveblog (http://love-blog.fr/ ), de Gally et Obion. Dans les cas de Chicou-Chicou et de Bruts, le blog collectif est aussi l’occasion de sortir de l’aspect « carnet intime » du blog avec un projet plus construit et régulier, proche du webcomic.

Le blogueur bd « In Real Life » : sociabilité hors de la toile et rapport au public
Evidemment, les blogueurs ne sont pas que des êtres numériques : ils ont, comme nous, un coeur, un foie, deux reins. Ils possèdent donc une sociabilité hors de leur blog, qui leur permet parfois de rencontrer leurs lecteurs. Certaines notes font parfois écho de cette sociabilité : un classique des notes de blog est le compte-rendu de festival dans lequel le blogueur révèle ses rencontres, ses amitiés, ses coups de coeur. Je pense également aux nombreuses notes chez Mady, manu xyz, Bambii et Romain Ronzeau dans lesquelles ils mettent en scène leurs rendez-vous (http://www.destrucs.net/article-33609552.html ). Le blog devient alors un véritable théâtre, puisque chaque blogueur représente l’autre selon son avatar, laissant le lecteur dans l’expectative quant à la véracité de la scène. L’idée de communauté virtuelle, caractéristique de la toile, est encore amplifiée dans le cas des blogs bd par l’ambiguité entre l’apparente mise à nu des blogueurs qui font mine de se livrer tout en se masquant derrière un avatar dessiné. Les rapports vie publique/vie privée s’en retrouvent bouleversés et, par là, le blog donne aux lecteurs l’impression d’être proche du blogueur, croyant connaître les moindres détails de sa vie, alors qu’ils ne l’ont jamais rencontré. De la même manière, les blogueurs feignent une sociabilité, parfois vraie, parfois rêvée, cachant plus qu’ils ne révèlent. L’utilisation de l’avatar est la manière que l’auteur a de mettre un intermédiaire entre lui-même et son lectorat.
Le lecteur est d’abord vécu à travers les commentaires. Certains blogueurs, comme Lewis Trondheim et Manu Larcenet ne laissent pas à leurs lecteurs la possibilité de commenter (Larcenet en a d’ailleurs fait un album, Critixman, dans lequel il analyse et se venge des critiques venu du web). Toutefois, la plupart des blogueurs joue le jeu des commentaires. L’exercice est étrange, comme un dialogue souvent biaisé par l’apparent anonymat des commentateurs. Certains soutiennent, encouragent, donnent un avis constructif, tandis que d’autres inondent d’insultes ou partent dans d’interminables débats. Souvent arrive la réponse du blogueur ou de ses défenseurs : « si tu n’aimes pas ce blog, ne vient pas le lire », qui illustre très bien les limites de l’idéal communautaire du web, qui, bien souvent, ne fait que rapprocher des personnes qui se seraient naturellement rapprochés dans la vraie vie. Le blogueur essaye parfois d’accentuer la proximité avec son lectorat, beaucoup plus fort que chez n’importe quel dessinateur de BD non-blogueur, par une « radio-blog » à écouter, ou une boutique. Quant aux IRL, elles font partie du vocabulaire des internautes pour désigner des rencontres « in real life », et elles sont à l’occasion organisées par certains groupes de blogueurs à la fois pour se retrouver et pour rencontrer leur lectorat.
Le festiblog (http://www.festival-blogs-bd.com/ ) a été crée en 2005 par Yannick Lejeune (http://www.yannicklejeune.com/) comme la manifestation permettant de rassembler toute la communauté formée par le phénomène des blogs bd : dessinateurs et lecteurs réunis autour de séances de dédicaces gratuites. Chaque année, deux parrains sont désignés, qui dessinent l’affiche (Boulet et Mélaka furent les premiers) et tous les ans, le succès du festiblog est réel à la fois auprès des auteurs invités qui se déplacent de toute la France, et auprès des internautes. Le « fesse ton blog » est la forme alternative de ce festival, lancée en 2008 par Slo et Louna, avec comme objectif aoué une absence totale d’organisation (http://fesstonblog.blogspot.com/ ). La mise en place très rapide du festiblog, dès 2005, a sans aucun doute contribué à façonner la blogosphère, à mieux l’identifier et lui donner une visibilité médiatique, puisque l’évènement, qui se déroule à Paris (d’abord à Bercy Village puis à la mairie du IIIe depuis 2009), est évoqué par les médias. D’une quarantaine d’auteurs invités au départ, les organisateurs ont pris acte de l’expansion du phénomène et la dernière édition en accueillait 112, sans compter les nombreux dessinateurs non-invités mais malgré tout sur place pour dédicacer. Les organisateurs citent 3000 visiteurs dès l’édition 2005, autour de 6000 pour les suivantes. Si certains blogueurs bd sont également présents lors des festivals de BD traditionnels, le festiblog est devenu un passage obligé qui donne littéralement corps à cette nouvelle communauté culturelle née sur le net. Internet est d’ailleurs le seul point commun de tous ces auteurs aux parcours, aux âges, aux styles, aux motivations et aux personnalités extrêmement variés, au-delà de toute notion d’école ou de courant. D’où le terme de « communauté » qui me semble le mieux convenir pour définir ce groupe culturel.

Et le festiblog est évidemment l’occasion, pour les blogueurs, d’une nouvelle note de blog, la boucle étant ainsi bouclée. Je vous laisse avec un dessin de manu xyz, qui conclut très bien le dynamisme de la communauté des blogueurs bd : http://manu-xyz.blogspot.com/2009/09/la-bande-des-4.html.

A suivre dans : le Bien, le Mal et les blogs bd

Internet et la bande dessinée

La chose est entendue : Internet, apparu dans le grand public durant les années 1990 et dont l’usage s’étend de plus en plus depuis le début des années 2000, est un changement majeur de l’histoire culturelle des dernières décennies. En 1998, Lewis Trondheim publiait chez Dargaud Ordinateur mon ami, une suite de gags en une ou plusieurs pages mettant en scène les conséquences d’une importante évolution de l’espèce humaine : le passage de l’homo sapiens à l’homo informaticus. Sa lecture ferait sourire maintenant, tant les choses ont changé. Internet apporte, dans tous les secteurs de la société, un regard tout à fait nouveau, amène des comportements inédits voire, parfois, bouscule le sacro-saint ordre établi. Les débats autour de l’ilégalité des téléchargements et de la loi Hadopi ne sont que la partie la plus visible et directement perceptible d’une plus vaste évolution. En clair, Internet est un facteur d’évolution des comportements, des mentalités, et des objets culturels dont il est très difficile d’imaginer les conséquences pour le moment.
Mais revenons à ce qui occupe plus particulièrement ce blog : la bande dessinée. Ma série d’articles sur les blogs bd vous laisse deviner que le sujet m’intéresse tout particulièrement… La BD a bel et bien investie internet, au même titre que la musique, la radio, la télévision, la littérature (dans une moindre mesure). Quelle est l’image de la bande dessinée sur internet ? Qu’est-ce que le web a changé au monde de la narration séquentielle ? Peut-on cibler une ou des communautés « bande dessinée » dans le vaste magma du net ? Pour répondre à ces quelques questions, je vais tâcher de passer en revue les différentes manifestations de la bande dessinée sur Internet. Donc, au menu, tout une suite de liens sur lesquels vous serez invité à cliquer, naturellement.

Actualité, critique et présence de la bande dessinée
La présence de la bande dessinée sur internet n’est évidemment pas nouveau si l’on considère le premier rôle assigné à internet à ses débuts : transmettre des informations à grande échelle, offrir une vitrine pour héberger des sites les plus divers. Les acteurs de la bande dessinée ont rapidement profité de la visibilité offerte par le média internet. La plupart des éditeurs disposent de leur site internet, reflet promotionnel de leur activité, généralement destiné à égrener le catalogue. Le site est parfois l’occasion, pour ces éditeurs, de proposer des services en plus aux lecteurs : concours, interviews d’auteurs, avant-première, bande-annonce, newsletter… Les attitudes des éditeurs face à internet sont en réalité très diverses : simple catalogue/agenda pour Glénat (http://www.glenat.com/), absence de site internet pour l’Association. Mais dans l’ensemble, ont observe une certaine timidité à aller plus loin que des sites promotionnels. Quant aux auteurs, il serait plutôt inutile de citer tous les sites de dessinateurs. Simplement signaler à quel point internet se prête bien à la promotion d’un art graphique grâce à sa capacité à diffuser rapidement et efficacement de l’image ; un auteur peut ainsi présenter facilement son travail, et même personnaliser son site en en dessinant lui-même l’esthétique. Je citerai simplement le vieux site de Joann Sfar, http://www.pastis.org/joann/indexancien.html, à présent à l’abandon, mais célèbre pour sa section de mini-jeux vidéos !

Espace d’informations, internet accueille naturellement des sites d’actualité sur la bande dessinée ainsi que des sites de critiques. Ces derniers ont d’ailleurs leur site où ils dressent d’intéressants bilans sur le marché de la BD ( http://www.acbd.fr/ ). Ce qui m’intéresse ici est de voir qu’internet a permis l’apparition de revues en ligne qui viennent compléter l’offre papier, à une époque où la question de la survie de la presse papier se pose de plus en plus. En effet, depuis quelques années, le public se tourne vers internet pour être informé : pourquoi ne le ferait-il pas aussi pour la BD ? L’existence de sites de critiques en ligne est d’autant plus importante que le secteur des revues de critiques de BD est relativement bouché. De plus, l’apparition de revues gratuites (Zoo, Magazine Album) met également en question le secteur. La suspension de Bodoï est tout à fait symptomatiques de ce malaise et surtout de la nécessité d’une rénovation venant d’internet. Ce magazine, né en 1997, était le plus ancien périodique indépendant d’informations sur la BD ; son échec économique a poussé son directeur Bruno Bonnell à se replier sur le net en septembre 2008, via le site http://www.bodoi.com/ qui est finalement parvenu à devenir un site de référence. L’essai est donc transformé pour Bodoï et le passage, à l’origine contraint, du papier au numérique fonctionne pour le moment. (http://www.actuabd.com/Bruno-Bonnell-annonce-la-suspension-de-BoDoi-en-kiosque-et-prepare-sa-revolution-numerique ).
Les sites http://www.mundo-bd.fr/ et http://www.actuabd.com/ font partie des sites implantés mais encore traditionnels, animés par d’anciens critiques issus du monde de la presse, en premier lieu Didier Pasamonik. En revanche, l’exemple du site http://du9.org/ montre très bien comment internet permet d’aller au-delà du simple magazine de critique. Il se définit lui-même comme un « espace d’autonomie » pour évoquer la BD dite « indépendante », en cela assez proche de l’esprit exigeant d’une revue comme 9e art. L’internaute peut s’abonner à une newsletter, et le site propose des dossiers thématiques fouillés. Avec de tels sites, il semble que l’avenir de la critique de BD se trouve en grande partie sur internet.

Conservation et mise en valeur d’un patrimoine
La BD, c’est aussi un patrimoine à conserver, et Internet se place en première position en permettant la consultation de BD anciennes numérisées. Je parle ici d’albums ayant une valeur plus patrimoniale que véritablement esthétique. Le musée de la bande dessinée d’Angoulême, récemment réouvert et intégré au sein de la « cité de la bande dessinée », est bien sûr en première ligne sur la question et a commencé, doucement, la numérisation de certains de ses collections anciennes, dont l’intégrale des albums de Zig et Puce d’Alain Saint-Ogan. La numérisation des exemplaires de la revue Le Rire (créée en 1894) est encore en chantier. Le site du musée, http://www.citebd.org/ , reconstruit récemment, est la façade de la seule institution patrimoniale consacrée à la BD dans ses aspects les plus divers (musée, bibliothèque, maison des auteurs, formation…). L’onglet « ressources » propose également un nombre important de liens vers les différents sites internet consacrés à la BD. Enfin, il organise une journée de formation sur le sujet en novembre prochain (http://www.citebd.org/spip.php?article445)
Mais la cité de la BD est en réalité rattrapée par d’autres sites ayant pris l’initiative de numériser des collections anciennes. Le plus connu d’entre eux est http://www.coconino-world.com/. Crée en 1999 par Thierry Smolderen, professeur à l’école des Beaux-Arts d’Angoulême, c’est un portail très varié se voulant aussi éditeur en ligne, ce site présente dans sa partie « classics » des documents numérisés anciens. On peut y retrouver des strips de Winsor Mc Cay, des illustrations de Gustave Doré et des extraits du journal satirique allemand Simplicissimus. Le site frappe par la qualité des numérisations, mais aussi par son graphisme dynamique et moderne. Coconino est incontestablement la référence en matière de patrimoine numérique de la BD, avant la cité de la BD et avant d’autres sites proposant un même service comme http://coffre-a-bd.com/ qui réédite des albums anciens oubliées, pour les nostalgiques. Dans le domaine du patrimoine, Internet permet, à travers des supports numériques, de conserver et de diffuser au mieux l’histoire du média.

Le paradis des bédéphiles
En tant que plate-forme d’échange et de communication à grande échelle, Internet rend également service aux bédéphiles pour leur permettre d’assouvir leur passion. D’abord pour leurs achats. Outre les multiples sites de vente en ligne, qu’il s’agisse de neuf ou d’occasion (sites de grands magasins, amazon et ebay…), certaines initiatives de vente de BD numérisées peuvent être signalées. Certes, le danger est moindre que pour la musique ou les films : l’échange de BD via le peer-to-peer est moins répandu, sans doute par l’importance du support papier qui résiste bien. Il est tout de même réel, et c’est dans le but d’éviter le piratage que s’est monté en janvier 2009 le site http://www.digibidi.com/ : ce site propose des BD à lire en ligne et explore divers modalités de cette nouvelle forme de lecture. Ainsi, certains titres publiés en format papier sont proposés à la vente pour des prix modiques, ou à la location pendant 72h. D’autres albums sont disponibles en previews d’une dizaine de pages. Des éditeurs comme Soleil, Akiléos, Ego comme X, les Requins marteaux, sont associés au site pour proposer leur catalogue (dont des séries phares comme Atalante). Un système de « watermaking » numérique garantit que la BD a bien été achetée et non téléchargée.
Hors de la vente, Internet a aussi d’autres usages qui s’appliquent spécialement aux bédéphiles : le partage d’informations sur les auteurs et les séries. Ce formidable outil informatique qu’est la base de données en ligne offre des possibilités énormes, et c’est sur lui que s’est crée en 2003 le site http://www.bedetheque.com/ qui vend un logiciel de gestion de bibliothèque dont le principe est simple : l’acheteur télécharge les données sur ses BD depuis la base en ligne et remplit progressivement sa propre base. Le collectionneur peut alors gérer ses prêts d’albums, consulter de statistiques sur sa bibliothèque, gérer ses éventuelles ventes… Enfin, les collectionneurs de BD rares et anciennes ne sont pas oubliés. Les sites http://lambiek.net/ et http://www.bdoubliees.com/ se donnent pour objectif, chacun à leur façon, d’entretenir le souvenir des grands classiques de la BD. Ils sont également constitués de bases de données sur la BD. Le second recense la totalité des illustrations parues dans les revues de BD, anciennes et nouvelles, avec une recherche par auteur, par série, par revue.

Il est clair que dans le domaine de la vente et de la collection, Internet est surtout, pour le moment, un média de complément. Les expérimentations (base de données, achat en ligne) sont encore balbutiantes et récentes. Les questions liées au piratage ne sont pas encore arrivées jusqu’au monde du livre et on ne peut pas véritablement parler de concurrence. C’est sans doute pour cette raison que les sites des éditeurs se contentent de présenter leur catalogue et n’investissent pas davantage les possibilités d’internet, à l’exception notable de http://www.dargaud.com/ qui propose quelques pages de ses nouveautés en preview. Ce modèle encore dominant de la preview montre la timidité du marché de la BD à s’étendre sur la toile, par exemple par le biais de l’édition en ligne.

La difficile émergence française de l’édition en ligne

Sans aucun doute, c’est de l’apparition d’éditeurs en ligne que vient la principale innovation d’Internet en matière de bande dessinée. L’édition de BD en ligne est un problème très complexe et il faudrait un article entier pour en venir à bout. Je vais me contenter de citer les principaux enjeux qui sont apparus ces dernières années avec l’extension d’Internet.
Un point d’abord sur le domaine anglo-saxon, beaucoup plus avance que nous dans ce domaine. En 1995, la série Argon Zark apparaît sur la toile comme la référence en matière de webcomics. 2000, Scott McCloud, auteur et théoricien américain de la BD, commence à s’interroger sur les potentialités de la BD en ligne (et édite son propre webcomic : Zot). Il diagnostique la mauvaise santé du comic traditionnel et voit dans l’édition en ligne un facteur de renouveau et de diversification, notamment grâce au concept « d’infinite canvas », qui veut que la page internet soit une surface en trois dimensions (http://scottmccloud.com/1-webcomics/index.html). C’est en appliquant ses observations que des auteurs émergent nettement à partir de 2005. Cette année-là, un Will Eisner award (équivalent des prix d’Angoulême) est crée pour le webcomic, alors qu’il faut attendre 2008 pour voir la même chose à Angoulême. La Corée est également très avance en matière de e-manhua.
En ce qui concerne le mouvement des blogs bd, je ne vais pas épiloguer dans la mesure où vous pouvez retrouver mes réflexions dans cet article (http://phylacterium.wordpress.com/2009/09/25/les-blogs-bd-face-a-ledition-papier/) et cet article (http://phylacterium.wordpress.com/2009/08/24/blogsbd-partie-1-definir-un-blog-bd/). En gros, deux choses à retenir. D’une part le blog bd a pris une telle importance en France qu’il peut être considéré comme une forme artisanale d’auto-édition en ligne, il a supplanté l’émergence des webcomics. D’autre part le succès des blogs bd n’entretient pas de relations avec l’avenir de la BD numérique. Je m’explique. Il n’y a pas d’automatisme qui voudrait que les blogueurs bd se tournent, pour être édités, vers des supports numériques. Certains le font, d’autres non, mais le format papier restent le support dominant pour la majorité d’entre eux. Edition en ligne et blog bd ne sont donc pas forcément dépendants l’un de l’autre. Deux exemples tout de même :
l’expérimentation proposée par le blogueur Wandrille Leroy sur le blog http://donjonpirate.canalblog.com/ de 2006 à 2008 a fédéré de nombreux blogueurs autour de la mise en ligne régulière de planches d’amateurs sur le thème de la série Donjon de Sfar et Trondheim.
la plate-forme http://30joursdebd.com/ a systématisé ce principe et regroupe depuis 2007 un grand nombre de blogueurs (manu xyz, waltch, ced…). Elle met en ligne gratuitement une planche de BD par jour réalisée par un auteur débutant ou amateur, et les anciennes planches restent toujours en ligne. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une maison d’édition en ligne parfaitement organisée (pas de catalogue, pas de suivi, que des histoires en une planche), mais le site est populaire parmi les blogueurs.
Dans l’autre sens, les éditeurs en ligne n’éditent pas que des blogueurs bd, loin de là. Venons-en à eux. http://www.foolstrip.com/, http://www.lapin.org/ et http://www.webcomics.fr/ sont actuellement les trois principaux éditeurs, avec Coconino que j’évoquais plus haut. Ce dernier est le plus vénérable vu qu’il édite depuis 1999, d’abord destiné aux jeunes auteurs sortant des formations d’Angoulême. Lapin commence à éditer en 2005, et Foolstrip et Webcomics.fr en 2007. Le mouvement est donc très récent en France. Les stratégies sont variées.
Lapin reste assez traditionnel et encore proche du fanzinat : il met gratuitement en ligne des strips courts et reste fidèle au format papier pour des albums plus conséquents et payants.
Webcomics.fr
fait de l’hébergement et non de l’édition. Il a un objectif promotionnel plutôt que commercial et n’opère pas de sélection parmi les auteurs. Il offre surtout aux auteurs un espace de publication, et propose aux lecteurs des BD gratuites.
A l’inverse, Foolstrip se démarque par une véritable politique éditoriale professionnelle : accompagnement des auteurs, rémunération en droits d’auteurs, traduction, promotion des auteurs… Il fonctionne sur le principe de l’abonnement mensuel qui permet d’avoir accès à l’intégralité du catalogue en ligne. Les tirages papier sont davantage des compléments pour offrir une plus grande visibilité. L’édition de l’album Mon chat et moi par le blogueur Kek a contribué à faire connaître cet éditeur qui se dit « première maison d’édition de BD en ligne », ce qui n’est pas totalement faux, puisqu’il est le principal site proposant un service proche de l’édition professionnelle papier.
Enfin, un portail cherche à regrouper l’offre existant actuellement dans le domaine français : http://www.bd-en-ligne.fr/stories.

Le débat sur la BD en ligne comporte deux grands enjeux : la question de la valeur ajoutée et celle du modèle économique, (questions très tôt abordées par Scott McCloud, et dont je reprends les réflexions). Editer en ligne des BD traditionnelles est une première étape, mais un cap nouveau sera franchi lorsque ces BD seront pleinement adaptées à leur support. Le numérique et l’écran modifie le mode de lecture et favorise des innovations qui ne sont pas encore pleinement exploitées par les auteurs en ligne (mais que l’on peut trouver occasionnellement sur les blogs) : insertion d’images 3D, de sons et d’animations, mise à profit d’un sens de lecture vertical, périodicité différente, possibilités de navigation au sein d’une page. La question du modèle économique est plus douloureuse : un auteur peut-il vivre de ses BD en ligne ? Le modèle dominant pour le moment est celui du paiement direct en ligne, et les tarifs sont nettement moins élevés que celui des formats papier pour des raisons de faible coût (pas d’imprimeurs et de distributeurs à payer). Mais il est flagrant qu’en France, dans l’état actuel des choses, un auteur ne peut vivre de ses seuls travaux en ligne. Il faudra suivre l’évolution de maisons comme Foolstrip. Mais le format papier est encore trop dominant, se porte très bien et il faudra attendre quelques années (décennies ?) pour voir une véritable concurrence comme il peut en exister dans la musique et l’audiovisuel.

Je termine par une petite actualité de la BD en ligne, lancée par l’infatigable expérimentateur Lewis Trondheim : la BD nomade. Déjà présente en Asie et testée également par Foolstrip, ce principe consiste à assurer la lecture de BD sur des supports numériques mobiles (téléphones, consoles…). Par abonnement mensuel ou annuel, le lecteur reçoit tous les jours sur son smartphone un strip de sa bd Bludzee ( http://www.bludzee.com/ ). Une manière complètement nouvelle de lire de la BD, clairement ancrée dans les nouvelles technologies du XXIe siècle. Il ne s’agit que d’une expérimentation, mais dont il faudra suivre les rebondissements et l’éventuel succès.

Les blogs bd face à l’édition papier

Pour lire l’intro : intro
Pour lire la première partie : définir un blog bd
Pour lire la deuxième partie : petite histoire des blogs bd français

La question du statut des blogs bd face à l’univers traditionnel de la bande dessinée, c’est-à-dire l’édition papier, pose quelques problèmes. Les blogs bd ont-ils vocation à faire concurrence à l’édition papier ? Au contraire, y a-t-il une adéquation entre les deux qui ferait du blog, pour son dessinateur, l’antichambre du monde de l’édition ? Et que dire de ces objets étranges que sont les blogs bd publiés au format papier ? Evidemment, on ne manquera pas de remarquer que cette question rejoint d’une façon générale celle de l’impact d’internet sur la culture traditionnelle : la presse, la musique, la radio, la télévision, le livre, sont de la même manière confrontés à des alter ego numériques. Le cas des blogs bd est particulier, et je précise bien que je ne parle pas des webcomics, qui sont le pendant exact de l’édition de bande dessinée sur internet. Ils ont un statut batard, entre oeuvre conçue et réfléchie et notes prises sur le vif, par trop spontanées. Or, les blogs ont fini par rencontrer une telle audience qu’il convient de les considérer aussi comme une forme d’édition, certes personnelle et artisanale, de BD sur internet. Paradoxalement, en se développant plus que de mesure, les blogs bd français sont parvenus à créer des liens (solides ?) avec l’édition papier et ne se sont pas affirmés, à la façon des webcomic, comme une alternative et un concurrent, bien au contraire, en s’intégrant au marché.
Un petit détail technique : vous trouverez dans cet article beaucoup de liens vers des choses longues à lire (BD ou articles) si vous avez le temps et que vous voulez approfondir le sujet, allez-y ! (c’est un conseil et un ordre). Et commencez par vous rendre sur la page de Scott Mc Cloud, premier théoricien de la bd numérique : (http://scottmccloud.com/1-webcomics/icst/index.html)

Le blog, une non-concurrence économique ?
Je vais commencer par voir le rapport des blogs bd à l’idée d’édition et de publication (entendu ici au sens de « se livrer à un public »). L’une des caractéristiques principales du blog bd est d’être un espace d’expression gratuit ; par une sorte de contrat tacite, le dessinateur s’engage à donner au lecteur un ou plusieurs dessins de façon plus ou moins régulière. Tous les blogueurs n’ont pas forcément comme objectif de devenir dessinateur de BD, et beaucoup ont d’ailleurs déjà un métier : illustrateur, professeur, concepteur de jeu vidéo… A la base, donc, le blog est exclu de la logique de marché et de commerce. Il n’est pas un « produit » culturel et le blogueur n’est en général pas soumis aux dures lois du public dans la mesure où, théoriquement, il peut faire ce qu’il veut de son blog.
C’est en cela que le blog bd diffère de l’édition de bande dessinée en ligne, représentée par les webcomics sur des plates-formes ou par les nombreux webzines qui parsément la toile, version numérique des fanzines. Eux entretiennent une démarche proche du marché de l’édition traditionnelle.
Il ne faut surtout pas voir, tout de même, le blog comme un élément rebelle du marché de la culture pronant un idéal soit de « démocratie culturelle » soit de « liberté d’expression totale », soit encore « de rapports non biaisés car non vénaux avec son public ». J’ignore si certains blogueurs le voit ainsi, mais je crains qu’ils se trompent en partie. La confusion nait lorsque le blog tend à devenir un tremplin soit simplement vers une forme de reconnaissance de la part du public, soit vers l’édition à proprement parler, qu’elle soit numérique ou papier. Certains blogueurs cherchent, comme beaucoup de sites internet, à rentabiliser leur blog d’une manière ou d’une autre, et si possible en s’affirmant comme des dessinateurs de bande dessinée. Ils utilisent pour cela différents moyens bien connus des sites internet. Le premier étant, évidemment, la publicité qui apparaît sur certains blogs et fait office de « rémunération de l’auteur », ce qui, pour l’instant, n’entretient pas vraiment l’idée de dessinateur de bd. Beaucoup de blogueurs profitent de leur blog pour ouvrir une boutique dans laquelle ils vendent leurs créations, puisqu’ils sont des créateurs. Affiches, originaux inédits, badges, t-shirt, (par exemple la boutique très fourni de chez Maliki : http://www.comboutique.com/shop/homeboutique.php?shopid=5303 ). Par cette opération, ils entrent doucement dans une forme de marché, certes encore très modeste. Alors, à l’aboutissement de la démarche se trouve le blogueur qui propose ses propres BD à la vente, par courrier ou au téléchargement, une façon de devenir dessinateur de BD par le biais d’une forme primitive d’auto-édition. (un exemple chez Tim cette fois : http://quotidien.survival.free.fr/ ). Enfin, une autre solution est la pré-publication partielle comme l’a fait M. le chien pour son album Fereus (encore un lien, ici : http://www.filsdelacolere.com/ ).
Il faut aussi sans doute rappeler que certains ne font rien payer tout en publiant de planches ou des histoires complètes très travaillées (un exemple : http://eliascarpe.over-blog.com/album-1200751.html ). Dans l’ensemble, le constat est clair : il n’y a pas de modèle économique lié au blog bd ; les quelques procédés de mise en vente restent dans le domaine de l’artisanat : un nombre d’exemplaires limités qui est plus là pour créer un lien avec le public et laisser une trace hors du caractère aphémère du blog. Le principal apport du blog bd pour le blogueur serait donc la reconnaissance et l’acquisition d’un public, ce qui, d’une certaine manière, retourne le processus habituel de publication qui veut que le public viennent après la mise sur le marché, et non que la mise sur le marché se fasse grâce à un public prééxistant. Ainsi, la plupart des blogueurs bd voulant faire carrière se retournent finalement vers le monde de l’édition, qu’elle soit papier ou numérique. Quelques exceptions notables existent cependant comme le cas du blog de Maliki : faux blog d’une jeune fille aux oreilles de chat, dessiné depuis 2005 par le dessinateur Souillon, le blog est devenu un espace d’auto-édition numérique et surtout de prépublication avant l’album papier qui sort chez Ankama. Le cas de blog de Lewis Trondheim pourrait être interprété de la même manière.

Le blog comme tremplin vers l’édition
En tant que tremplin vers l’édition, le blog bd semble avoir rempli sa fonction. J’ai été très étonné d’assister à ce mouvement de publication des blogueurs et de leur blog, et ce dès 2005, moi qui m’attendait à une sorte de mise à l’écart comme c’est généralement le cas sur internet où les organismes de publication traditionnel et numérique se regardent en chien de faïence. Là, bien au contraire, il y a eu un mouvement de convergence de l’édition papier vers les blogueurs bd qui sont parvenus à se faire une place sur le marché. Mais avant de tirer d’optimistes conclusions, étudions un peu ce mouvement.
Il fauit distinguer deux cas : les blogueurs édités pour d’autres projets que leur blog et l’édition de blog. Le premier cas est assez simple et consiste à considérer le blog comme un tremplin vers l’édition permettant à la fois d’acquérir un public et en même temps de faire ses preuves auprès d’un éditeur. Ainsi peut-on citer les blogueurs Boulet, Obion, Ced, Bastien Vives, Capu et Libon, Pixel Vengeur, Cha, Aude Picault, Pénélope Jolicoeur, Marion Montaigne qui, tout en tenant un blog, ont été publiés. A cet égard, les jeunes éditions Warum sont parmi les premières à publier des blogueurs, et ce dès les débuts du mouvement ; elles poursuivent cette politique éditoriale en puisant dans la communauté des blogueurs pour son label grand public, VRAOUM, dans lequel ont été édités Homme qui pleure et Walkyries de Monsieur le Chien et La Boucherie de Bastien Vivès. Le cas de Boulet et Obion est également intéressant puisqu’ils reprennent en 2007 et 2008 le dessin de la célèbre série Donjon de Sfar et Trondheim. Il est difficile de juger alors de l’impact réel du blog : ils ont aussi été publiés parce qu’ils sont des auteurs de talent qui ont su capter le regard d’un éditeur, le blog étant un plus mais pas une condition. Si on se limite à ce cas, le mouvement des blogs bd a permis de mettre en avant plus rapidement des dessinateurs qui avaient de toute manière vocation à être publiés. En effet, la plupart des dessinateurs cités ci-dessus avaient, avant de tenir un blog, un début d’expérience dans le domaine du dessin et de l’illustration. La question de l’édition de blog, en revanche, ne rentre pas dans les shémas habituels de l’édition et de la carrière, puisque ce n’est pas un auteur que l’on édite mais un objet, le blog. Or, en France, le mouvement d’édition des blogs a été étrangement important.
En 2005, deux évènements marquent le coup d’envoi de l’édition de blogs et de blogueurs : d’une part l’initiative des éditions Warum d’éditer les blogueurs Wandrille (par ailleurs co-fondateur de Warum) avec Seul comme les pierres, en partie issu de son blog personnel, et Aude Picault avec Moi, je ; d’autre part l’édition du blog de Frantico en 2005 chez Albin Michel. Ce blog est connu pour être celui de Lewis Trondheim qui, de son coté, utilise la collection Shampooing chez Delcourt qu’il dirige pour éditer d’autres blogueurs. Citons donc : Le journal d’un remplaçant de Martin Vidberg et Le journal du lutin d’Allan Barte en 2006, Virginie de Kek en janvier 2007, Le journal intime d’un lémurien de Fabrice Tarrin au printemps 2008, Pattes d’eph et cols roulés de Fred Neidhart en juin 2008, Libre comme un poney sauvage de Lisa Mandel à l’été 2006, Notes de Boulet à partir de septembre 2008, Chicou-chicou à l’automne 2008, et bien sûr son propre blog, Les petits riens, à partir de l’automne 2006. Il faut donc convenir que le passage massif du blog bd à l’édition papier tient en grande partie sur les épaules de Lewis Trondheim. Cet auteur à présent bien installé a commencé sa carrière dans les années 1990 et a à son actif plusieurs titres de gloire : co-fondateur des éditions l’Association, président du festival d’Angoulême en 2007… Il est connu pour son goût pour l’expérimentation en matière de BD, et tente toujours de pousser son médium dans ses retranchements les plus inattendus. On ne peut que lui être reconnaissant d’avoir ainsi intégré la vague des blog bd et de l’avoir mise en avant de façon spectaculaire.
Trondheim n’est pas le seul à éditer des blogs, et d’autres maisons d’éditions doivent être citées. Il est toutefois le seul à le faire au sein d’une grande maison d’édition, Delcourt, car les autres éditeurs de blogs et de blogueurs sont généralement de petits éditeurs indépendants qui ont eux mêmes un pied dans la blogosphère. Warum, là encore, publie dans son label VRAOUM en 2009 les blogs de Gad Ultimex, et le célèbre blog de Laurel, Un crayon dans le coeur. Les éditions Diantre ! publient en 2008 le blog de Gally, Mon gras et moi, Jean-Claude Gawsewitch éditeur est également un habitué des blogueurs bd puisqu’il publie Ma vie est tout à fait fascinante de Pénélope Jolicoeur en 2008 et Moi vivant vous n’aurez jamais de pauses de Leslie Plée en 2009. Margaux Motin est édité chez Marabout en mai 2009 de même que Paco, Maliki chez Ankama dès 2007, Nicolas Wild chez La boîte à bulles en 2007… Toutes ces éditions rassemblées font que le mouvement des blogs bd a plus servi à éditer des blogs qu’à éditer des blogueurs. Je m’interroge sur la longévité des auteurs publiés uniquement par le blog, car cette édition reste très restreinte, tenant sur les épaules soit de Lewis Trondheim et de sa collection, soit de petites maisons d’éditions qui peuvent manquer de stabilité.

Peut-on éditer un blog bd ?
La première que j’ai entendu parler de l’édition du blog de Frantico, je suis resté incrédule : pourquoi éditer un objet qui existe déjà sur internet en consultation gratuite ? Il me semblait alors qu’il ne s’agissait que d’une expérience et que le blog bd et l’édition papier étaient fondamentalement incompatibles. Puis, le mouvement décrit plus haut m’a donné tort : les blogs bd étaient bel et bien un produit commercialisable avec succès. Certes, mais l’édition de blog peut-être un véritable défi pour un éditeur. Je rejoins sur ce point Wandrille, que je cite (deux liens de son blog où il parle longuement de l’édition du blog de Laurel : http://wandrille.leroy.free.fr/blog/index.php?2009/08/04/322-la-ou-y-a-de-l-art-y-a-pas-d-plaisir et des rapports entre blogs bd et édition papier : http://wandrille.leroy.free.fr/blog/index.php?2009/08/31/334-album-papier-bien-publication-internet-pas-bien et si vous avez le temps, lisez les autres articles de son blog car il offre un point de vue extrêmement pertinent sur le monde des blogs bd). Le problème principal est bien celui de la valeur ajoutée : le livre doit avoir quelque chose en plus par rapport au blog, il ne peut pas être le simple décalque des pages publiées sur internet. Il faut donc distinguer la simple édition de blog et l’adaptation du blog à un support nouveau, voire à un public nouveau dont les exigences ne sont pas forcément les mêmes. L’aspect matériel inhérent au livre joue beaucoup dans cette valeur ajoutée : avoir un livre est différent de consulter internet, certaines personnes préfèrent le contact du papier, feuilleter les pages plutôt que de les cliquer. Mais Wandrille a raison en recherchant autre chose, en appliquant une démarche éditoriale réfléchie à l’édition du blog : « Lors de la phase de chemin de fer, il a fallu placer les planches dans une logique narrative inexistante à la base et trouver un écoulement fluide tout au long de l’histoire en re-créant des liens qui n’existaient pas sur des planches. Et là, par un miracle éditorial dont il faut créditer l’auteur et la bonne étoile de l’éditeur, tout d’un coup, en mettant certaines planches côte à côte, on se retrouve avec une alchimie étrange qui fait que les planches se nourrissent les unes les autres et dépassent majoritairement leur côté premier degré en prenant un place et un sens dans l’histoire globale ». L’édition papier du blog de Boulet, Notes, propose des planches inédites dont le but est de faire un lien entre les différentes notes qui ont d’ailleurs été sélectionnée. On peut aussi prendre pour exemple le blog de Gad, http://ultimex.over-blog.com/ qui, pour son édition, a été retravaillé.
Quelles sont les réactions des auteurs de BD face au mouvement en train de se consistituer ? On connaît celle de Lewis Trondheim et d’autres auteurs qui ont eux mêmes un blog : Manu Larcenet, Maëster, Guy Delisle… Pour eux, le blog est une expérience comme une autre qui fait partie de leur carrière et leur donne une autre visibilité. D’autre se montrent beaucoup plus critiques, et c’est le cas de Fabrice Neaud, auteur de l’autobiographique Journal qui a posé à plusieurs reprises un regard critique sur les blogs bd. Et dans l’ensemble, à l’exception du cas de la collection Shampooing de Delcourt, les gros éditeurs comme les moyens font assez peu de cas des blogueurs.
Evidemment, la blogosphère contient énormément de matière non-publiable et d’auteurs encore trop débutants, mais elle pourrait être aussi, pour l’éditeur à la recherche de nouveaux talents, un champ d’expertise. La mise en place d’un prix du blog à Angoulême en 2008, soutenu par les éditions Diantre ! et VRAOUM et remporté par Aseyn, puis en 2009 par Lommsek, peut laisser à penser que les blogueurs réussissent à s’intégrer dans le milieu de l’édition de BD. Pour moi, le vrai débat est dans la question de l’édition numérique : pour le moment, les blogueurs se tournent en majorité vers l’édition papier pour être publié (c’est la forme dominante pour le moment), même si certains ont aussi un pied vers le webzinat et les plate-formes de webcomics comme Foolstrip (http://www.foolstrip.com/). Lors du prochain festiblog qui a lieu demain, un débat aura lieu sur l’édition numérique et ses enjeux et pourra peut-être apporter des réponses.

A suivre dans : la blogosphère bd comme communauté

Petite histoire des blogsbd français

Pour lire l’intro : introduction
Pour lire l’article précédent : qu’est-ce qu’un blog bd ?

Comme vous l’aviez deviné, je m’intéresse dans cette série d’articles au phénomène des blogsbd francophones, excluant par-là, principalement, le domaine américain qui, pourtant, en est en partie à l’origine. Pour résumer rapidement ce qui se passe aux Etats-Unis, quelques auteurs commencent très tôt à tirer partie des avantages qu’offrent la publication numérique de strips ou d’histoires complètes ; le plus représentatif est sans doute Scott McCloud qui mène depuis 2000 une réflexion sur la bd numérique. Il semble toutefois que le domaine américain soit plus orienté vers des webcomics, et non des blogs bd.
Ce qui se passe en France est différent. Des structures d’accueil et de publication de webcomics français existent depuis les années 2000 (citons par exemple les éditions Lapin, editions.lapin.org/librairie/ ). Mais le boom de la bande dessinée numérique, en terme d’audience et de médiatisation, ne passe pas par les webcomics mais par les blogs bd à partir de 2004-2005. Le blog bd se différencie du webcomic en ce qu’il n’est pas une publication regulière de strips ou de planches mais la page personnelle, plus spontanée, d’un auteur, sur laquelle il peut publier des dessins de nature très diversifiées (strips, planches, croquis, notes, texte…). Le blog bd suppose souvent une plus grande interaction avec le lecteur que le webcomic, l’auteur s’exprimant directement en tant qu’auteur et non par le biais de personnages. En realité, le domaine français mêle habilement les deux formes et beaucoup de blogs bd sont des hybrides : tel auteur profite de son blog pour publier ses planches en cours, tel autre se crée un personnage de fiction en train de tenir un blog (c’est le cas du webcomic Maliki, par le dessinateur Souillon). C’est en partie par les blogs bd que la bande dessinée numérique a vu son essor en France, et c’est ce mouvement que je vais essayer de retracer en quelques étapes.

2003-2004 : les pionniers
Les premiers blogs bd apparaissent en 2003-2004 et sont alors clairement orientés dans une optique de journal du quotidien pour des auteurs débutants mais déjà entrés dans le métier de la bande dessinée, pour qui ce mode d’expression est le plus naturel. Laurel, Mélaka, Cha et Boulet racontent en images de brèves anecdotes sur leur vie de dessinateurs dans des blogs crées de 2003 pour Laurel à 2004 pour Boulet. Martin Vidberg, lui, dessine son quotidien de professeur des écoles dans un blog crée en 2004. D’autres dessinateurs les suivent (Lovely Goretta, Reno, Ak et Maliki ont leur blog en 2004) mais le nombre de blogs bd se limite encore à quelques noms, et, surtout, la forme est encore assez primitive, orientée vers le carnet de notes anecdotique. Cette communauté de blogueurs est encore restreinte, composée de personnes qui se connaissent et collaborent hors des blogs : Laurel, Mélaka et Cha animent ensemble dans Spirou la série 33 rue Carambole et Boulet, dans la même revue, La rubrique scientifique. Reno, un ami de ce dernier, est d’ailleurs en couple avec Mélaka.

2005 : l’explosion
C’est sûrement l’année 2005 qui voit l’explosion du phénomène. D’abord parce que le nombre de blogs augmente et de nouvelles « personnalités » de blogueurs de nos jours considérés comme des références (que ce soit par leur longévité, ou par leur introduction dans le monde de la bd) apparaissent. Quelques noms à titre d’exemple : Miss Gally, Tanxx, Paka, Ced, Lisa Mandel, Allan Barte… Mais surtout, l’année 2005 est l’année Frantico.
Sans doute ai-je tendance à surestimer l’importance de ce blog puisque c’est à travers lui que je suis entré dans le monde des blogs bd… Toutefois, je pense que le mythe formé autour de Frantico, blog tenu entre janvier et octobre 2005 par un anonyme que l’on soupçonne fort être l’auteur Lewis Trondheim a contribué à renouveler la portée des blogs bd et leur médiatisation. En effet, le blog de Frantico provocateur, et donc susceptible de faire parler de lui : rédigé sous la forme d’un blog personnel classique, le héros, Frantico, raconte des anecdotes de sa vie particulièrement médiocre, ses échecs avec les femmes et ses séances de masturbation. L’auteur pousse donc au maximum le caractère voyeur de la formule du blog bd, journal intime qui ne l’est plus vraiment. Les autres blogueurs en activité (Boulet, Mélaka, Capu et Libon) entretiennent le « mystère Frantico », notamment en entretenant la rumeur d’un faux voyage en Corée auquel aurait participé Frantico. La question de l’identité de Frantico médiatise le phénomène des blog bd dans Le Monde, Télérama ou Libération. En novembre 2005, le blog est publié sous forme de livre chez Albin Michel ; il s’agit d’un des premiers blogs bd publiés et il sera suivi par de nombreux autres. A mon sens, les conséquences de l’éphémère blog de Frantico sont réelles : son succès a placé la barre haut pour les autres blogueurs et a fait connaître le phénomène au-delà d’un petit cercle restreint, attirant de nombreux épigones. La publication du blog a sans doute été un gage de reconnaissance du genre du blog bd. Proposant une narration logique et continue et une véritable consistance dans le personnage principal, qui contraste avec l’aspect encore désordonné de certains blogs bd, celui de Frantico relève les ambitions du genre.
L’année 2005, c’est aussi celle de la création du premier Festiblog. Yannick Lejeune, un journaliste de bande dessinée, organise un festival où les blogueurs sont invités à rencontrer leur public au cours de séances de dédicaces, sur le modèle des festivals de bd. Le festiblog cherche justement à marquer sa différence par la gratuité de l’entrée et des dédicaces, puisqu’il n’est pas la peine d’acheter un album (de fait, beaucoup des auteurs présents n’ont pas encore publié d’album). Deux parrains font office de présidents, Boulet et Mélaka pour la première édition. Les organisateurs estiment le nombre de visiteurs à 3000 pour cette première édition, soit un bon succès pour un phénomène encore naissant.

2006-2009 : formation et expansion de la blogosphère
La création du festiblog anticipe sur le phénomène des années suivantes : la formation de ce qu’on appelle généralement la « blogosphère ». Une véritable communauté de dessinateurs se met en place, des liens se créent entre les blogueurs qui sont de plus en plus nombreux et surtout ne sont plus uniquement des dessinateurs professionnels. Plusieurs indices vont vers un poids plus grand des blogs bd sur internet et dans le monde de la bd.
La création en 2006 du site blogsbd.fr par Matt constitue assurément une étape importante : c’est la principale base de données de blogs qui enregistre les mises à jour de plus de 500 blogs. Le site devient bientôt incontournable dans la blogosphère, pour les lecteurs comme pour les blogueurs. Il contribue à créer une conscience de groupe entretenue par d’autres évènements ponctuels.
Voici quelques exemples de ces évènements qui réunissent les blogueurs bd et animent la blogosphère. Des projets collectifs naissent : le blog Chicou-Chicou, faux blog tenu par un groupe d’ami sous la plume de cinq blogueurs (2006), l’opération caritative « Mon beau sapin », à l’initiative de Pénélope Jolicoeur (), les webzines et les plates-forme de publication de bd en ligne sont souvent liés au monde des blogs bd, comme 30joursdebd (2007)… Enfin, d’autres évènements beaucoup plus ponctuels sont des classiques de la sociabilité des blogueurs bd : les IRL (In Real Life), rencontre « en vrai » entre blogueurs et avec les lecteurs, les « squats » où un blog est pris en charge par d’autres blogueurs pendant les vacances du propriétaire…
D’autre part, les blogs bd se rapprochent de plus en plus du monde de la bande dessinée traditionnelle : tremplin pour de jeunes auteurs qui se font connaître grâce à leur blog ( Boulet et Obion reprennent le dessin de la série Donjon en 2007 et 2008 après Lewis Trondheim et Joann Sfar) et assurance d’un succès pour les éditeurs… Les blogueurs bd parviennent à s’intégrer à l’univers de la bd papier, et ce en partie grâce à Lewis Trondheim qui tient lui-même un blog et publie (entre autres) de jeunes blogueurs dans sa collection Shampooing chez Delcourt. Depuis 2006, il n’est ainsi pas rare de voir en librairie des blogs publiés : Le journal d’un remplaçant de Martin Vidberg, Notes de Boulet et Journal intime d’un lémurien de Fabrice Tarrin n’en sont que quelques exemples, justement édités par Delcourt. D’autres maisons d’éditions, comme Warum, cofondé par le blogueur Wandrille en 2004 vont aussi voir (entre autres) du côté des blogueurs bd. Surtout, le blog quitte sa fonction première de simple page d’expression personnelle pour se rapprocher d’un mode d’édition à part entière, privilégié par des auteurs débutants. Des mentions de Copyright et des avertissements d’utilisation des dessins apparaissent au bas des pages de blogs, gage d’une conscience professionnelle (à défaut d’une réalité professionnelle) plus grande. La création en 2009, au sein du festival d’Angoulême, d’un prix « Révélation blog » entretient cette intégration des blogueurs bd au sein de la grande famille des auteurs.

Les blogs bd sont donc devenus, en quelques années, une des formes les plus dynamiques de promotion et de publication de bande dessinée en ligne pour des jeunes auteurs à la recherche de reconnaissance mais aussi pour des auteurs plus confirmés voulant tenter une nouvelle expérience graphique. Le blog bd n’est plus seulement un simple journal intime : il est parfois un véritable exercice de style, un projet graphique important pour un dessinateur. La force du phénomène des blogs bd est sans doute d’être parvenu à proposer des styles et des formes extrêmement différentes, pour les goûts de chaque lecteur, mais aussi de s’être très vite structuré, dès 2005-2006, pour offrir une lisibilité et une visibilité qui n’est pas tout le temps facile à trouver sur internet.

Quelques notes sur l’aventure des blogsbd :
Chez Boulet : /www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20090728
Chez Ronzeau : commedesguilis.blogspot.com/2009/05/hommage-la-blogosphere.html

A suivre dans : les blogs bd face à l’édition papier

Blogsbd partie 1 : Définir un blog bd

Pour lire l’intro : introduction

Pour commencer cette série d’articles, je vais tenter de définir la nature d’un blog bd et surtout la place qu’il tient dans le monde de la bande dessinée française.
Analysons d’abord le nom, « blogsbd », qui contient déjà en grande partie la définition :
Dans la lignée de la floraison des blogs sur le web français à la fin des années 1990 et surtout durant les années 2000, il répond à la définition classique du blog : un site web constitué d’une suite de posts ou notes considérés par son ou ses auteurs comme un espace de libre expression à la façon d’un journal intime. On trouve ainsi généralement sur les blogsbd des anecdotes de vie ou des réflexions personnelles. De même, la possibilité laissée à l’internaute de mettre des commentaires inscrit pleinement le blogbd dans la démarche plus générale du web communautaire des années 2000. En clair, le blogbd prend au blog sa structure. Malgré l’appellation courante de blogbd, ce type de contenu n’a toutefois pas toujours la forme éditoriale d’un blog : il n’est pas systématiquement rattaché à un hebergeur de blog et peut parfois être un véritable site.
Contrairement aux blogs classiques, l’image tient une grande place dans le blogbd, c’est ce qui en fait sa spécificité. L’auteur utilise alors les ressources narratives et les codes d’expression de la bande dessinée (séquentialité, phylactère…) au sein de ses notes, soit en plus du texte mais plus généralement à sa place. Bien souvent, image et texte sont clairement distincts, le texte jouant généralement un rôle purement informatifs où l’auteur auto-commente sa note ou laisse un message à l’internaute. L’usage de l’image est cependant extrêmement fluctuante. Il peut s’agir simplement de présenter le travail de l’auteur, à la façon d’un art book virtuel, ou plus directement de raconter une anecdote sous la forme d’une bande dessinée. Voire de publier un véritable histoire complète, même si l’on parle plutôt dans ce cas de webcomic. Les deux termes sont assez fluctuants, mais le blogbd est le plus souvent un ensemble d’anecdotes et de dessins sans lien entre eux alors que le webcomic a pour ambition de livrer une histoire complète. Ce qui n’empêche pas des blogueurs bd de publier aussi des webcomics !
Les blogueurs, un nouvelle génération d’auteurs ?
Bien que son existence soit encore très récente, le phénomène des blogsbd a déjà laissé des traces dans l’histoire de la bande dessinée française. En effet, les auteurs de blogsbd se conçoivent généralement comme des auteurs de bande dessinée, ou du moins comme des auteurs débutants et beaucoup expriment dans leur blog leur aspiration à percer dans cette voie. On peut situer trois grandes familles de blogueurs… Je n’aime pas forcément les classifications, mais disons que c’est pour la clarté de la démonstration :
1.Les auteurs confirmés déjà sur le marché parfois depuis longtemps qui tentent l’aventure du blog pour enrichir leur champ d’action. Lewis Trondheim est un symbole de cette catégorie. Auteur depuis les années 1990, il a déjà un palmarès prestigieux (co-fondateur de la maison d’édition L’Association en 1990, Grand Prix d’Angoulême en 2006) quand il lance en 2006 le blog « Les petits riens », en marge de son site internet. Mais d’autres auteurs se sont lancés dans le blogbd, comme Maester, Manu Larcenet et Guy Delisle. Il ne faut pas oublier non plus que beaucoup d’auteurs de bande dessinée possèdent soit un site, soit un blog non-bd (comme celui de Sfar) et ne sont donc pas totalement absents de la toile.
2.Les jeunes auteurs et dessinateurs n’ayant réalisé que quelques projets et qui profitent de leur blogbd pour se faire connaître plus largement et pour se soustraire à la contrainte de la commande, se livrant ainsi à des dessins plus personnels. Beaucoup de jeunes dessinateurs ont agrandi leur public grâce à un blogbd et sont connus à la fois comme auteur de BD et comme blogueur. Boulet, Cha, Mélaka et Laurel, tous trois dessinateurs pour Spirou depuis le début des années 2000 sont les plus connus.
3.Les dessinateurs hors de la bande dessinée, les non-professionnels, voire même des jeunes fans de dessins constituent la grande masse des blogueurs bd depuis trois ou quatre ans. Il s’agit dans l’ensemble de personnes n’ayant pas ou très peu percé professionnellement dans le domaine de la BD (certains n’ont d’ailleurs jamais cherché à le faire). Ils voient le blogbd comme une manière de donner libre cours à leur passion du dessin et de la partager. Certains d’entre eux sont d’ailleurs parvenus à publier des albums. Pénélope Jolicoeur et Miss Gally (respectivement « Ma vie est tout à fait fascinante » et « le blog de Gally » sont tout à fait représentatives : jeunes illustratrices, elles ont pénétré le monde de la BD grâce à leur blog.
Du point de vue du monde de la bande dessinée, le phénomène des blogsbd a principalement contribué à lancer une génération de jeunes auteurs âgés de 20 à 35 ans d’une manière complètement inédite et inattendue. Certaines maisons d’édition se montrent particulièrement attentives au monde des blogsbd et accueille des auteurs dont le succès est venu grâce au blog, voire édite leur blog : la collection Shampooing chez Delcourt, dirigée par Lewis Trondheim, les éditions Warum fondé par Wandrille Leroy et Benoît Preteseille, les éditions Jean-Claude Gawsewitch dont la collection BD est dirigée depuis 2009 par Pénélope Bagieu. Ces maisons d’édition sont encore assez rares et les grandes maisons n’ont pas encore intégré l’apparition de cette nouvelle génération, à l’exception de Delcourt, mais ce surtout grâce à Lewis Trondheim.
La bande dessinée comme langage
En tant que moyen d’expression, les blogsbd montrent l’adaptation de la bande dessinée française dans un monde où internet est devenu un espace culturel de référence. En effet, le blogbd implique une lecture renouvelée de la bande dessinée dont la principale conséquence est de confirmer sa qualité de moyen d’expression total indépendant de l’écrit traditionnel. Les auteurs de blogsbd ne se contentent pas de raconter des histoires en images, ils expriment aussi des pensées et des sentiments plus complexes. En cela, ils contribuent à la diffusion du langage bande dessinée (de « l’art séquentiel », pour employer un terme savant) et témoignent de son fort ancrage dans la société française, du moins au sein d’une large génération.
Une autre évolution de taille tient au rapport au lectorat. Les notes ne sont pas des objets édités ni des oeuvres durables mais des billets spontanés ; elles ne sont pas vendues mais gratuites. Le blogueur a donc généralement davantage de liberté puisqu’il est moins soumis au goût du public et aux exigences de l’éditeur. En d’autres termes, le blogbd permet le développement d’une libre bande dessinée qui reste tout de même informelle puisque immatérielle. Cela n’empêche pas que des liens se créent entre le public et le blogueur, mais les visiteurs, qui laissent des commentaires et sont parfois invités à participer à la vie du site (par des concours, des radioblogs ou des boutiques), sont davantage considérés comme un groupe d’amis que comme des acheteurs potentiels. Le blog est souvent l’occasion pour le blogueur d’exprimer sa reconnaissance ou au contraire de réagir directement à un commentaire désobligeant.
Si, la plupart du temps, les blogueurs se contentent de calquer la forme de leur billet sur les codes habituels de la bande dessinée et de ne pas en sortir, certains les détournent et renforcent ainsi la singularité du blogbd. Raphaël B., par exemple, est un adepte des dessins qui utilisent le défilement de la page web dans leur mode de lecture (raphaelb.canalblog.com/archives/2009/04/01/13217890.html ). Il spatialise la page web par le dessin et conçoit un dessin ne pouvant être lu que sur un blog. Il démontre que le blogbd peut réellement apporter quelque chose à la bande dessinée, en plus d’une nouvelle génération : si certains restent des carnets de notes quotidiennes (parfois admirablement dessinée, d’ailleurs), d’autres se présentent comme de véritables projets graphiques aboutis.

A suivre dans : Petite histoire des blogs bd français

Les blogs cités dans cet article :
Lewis Trondheim : http://www.lewistrondheim.com/blog/
Manu Larcenet : http://www.manularcenet.com/blog/
Guy Delisle : http://www.guydelisle.com/WordPress/
Boulet : http://www.bouletcorp.com/blog/
Cha : http://blog.chabd.com/
Mélaka : http://www.melakarnets.com/
Laurel : http://www.bloglaurel.com/coeur/index.php
Pénélope Jolicoeur : http://www.penelope-jolicoeur.com/
Miss Gally : http://missgally.com/blog/