Archives pour la catégorie Parcours de blogueurs

Parcours de blogueur : Aseyn

Ce n’est pas le hasard qui me pousse à m’intéresser au blogueur Aseyn mais tout au contraire la parution de son (presque) premier album dans le label grand public Vraoum des éditions Warum, Abigail. Album intéressant à plus d’un titre, et d’abord par son contexte de publication puisqu’il s’agit du premier album généré par le concours Révélation blog que j’évoquais pas plus tard d’il y a quelques semaines (Révélation blog 2010), et dont on attend encore le nom du gagnant de cette année. En plus de revenir sur le parcours d’Aseyn, je m’attarderai donc sur Abigail, disponible en librairie depuis le 15 janvier, enfant de l’alliance des blogs bd et d’un éditeur attentif aux jeunes talents.

Graphisme blogosphèrique

Aseyn suit une formation d’illustrateur à l’Ecole Estienne à Paris, célèbre école parisienne formant à différents métiers des arts graphiques et de l’industrie du livre (pour l’anecdote, cette école a vu passer d’autres dessinateurs dont Siné et Cabu). Il devient donc officiellement graphiste free-lance et, comme de nombreux autres illustrateurs, profite des possibilités d’internet pour se faire connaître et développer son goût pour le dessin. En compagnie de quelques autres dessinateurs, blogueurs pour quelques un d’entre eux, (dont Singeon, Ak, Piano, Pipof…) il crée en 2004 sur la plateforme 20six qui a vu naître tant de blogs le Club Yaourt, blog collectif dessiné, proche en cela d’autres projets qui voient le jour en même temps comme le blog Damned (http://www.blogdamned.com/). Si Damned est toujours actif, le club yaourt cesse son activité et, en 2007, Aseyn ouvre son blog personnel (http://aseyn.canalblog.com/).
Aseyn se fait une place dans l’univers des blogs bd et leur sociabilité, se rapprochant d’autres dessinateurs comme ses anciens camarades du Club Yaourt (Singeon, Ak…) ou encore Goretta ou Clotka et Goupil Acnéique de Damned. Il est présent aux grands évènements de la vie bloguesque : il dédicace régulièrement au festiblog, participe aux 24h de la bande dessinée, publie chez Danger Public un « Miniblog », l’éphèmère collection interactive dirigée par la blogueuse Gally en 2006-2007, album intitulé Palavas cowboy.

Le blog que tient actuellement d’Aseyn est davantage un carnet de croquis ouvert aux internautes. Pas d’anecdotes de vie, mais un grand nombre d’essais variés et parfois éphémères et de croquis sur le vif, souvent surmontés de titres étranges voire absurdes. Mais le blog n’est qu’une petit partie de sa présence réelle sur internet puisque Aseyn tire parti à sa façon de cet outil dont il se sert comme d’un artbook permanent et gratuit lui servant à exposer au public non seulement ses travaux, y compris dans une phase qui se rapproche davantage de la recherche graphique que du dessin abouti ; des dessins qui donnent le sentiment vivant d’une oeuvre en train de se faire (une tendance qui me fait penser à certaines publications de Blutch, à mi-chemin entre le carnet de croquis personnel et l’album de bande dessinée). Dans cet esprit trouvera-t-on des thèmes récurrents, comme un grand nombre de portraits instantanés et de représentations de paysages urbains au cadrage photographique. Son site internet, http://aseyn.free.fr/ rassemble une sélection de ses travaux depuis 2002. Un très grand nombre de ses dessins peuvent se trouver sur la toile, quand on sait les chercher, dont certains sous un autre nom qu’Aseyn (je ne vous donne pas ici volontairement toutes les adresses !).
Une particularité de son travail, du moins tel qu’il m’est apparu sur internet, est dans un goût pour les expérimentations et la diversification des techniques graphiques. Une tendance qui, déjà, se lit très nettement sur le blog où il mêle dessin à l’encre et aquarelle ou gouache, noir et blanc et couleur, dessin narratif et études de perspectives, en passant par des photographies et des images animées… On comprend ici son travail de graphiste où tout est pretexte à produire et interpréter une image, à la retourner en variant les techniques et les angles d’attaque. La cohérence d’Aseyn, de son blog et de son site, se trouve dans cette impression d’une création perpétuelle d’images qui, en plus, sont esthétiquement réussies, ce qui n’enlève rien. Dans le maquis de sa maîtrise des techniques graphiques, de sa perception de l’image sous toutes ses formes, la BD n’est alors qu’une parcelle, une déclinaison possible mais à laquelle Aseyn n’a pas manqué de se consacrer.
Il faut donc, pour bien apprécier son travail, se partager entre internet, lieu d’expérimentation et de mise en relation avec d’autres dessinateurs, et des projets papier divers.

Révélation et publication

Dans le même temps qu’il s’étend sur la toile, Aseyn participe à plusieurs projets éditoriaux qui le font connaître. J’ai déjà parlé du « miniblog » en 2007 ; beaucoup de ses travaux sont en effet liées à la sociabilité née via la blogosphère. Il crée en 2006 avec les anciens du Club Yaourt un fanzine éphémère, Les Gençaves. Il participe également à plusieurs ouvrages collectifs avec des blogueurs et des non-blogueurs, comme par exemple Myxomatose, aux éditions Myxoxymore en 2006, Gaza chez La boîte à bulles en 2009 ou, plus récemment encore, le Tribute to Popeye des éditions Charrette où l’on retrouve d’autres noms de la blogosphère, entre autres Obion et Ak mais aussi d’autres dessinateurs qui réinterprètent l’univers du célèbre marin qui fêtait l’année dernière ses 80 ans. Ces mêmes éditions Charrette vont d’ailleurs publier en mars prochain un artbook d’Aseyn rassemblant certains de ses dessins des années 2003-2009.
Mais le projet qui m’intéresse encore davantage puisqu’il montre les passerelles que le monde de la création graphique sur internet n’a pas manqué de créer avec celui de la publication papier, c’est bien sûr l’album Abigail que je vais commenter dans quelques lignes. Aseyn est en effet le vainqueur du premier concours révélation blog, lancé en 2007 et remis lors du festival d’Angoulême 2008. Rappelons brièvement le principe de ce concours : il s’agissait pour des blogueurs n’ayant pas encore publiés d’album de concourir pour le « prix du blog » qui permettrait au lauréat de publier un projet chez l’éditeur Warum (maison d’édition co-fondée par le blogueur Wandrille qui vous est familière si vous lisez ce blog). Aseyn ayant remporté l’édition 2008, l’album en question sort, avec un peu de retard, en ce mois de janvier 2010. Pour information, la sortie de l’album du gagnant 2009, Lommsek, est prévue pour le mois de février et il s’intitulera La ligne zéro (dont je ne manquerai pas de vous en parler en temps voulu).

Abigail, une certaine vision des super héros
Venons-en donc à ce qui peut être considéré comme le premier album personnel d’Aseyn, Abigail, publié aux éditions Warum, dans leur label grand public Vraoum (dans la collection Heromytho où l’on trouve aussi Le mauvais oeil de Gad, pour ceux qui suivent attentivement le blog, puisque j’en parle dans cet article). L’histoire raconte une mésaventure d’un super héros atypique nommé Edward qui reçut son super pouvoir (voler dans les airs) à la suite d’un concours organisé par la société Superboy qui publie les aventures du super héros qui lui donne son nom. Or, au début de l’histoire, ce super héros positivement minuscule se fait larguer par sa copine Abigail qui part pour la Scandinavie. Les deux amoureux se retrouveront après une âpre lutte contre un adversaire d’Edward avide de vengeance. Ce personnage de petit super héros maladroit mais plein de bonne volonté, Aseyn l’avait déjà en partie développé sur son blog au cours du mois de janvier 2008 dans une autre aventure plus brève. Peut-être doit-on deviner qu’il ne s’agit donc que du premier volume d’une série d’aventures d’Edward, le héros super.
Ainsi suggéré, le scénario ne paraît pas forcément engageant, je l’avoue… C’est que Abigail n’est pas ce qu’il semble être, une simple parodie d’aventure superhéroïques. A bien y regarder, l’art d’Aseyn est plein de subtilité qui rendent son récit passionnant.
La tonalité parodique est évidente : l’histoire s’ancre pleinement dans le monde des super héros américains ; Edward habite à Baltimore, possède un super pouvoir somme toute assez classique, et connaît par coeur toute les aventures de son mentor Superboy. Aseyn pousse le réalisme jusqu’à mêler à son histoire de vraies-fausses planches du comics Superboy qui apparaît ici comme un mythe. Déjà, par cette insertion qui place le lecteur dans un univers cohérent, notre dessinateur enrichit son propos. L’humour proposé n’est pas seulement parodique et référentiel, il se teinte d’une étrangeté absurde qui participe à l’ambiance (voir les hommes de main du méchant, créatures indéfinissables, colosses blancs dont les dialogues très terre à terre sont savoureux). Surtout, l’humour n’empêche pas l’aventure de se dérouler, avec un grand A, et son lot de péripéties, de temps forts, de bagarres titanesques et de sauvetages in extremis.
C’est, au-delà du scénario, par des qualités graphiques qu’Aseyn perfectionne son histoire. Car pour moi, le décalage le plus grand ne vient de l’insertion de l’humour dans une aventure de super héros, mais de l’utilisation d’un graphisme à l’opposée de l’hyperréalisme aux couleurs chatoyantes et à la narration musclée qui est celui des comics américains (et les vraies-fausses planches de Superboy sont là pour montrer ce décalage). Ici, le trait rappelle davantage certains auteurs français : un trait libre qui ignore les contraintes de la case et n’a pas peur de mêler décor réaliste et personnage qui ne le sont pas. L’autre élément qui fixe l’ambiance est le travail sur la couleur qui, dans Abigail, m’a impressionné (Singeon, semble-t-il, a collaboré avec l’auteur pour la couleur). Aseyn privilégie les ocres et des couleurs peu tranchées, assez veloutées, hésitant sans cesse entre le jaune et le marron, le bleu et le vert, le blanc et le gris ; autant de teintes qui définissent l’ambiance de chaque case.
Enfin, pour qui connaît son blog, on retrouve des caractères propres au style polymorphe d’Aseyn comme l’obsession d’espaces urbains figés et réalistes qui sont ici complétés par des paysages plus exotiques, sur fond de neige. Le décor tient une place importante dans cet album, comme si les croquis d’après nature du web (bâtiments silencieux, grands espaces presque vides, tuyauterie industrielle mal identifiable) avaient trouvé leur destination en se peuplant des héros de l’aventure…

Bibliographie et webographie :
http://aseyn.canalblog.com/
http://aseyn.free.fr/
http://clubyaourt.20six.fr/ (désormais fermé)
Biographie d’Aseyn sur le site de Warum
Interview pour le concours révélation blog 2008
Les Gençaves, (fanzine : 2 numéros), 2006
Myxomatose, (collectif), Myxoxymore, 2006
Palavas com-boy, Danger public, septembre 2007
Gaza, La boîte à bulles, février 2009
Tribute to Popeye, (collectif), Charrette éditions, novembre 2009
Abigail, Warum, janvier 2010, dont on peut lire les 18 premières pages gratuitement sur digibidi
Aseyn, 2003-2009, Charrette éditions, mars 2010

Parcours de blogueur : Gad et le blog Ultimex

Avant de commencer à vous parler du blogueur du jour, Gad, quelques informations toutes fraîches sur la BD en ligne.
Les résultats du concours Révélation blog que j’évoquais il y a peu dans cet article (lien) sont tombés le 11. Les trois lauréats, sélectionnés par les votes du public et le choix du jury sur les trente blogs bd sélectionnés sont donc le Blog de Martin (http://www.monkeyworst.blogspot.com/ ), le Lillablog (http://lillablog.over-blog.com/ ) et le Yodablog (http://www.yodablog.net/ ). Le 29 janvier, lors du festival d’Angoulême, sera choisi parmi ces trois finalistes le blogueur qui pourra éditer son album chez Vraoum. Je vous laisse consulter ces trois blogs bd aux styles très différents.
Depuis le 12 janvier, la BD en ligne s’enrichit d’une nouvelle série, The Shakers, un feuilleton policier par Fred Boot (http://www.the-shakers.net/ ). Ce dessinateur a déjà publié de nombreuses BD en ligne et Julien Falgas (http://blog.abdel-inn.com/) l’évoque dans son dernier article, expliquant comment Fred Boot utilise les potentialités de la BD numérique, notamment dans la fusion de plusieurs procédés (image narrative, graphisme pur, texte seul, musique…). Un bon exemple, donc, de ce que pourrait être une BD numérique innovante.

Le blog de Gad, aux origines d’Ultimex
Mais revenons-en au sujet qui nous occupe aujourd’hui : le blogueur Gad, indissociable de la série qui l’a fait connaître sur la toile depuis 2008, Ultimex. Car, contrairement à de nombreux blogueurs bd présentés jusque là sur ce blog, la carrière de Gad commence avant tout sur internet. Petit retour en arrière…
Gad, de son vrai nom François Gadant, commence à publier en décembre 2007 les aventures de son héros Ultimex sur le blog Lizzycool (http://lizzycool.over-blog.com), collectif d’auteurs rassemblant Gad, Karh et Thom. Pour ces jeunes auteurs, Internet est devenu un bon moyen de diffuser leurs dessins au-delà de leur fanzine Drawer’s High. Puis, dès 2008, alors que Lizzycool s’éteint doucement, Gad ouvre son propre blog dédié au personnage d’Ultimex, http://ultimex.over-blog.com. Il commence alors à publier des planches régulières de cette série ayant pour titre exact Ultimex et Steve, le faire-valoir prodige. S’enchaînent alors 6 saisons pour plus de 130 épisodes, le blog continuant encore à ce jour. Depuis avril 2009, la saison 6 inaugure d’ailleurs une nouvelle expérience, celle de l’histoire longue, alors que les saisons précédentes étaient des successions de gags courts en une planche.

Les éditions d’Ultimex : Vraoum et les éditions Lapin


Mais 2009 est aussi pour Gad l’année de l’édition papier de ses premiers albums. Comme de nombreux blogueurs bd publiés, il profite de maisons d’édition tournées vers la création graphique sur internet. Les éditions Lapin, une des premières maisons d’éditions de BD sur internet, publie fin 2008 sa participation aux 24h de la bande dessinée sous le titre Ultimex et Steve, le faire-valoir prodige. C’est cette maison qui édite son dernier album, Le duel, en septembre dernier, album qui est pour lui l’occasion de développer un récit complet de soixante pages. Mais Gad est également repéré par les éditions Warum pour figurer dans son label grand public, Vraoum. Il y publie un recueil intitulé Le mauvais oeil. Au sein de ce label, il cotoie d’autres blogueurs bd : Bastien Vives, Monsieur le Chien et bien sûr Wandrille, cofondateur de Warum. Le mauvais oeil se veut un ensemble de planches publiées sur le blog, choisies et redessinées pour pouvoir être publiables.
Gad, avec sa série Ultimex, est représentatif des dessinateurs ayant percé grâce aux blogs, partant d’une expérience limitée dans le fanzinat pour, en quelques années, parvenir à l’édition (Miss Gally, Monsieur le Chien, Aseyn, Martin Vidberg…). Autour de quelques maisons, qu’elles soient sur Internet (Lapin, Foolstrip…) ou uniquement en format papier (Warum, Diantre !, la collection Shampooing de Delcourt, Makaka éditions…), les blogueurs bd des années 2007-2009 trouvent des points d’attache et des manières de sortir du seul format du blog.

Mauvais esprit et mauvais oeil

Ultimex, sans doute, n’est pas à mettre entre toutes les mains. Série provocatrice, à l’humour souvent trash et d’un mauvais goût revendiqué, elle reste pourtant suffisamment originale dans le paysage actuel de la bande dessinée.
Les personnages, tout d’abord. Ultimex, le héros, est un homme musclé et sûr de lui ayant à la place de la tête un énorme et unique oeil. Il est prétentieux, de mauvaise foi, complètement intolérant, misogyne, mais se montre aussi incroyablement costaud, riche et collectionne les conquêtes d’un soir qui viennent enrichir son étrange vie sexuelle. Il est accompagné par son meilleur ami Steve, dont le titre de « faire-valoir prodige » n’est pas volé puisqu’il a tous les défauts qu’Ultimex n’a pas, à quoi viennent s’ajouter une naïveté malsaine et des désordres psychologiques certains. Leur duo fonctionne, comme souvent, sur cette complémentarité des rôles, Steve admirant et jalousant à la fois son ami. Leurs aventures se décomposent en plusieurs anecdotes d’une ou plusieurs planches.
Dans une interview donnée à l’occasion du festiblog 2009, Gad évoque comme influence « un univers assez désuet comme le vieux graphisme publicitaire américain, les tableaux d’Edward Hopper, les comics des années 50 ». Il y a, en effet, dans Ultimex, un trait rétro, presque maladroit, qui pourrait être sorti d’une vieille publicité où les personnages portent toujours de sordides cravates et des pantalons droits. Les codes graphiques (découpages des cases, choix des cadrages) ont eux aussi quelque chose de traditionnels. La grande force de la série est le décalage entre ce graphisme simple, qui participe d’ailleurs à l’atmosphère dérangeante de l’ensemble, et l’humour glauque dont le ressort principal est le plus souvent l’attitude explosive du héros ou de Steve, son stupide faire-valoir. Situations immorales, violence, sexe, cruauté s’imposent au lecteur qui ne peut s’empêcher de sourire. Le personnage même d’Ultimex, opposant son impeccable costume sombre et sa cravate à son énorme oeil, symbolise sans doute la monstruosité recherchée dans la série. Ultimex est une série animé d’un esprit puissant qui ébranle les bases mêmes de l’âme humaine, nous entraînant dans un monde où à peu près tout ce qui est dépourvu de moralité est permis et interrompt un monde en apparence bien rangé. On pourrait parler de série d’humour, oui, si cet humour n’était pas si noir et glauque.

Bibliographie :
http://ultimex.over-blog.com
http://www.festival-blogs-bd.com/2009/08/interview-2009-gad.html
Ultimex et Steve, le faire-valoir prodige, éditions Lapin, 2008
Ultimex, le mauvais oeil, Warum, 2009
Le duel, éditions Lapin, 2009

Parcours de blogueur : Guillaume Long

Dans un précédent parcours de blogueurs, j’évoquais Nancy Pena, auteur de Tea Party, en sélection officielle au festival d’Angoulême 2010. Son compagnon, Guillaume Long, fait lui aussi partie de la blogosphère avec deux blogs dont un sur la plateforme du Monde.fr. Ce jeune auteur né en Suisse en 1977 a déjà publié, dans les années 2000, de nombreux albums originaux et passionnants, dans l’esprit de la bande dessinée indépendante, expérimentale et autobiographique.

Reconnaissance rapide et parcours diversifié

Guillaume Long fait partie de la jeune génération de dessinateurs suisses qui, à l’image de Frederik Peeters (Pourquoi lire Frederik Peeters ?), Tom Tirabosco, Pierre Wazem, Ibn al Rabin, commencent leur carrière dans les années 2000 et allient assez rapidement une honnête reconnaissance et une production intense d’au moins un album par an. C’est toutefois en France qu’il s’établit en intégrant l’Ecole des Beaux-Arts de Saint-Etienne. (époque qu’il raconte dans Comme un poisson dans l’huile et Les sardines sont cuites).
Après un court premier album publié en 2001 aux éditions Memyself, maison d’auto-édition du dessinateur Ibn al Rabin, Guillaume Long trouve une place auprès de deux maisons d’éditions : Vertige Graphic (http://vertige-graphic.blogspot.com/) pour la BD adulte et La joie de lire (http://fr.wikipedia.org/wiki/La_joie_de_lire) pour la BD jeunesse. Car il navigue, comme beaucoup d’auteurs de BD, entre les deux eaux de l’édition adulte et de l’édition jeunesse, alternant dans sa production des albums pour l’une ou pour l’autre. Vous l’aurez compris, c’est surtout sa production de BD adulte qui m’intéresse, même si sa participation active à La Joie de lire, maison d’édition jeunesse suisse fondée en 1987, n’est pas dénuée d’intérêt en ce qu’elle montre la complémentarité des deux métiers de dessinateurs adulte et enfant (La Joie de lire a dans son catalogue d’autres dessinateurs de Bd suisses comme Tom Tirabosco, Pierre Wazem et Alex Baladi). Vertige Graphic l’inscrit bien dans la mouvance de l’édition indépendante : maison fondée en 1987, elle édite essentiellement des auteurs étrangers reconnus pour leur singularité graphique (Pratt, Mattoti, Breccia, Sacco) et des albums expérimentaux, catégorie dont fait partie Guillaume Long avec ses trois albums autobiographiques : Comme un poisson dans l’huile, Les sardines sont cuites et Anatomie de l’éponge. Récemment, toutefois, il a publié dans le label « rock » de Casterman, KSTR qui édite des auteurs débutants, l’album La cellule.
Une première marque de reconnaissance est venue à Guillaume Long lorsqu’il a reçu en 2003 le prix Töpffer de la ville de jeunesse pour Les sardines sont cuites, prix qui encourage un jeune auteur résidant à Génève. Il travaille également beaucoup pour la presse, mêlant là aussi presse jeunesse (Okapi, Tchô, Phosphore, Astrapi…) et presse adulte (Le Matin, Le Monde, La Tribune de Genève…). Il lui arrive également occasionnellement, pour compléter sa panoplie d’illustrateur, de réaliser des pochettes de disques (notamment pour Angil and the Hiddentracks, http://www.angil.org/).

Un blog appétissant

Guillaume Long est aussi un blogueur, ce qui est loin d’être la partie principale de son travail mais qui l’inscrit malgré tout dans la mouvance de la BD sur internet et lui donne une présence sur la toile. C’est en janvier 2007 qu’il commence un blog intitulé un café, un dessin (http://uncafeundessin.canalblog.com/ ) qui, comme son nom l’indique, rassemble des petits dessins impromptus réalisés sur un coin de table, insolites et expérimentaux, comme cet étrange haltérophile.
Depuis octobre 2009, sa carrière de blogueur a pris un élan supplémentaire puisqu’il est devenu blogueur invité sur lemonde.fr, rejoignant ainsi ses collègues Martin Vidberg et Nicolas Wild (évoqué dans un précédent Parcours de blogueur). Le thème du blog, qui a pour titre A boire et à manger (http://long.blog.lemonde.fr/) est, comme son nom l’indique, la cuisine, sujet passionnant s’il en est et qui donne l’occasion à Guillaume Long de partager son goût pour la gastronomie. L’occasion pour lui soit de nous narrer des anecdotes de vie culinaires, de donner des astuces, mais surtout de dessiner ses recettes préférées. Ainsi nous explique-t-il, non sans mauvaise foi, comment faire un bon café avec une vraie cafetière italienne ( Pause café ). Ou encore, fin gourmet, nous donne-t-il d’étonnantes mais néanmoins apétissantes recettes à base de radis noir (Le radis noir le week-end aussi ). Une manière pour lui de concilier deux passions, le dessin et la gastronomie domestique. Le rapport dynamique entre les commentaires et les dessins rend la lecture fluide et amusante.

Une question d’influence


Guillaume Long se pose lui-même des questions sur ses influences dans son album Anatomie de l’éponge, paru en 2006. Plusieurs noms en ressortent qui nous éclairent sur son style. Le rôle de ce qui fut appelée au début des années 2000 la « Nouvelle bande dessinée française » y est incontestable : Blain, David B., Sfar, et bien sûr Trondheim.
Déjà se ressent sur le blog un goût pour la narration concise et efficace, convenant parfaitement à l’objectif que Guillaume Long s’est donné : décrire des recettes de cuisine. Il n’est nul besoin d’encombrer les descriptions de détail, mais il faut simplement aller à l’essentiel. Ainsi maîtrise-t-il bien les rapports entre le texte, comme une voix-off, et le dessin. C’est d’ailleurs là une des marques de fabrique de ses albums pour adultes (tandis que les albums enfants font davantage appel à une narration à bulles traditionnelles) : il délimite le plus souvent sa narration en petites séquences de cases soutenues par un texte sous-jacent transcrivant les pensées ou le récit du personnage-narrateur. Si, dans le blog, ce rapport texte-image est extrêmement simple (le texte complète naturellement les informations du dessin qu’il rapporte ainsi à une narration parlée) dans la mesure où Guillaume Long ne cherche pas à y faire une oeuvre d’art mais à s’exprimer clairement en image (ce qui n’est déjà pas toujours facile !), les rapports en question se complexifient dans ses albums. Il fait souvent appel au décalage ironique : le narrateur raconte la scène dans le texte mais le lecteur s’aperçoit, par l’image, qu’elle ne se passe pas aussi bien qu’elle est décrite. C’est là par exemple tout le propos de « I smell smoke », court récit paru dans le recueil Anatomie de l’éponge : il y décrit sa rencontre avec le groupe Angil and the Hiddentracks, idéalisée dans la narration, catastrophique d’après le dessin…
La patte de Lewis Trondheim perce dans le minimalisme expérimental de certains albums, et notamment le dyptique Comme un poisson dans l’huile/Les sardines sont cuites dans lequel il s’attarde sur ses années passées aux Beaux-Arts et son amitié avec Rémi, un de ses camarades. Exercice transformé en expérience sur l’autobiographie et l’interrogation sur ce qu’est la « vérité » de ce genre. Dans Comme un poisson dans l’huile, il développe le récit en 1200 petites cases carrées de même taille (même procédé que dans Lapinot et les carottes de Patagonie de Trondheim en 1992). Le texte est volontairement concis et insuffisant tandis que le dessin révèle, parfois brutalement, les difficultés du narrateur; le tout amenant un étrange sentiment de malaise. Dans ces deux albums, proches de véritables exercices de style, mais aussi dans d’autres productions ou sur son blog, Guillaume Long montre qu’il aime expérimenter, dans le dessin ou la narration : jeu sur le contour des cases, clair-obscur expressionniste, itération iconique, minimalisme allant jusqu’à l’abstraction ; dans La cellule, la réalité, tout comme le dessin, se déforme pour le héros qui vient de se faire larguer par sa copine.
Autre trait qui le rapproche des influences de la BD indépendante des années 1990 : l’autobiographie est le genre favori de Guillaume Long ; sa vie, réelle ou romancée, la matière principale de son inspiration. Et il ne s’agit pas seulement de raconter sa vie, mais surtout d’analyser son travail de dessinateur. Seul La cellule parut plus récemment chez KSTR, vient rompre avec la spécificité autobiographique.
Son rapport à Lewis Trondheim est le fil conducteur de Anatomie de l’éponge. Le célèbre dessinateur y devient « Luis Troën » est l’évocation de son simple nom provoque chez Guillaume Long des crises de timidité aiguës. Le tout est émaillée de références constantes à La mouche, célèbre série muette de Trondheim. Une obsession parcourant l’album du début et jusqu’à la fin où un postface est justement dessiné par l’idole de Guillaume Long.

Bibliographie :

Hin! Hin!, Editions MeMyself, 2001
Quentin et les étoiles magiques (avec Nathalie Gros), Editions Alice Jeunesse, 2001
Comme un poisson dans l’huile, Vertige Graphic, 2002
Les sardines sont cuites, Vertige Graphic, 2003
Swimming poule mouillée, La Joie de lire, Collection Somnambule, 2003
L’imagier de Guillaume, La Joie de lire, 2005
Anatomie de l’éponge, Vertige Graphic, 2006
Le grand méchant huit, La Joie de lire, Collection Somnambule, 2006
La cellule, KSTR, 2008
Plâtatras!, La Joie de lire, Collection Somnambule, 2009
101 bonnes raisons de se réjouir de lire, La Joie de Lire, Collection 101 bonnes raisons de se réjouir de…, 2009

Webographie :
Un café un dessin
A boire et à manger
Book en ligne

Parcours de blogueur : Lisa Mandel

Avant tout, une info essentielle pour les lecteurs de blogs bd : Frantico est revenu ! (http://www.megakravmaga.com/ )

Poursuivons doucement dans la bande de l’atelier d’illustration des Arts Déco de Strasbourg, une pépinière de dessinateurs et de blogueurs. Lisa Mandel y fut la camarade de Boulet et de Nicolas Wild que j’évoquais dans de précédents articles. Née en 1977, elle est déjà une dessinatrice prolifique et complète, à l’aise aussi bien dans la BD jeunesse que dans des oeuvres pour les adultes.

Des revues jeunesse à l’édition adulte


Lisa Mandel suit d’abord un parcours classique que l’on retrouve chez ses collègues précédemment cités et chroniqués. Après ses études aux Arts Décoratifs de Strasbourg, elle s’engage dans plusieurs revues pour la jeunesse où elle dessine ses premières séries. Son style volontairement regressif la conduit dans des revues au ton moins sage, en l’occurence Tchô ! et Capsule Cosmique. Cette dernière revue, expérience éditoriale lancée en 2004 chez Milan Presse par Gwen de Bonneval, revendique la recherche d’une autre BD jeunesse, plus impertinente et autour de thématiques nouvelles et de graphismes moins traditionnels. La revue fait se cotoyer des auteurs de BD adulte talentueux, dont certains sont issus de l’Association (Stanislas, David B…) et des débutants comme Lisa Mandel, mais aussi Riad Sattouf et Mathieu Sapin (qui ont tout deux commencé à publier au début des années 2000). Elle y crée la série Eddy Milveux, jeune garçon possédant une blatte magique capable de réaliser des voeux. Malheureusement, Capsule Cosmique s’arrête en 2006. Quant à Tchô, où elle retrouve Boulet, elle y dessine les aventures de Nini Patalo, une autre histoire loufoque d’une petite fille qui, dont les parents disparaissent par magie et qui se retrouve seule avec son canard en peluche devenu vivant et Jean-Pierre, un homme préhistorique décongelé. Les deux séries lui donnent l’occasion de publier ses premiers albums. Progressivement, par ses séries et son humour original, elle s’est imposée comme une figure de l’illustration pour enfant.
Mais Lisa Mandel ne s’arrête pas là et tente aussi l’aventure de la BD adulte avec des albums plus personnels où elle montre qu’elle ne fait pas qu’elle peut aussi quitter le registre de l’humour. C’est ce qu’elle explique dans une interview donné à 20minutes à l’occasion du festival d’Angoulême : « J’étais cataloguée « petits machins rigolos ». Mais depuis quelque temps, je suis sorti du rayon jeunesse grâce à mon blog où j’abordais des thèmes différents. Avec cet album [Esthétique et filatures], j’ai atteint le statut d’auteur. Même s’il y a encore de l’absurde et du rigolo dedans. » . Commence alors pour Lisa Mandel, sans qu’elle abandonne complètement le dessin jeunesse, une nouvelle phase de son travail, moins marquée par l’humour. Les sujets qu’elles abordent sont clairement adultes, voire même graves et sérieux. Princesse aime princesse, publié en 2008, a détourne les schémas classiques du conte de fées pour raconter une histoire d’amour lesbienne. Esthétique et filatures, qu’elle scénarise avec Tanxxx, une autre célèbre blogueuse, au dessin, traite aussi, mais dans un univers plus sombre, du destin d’une jeune lesbienne. Nommé au festival d’Angoulême, l’album connaît ainsi une petite publicité. Enfin, avec HP, son dernier album sorti en septembre dernier, elle sort de la fiction pour proposer une suite d’histoires courtes où elle donne la parole à des infirmiers d’hôpitaux psychiatriques. Un album qu’elle avait, dit-elle, depuis longtemps en projet pour témoigner de l’évolution d’un métier et surtout d’un milieu peu connu du public.

Le blog de Lisa Mandel : un blog d’expatrié


Le blog de Lisa Mandel, « Libre comme un poney sauvage » apparaît sur la toile en 2005, suivant de près la première génération de blogueurs. Il ne s’agit pas pour elle de dessiner des anecdotes de vie ; ce blog a un objectif plus concret, un événement déclencheur : le long séjour qu’elle fait en Argentine en 2005. Lisa Mandel a déjà voyagé, au Sénégal et au Cambodge, mais elle décide cette fois de raconter son périple en BD, sous la forme d’un blog. Rappelez-vous Nicolas Wild : nous sommes là dans la formule du blog d’expatrié qui s’identifie au carnet de voyage, genre littéraire riche d’une longue tradition. Comme le blog de Boulet, celui de Lisa Mandel offre un graphisme étudié loin des formes plus artisanales qui sont celles des blogs bd ; le site est d’ailleurs réalisé par designfacility, un studio de création sur le web. Lisa Mandel y raconte donc son séjour en Argentine en mêlant des anecdotes classiques, impressions de voyage et réflexions sur l’écriture et la BD. Il évolue progressivement et s’enrichit de rubriques : vente aux enchères, infos sur les dédicaces… Lisa Mandel en prévoit même une version anglaise et espagnole, encore en travaux.
En 2006, le blog est édité en album dans la collection Shampooing de Lewis Trondheim, comme de nombreux autres blogs bd.
A côté de son blog principal, Lisa Mandel participe à la blogosphère par d’autres biais. Elle participe à la deuxième édition du festiblog. Elle est aussi une des cinq « chicous » du blog Chicou-chicou, où elle incarne le personnage de Juan, séducteur invétéré et bisexuel. Ayant participé aux premières 24heures de la BD en 2007, on la trouve dans Boule de neige, le collectif réuni à cette occasion par Lewis Trondheim.

Depuis novembre 2009, à la grande joie de ses fans, Lisa Mandel a réouvert son blog qui était resté en suspens après son retour d’Argentine. L’occasion en est, évidemment… son retour en Argentine jusqu’en janvier.

L’expressivité d’un style

Si Lisa Mandel fait appel à un style enfantin, assez proche de Reiser dans sa facture volontairement brouillonne, ce n’est qu’une façon de brouiller les pistes. Une esthétique très particulière, peut-être déstabilisante pour qui n’en a pas l’habitude mais que Lisa Mandel utilise aussi bien pour ses albums humoristiques pour enfants que pour des albums adultes. Elle reprend là une tradition de la BD underground du « dessin laid » qui ne recherche pas la perfection esthétique et la clarté mais vise au contraire une forte expressivité qui renforce les effets et, indirectement, humanise le dessin ; expressivité efficace aussi bien pour des scènes comiques que pour des scènes plus dramatiques. Sur son blog comme dans certains de ses albums, elle utilise une mise en page libre supprimant volontairement la traditionnelle case qui peut là encore rappeler Reiser, mais aussi les carnettistes de l’Association, Sfar et Trondheim. (note)
La richesse de Lisa Mandel réside dans cette opposition entre un style en apparence désordonné et enfantin et des réflexions qui, à bien y réfléchir, sont plus profondes qu’il n’y apparaît. C’était déjà perceptible dans ses premières séries pour enfants où le non-sens masquait un humour subtil dans son absurdité. Les albums pour adultes viennent confirmer cette capacité qui donne à son graphisme simple un fort pouvoir de suggestion qui fait passer des émotions et des idées. De véritables obsessions ressortent, tissant des liens entre le monde de l’enfance et le monde adulte : la naissance du sentiment amoureux, le pouvoir à la fois stimulant et destructeur de la folie, la force de l’imagination enfantine. Dans son dernier album, HP, édité par la très sérieuse maison l’Association, elle explore une voie documentaire tout en se servant de son graphisme pour représenter la folie et la monstruosité. Elle troque ses habituelles aquarelles pour un noir et blanc réhaussé de orange qui insiste sur les scènes critiques des étranges récits des infirmiers psychiatriques.

Bibliographie :
Nini Patalo, Glénat, 2003-2009
Chansons pour les yeux, Delcourt, (collectif) 2004
Eddy Milveux, Milan, 2004-2005
L’île du professeur Mémé, Milan, 2006
Libre comme un poney sauvage, Delcourt, 2006
Boule de neige, Delcourt, 2007
Chicou-Chicou, Delcourt, 2008
Princesse aime princesse, Gallimard, 2008
Esthétiques et filatures, Casterman, 2008
HP, L’Association, 2009

Webographie :

L’ancien blog de Lisa Mandel : Libre comme un poney sauvage (il faut passer par les archives pour lire le blog)
Le nouveau blog de Lisa Mandel : http://lisamandel.net/
Les citations sont tirées des deux interviews suivantes :
Bodoï – Lisa Mandel ausculte l’hôpital pschiatrique
20minutes – Lisa Mandel de la cour de récré à la cour des grands

Parcours de blogueurs : Nicolas Wild

Les blogs bd racontent des anecdotes de vie en BD, certes. Mais ceux de Nicolas Wild, ainsi que ses albums, racontent des anecdotes de vie en direct de l’Afghanistan ou de l’Iran. Présent depuis longtemps sur internet, il a encore peu d’albums à son actif mais la sortie de son blog en format papier en 2007 sous le titre Kaboul disco l’avait fait connaître auprès du public. S’inscrivant dans la mouvance récente des récits de voyage en BD à visée documentaire, les travaux de Nicolas Wild ont sur les autres blogs bd ont l’avantage incontestable du dépaysement.

Nicolas Wild se forme dans l’atelier d’illustration des Arts Décoratifs de Strasbourg, où il se trouve en compagnies d’autres futurs éminents blogueurs : Boulet, Reno, Lisa Mandel et Erwann Surcouf. Comme beaucoup de dessinateurs, il commence par l’illustration pour enfants en réalisant en 2004 quelques dessins pour Fleurus Presse. Sa toute première bande dessinée est éditée en 2000 chez un tout petit éditeur, les Oiseaux de Passage (elle peut se lire ici : Le Bourreau, très influencée par Lewis Trondheim). Puis, avec Boulet et Lucie Albon, il co-scénarise un album, Le voeu de Marc, publié, à plus grande échelle cette fois, à La boîte à bulles en 2005.

Le blog comme carnet de voyage

Entre temps, Nicolas Wild s’est installé sur la toile avec son site internet, comme de nombreux dessinateurs. En 2003, à l’occasion d’un séjour de six mois en Inde, il publie régulièrement, sur ce site, des dessins et des photos, comme des impressions de voyage (Six mois dans le sud de l’Inde ). C’est le début d’une des principales thématiques de ses travaux suivants : le voyage, car Nicolas Wild adore voyager. Internet est alors un moyen de communiquer avec la France et de raconter une expérience, de donner des nouvelles ; c’est un autre aspect du « blog » (même si les blogs n’existaient pas encore à l’époque) qui se dévoile ici, quittant les rivages du quotidien qu’on lui connaît habituellement. Mais paradoxalement, c’est en rentrant en France qu’il se lie au mouvement des blogs bd en lançant son propre blog fin 2004 sur la plateforme 20six (une plateforme bien connue des blogueurs de la première génération). Sur ce blog intitulé « Pangolin », il romance sa vie quotidienne à Paris, un peu à la manière de Boulet (le blog n’existe plus mais quelques extraits ici http://n.wild.free.fr/BD/paris.htm ).
Et puis, en 2005, il reçoit une proposition de travail dans une agence de communication en Afghanistan. C’est le début d’un long séjour dans ce pays qui donnera naissance à l’album Kaboul Disco. Il trouve là le pretexte à un album qui, comme il l’explique lui-même, dépasse le simple stade du blog par une scénarisation plus complexe. L’album sort en 2007, toujours à la boîte à bulles qui, décidément, s’intéresse aux jeunes blogueurs. Un second tome sort en 2008.
Nicolas Wild retrouve le format du blog en avril 2008 pour évoquer cette fois un séjour en Iran, mais où il revient aussi sur l’Afghanistan (From Kabul with blog). Ce blog est abrité sur la plate-forme de blogs du Monde, lui donnant ainsi une visée journalistique et documentaire. Dans ce domaine aussi les blogs sont, pour des journalistes, un bon moyen de renouer avec l’instinct du reporter vivant au jour le jour l’actualité que l’on entend à la radio, se posant en témoin. (le site du Monde accueille de nombreux blogs de voyage, mais, par exemple, je vous conseille le blog de Justine Brabant, Dakar entre quatre yeux ). Le blog est une forme renouvellé du carnet de voyage, plus rapide, plus efficace, et permettant de toucher un plus vaste public. Et le voyage donne un sens au blog, à plus forte raison à un blog bd où l’image et le récit se mêlent pour approfondir les impressions de voyage.

Bande dessinée et carnet documentaire
En lisant Kaboul Disco, on ne peut s’empêcher de penser aux nombreux albums récemment publiés traitant, eux aussi, de la vision d’un dessinateur dans un pays lointain. Emmanuel Guibert est un des principaux représentants de ce courant qui se développe particulièrement dans les années 2000 avec sa série Le Photographe, publiée chez Dupuis de 2003 à 2006. Mais Nicolas Wild, graphiquement, se rapproche davantage du Canadien Guy Delisle et de sa série de carnets de voyage (Schenzhen en 2000, Pyonyang en 2003, Chroniques birmanes en 2007). Notons aussi un album du Suisse Pierre Wazem, Presque Sarajevo, paru en 2002, traitant là encore du même thème avec le même trait synthétique. Mais rappelons-nous aussi que l’un des premiers à se servir de la BD pour témoigner de la réalité quotidienne d’une situation difficile est Joe Sacco qui publie ses carnets de voyage dans des zones sensibles du continent européen : la Palestine en 1992-1993, la Bosnie en 1994-1995. Joe Sacco ouvre ainsi la voie à un travail de dessinateur qui se rapproche de celui du journaliste-reporter.
C’est dans cette mouvance des dessinateurs globe-trotter qu’il faut replacer Kaboul Disco. Nicolas Wild a peut-être en tête les travaux de Delisle lorsqu’il commence son blog. Il partage avec les titres cités de nombreux points communs, et en particulier une volonté didactique : l’enjeu est de présenter au lecteur un pays mal connu en France en insistant à la fois sur les aspects du quotidien et sur l’expérience personnelle de l’auteur. La dimension autobiographique est utilisée pour faire du dessinateur un témoin, le plus souvent passif par rapport à l’action et véhiculant un regard étranger et curieux proche de celui du lecteur. (C’est là tout le propos du Photographe de Guibert : être dans l’oeil du photographe, l’image devenant ainsi dépendante du commentaire propre au narrateur). L’exotisme est évacué au profit d’un récit du quotidien qui s’intéresse davantage aux personnes et ne prétend pas à la beauté des paysages. Le but n’est pas non plus politique : les dénonciations sont présentes, mais pas violentes ou dramatisées. Bien au contraire, ce sont des récits parcourus par les incertitudes de l’auteur qui pose la question de son rôle sur place, de ses convictions et de ses hésitations (dans la boîte de communication où il travaille, Nicolas Wild hésite à . Il est là non pas pour se battre mais le plus souvent pour exercer son travail de dessinateur. Nicolas Wild est en Afghanistan pour réaliser une BD didactique à destination des petits afghans, Yassin et Kâkâraouf. Son seul objectif est de témoigner, au sens le plus neutre du terme, sans pathos, de raconter une expérience qui sort de l’ordinaire mais colle à la réalité.
La réduction du trait vers le schématisme accentue cet effet, chez Nicolas Wild, mais aussi chez Delisle ou Wazem, en concentrant le lecteur sur les dialogues et les situations et en donnant une large place au dialogue intérieur de l’auteur. On trouve donc finalement ces deux dimensions dans Kaboul Disco et dans les blogs de Nicolas Wild : un récit autobiographique par la forme (suite d’anecdotes, vie quotidienne, récit intérieur) mais où la vie de narrateur est dépassée par l’enjeu documentaire d’une situation politique hors norme pour nos civilisations occidentales.
Il faut bien l’avouer, on ne retrouve pas chez Nicolas Wild le dynamisme synthétique et l’humour de Delisle. Kaboul Disco n’est pas exempte de défauts et de longueurs, se concentrant surtout sur le milieu des expatriés et n’exploitant pas toujours tout le potentiel de ses histoires. Mais le récit reste sympathique et instructif ; on y trouve de belles trouvailles et le trait de Nicolas Wild permet une lecture rapide. Son blog tenu en 2008-2009 sur l’Iran montre aussi que le carnet de voyages s’adapte très bien à une lecture de petits épisodes au jour le jour, peut-être davantage qu’à un album. Personnellement, je trouve que les notes sont l’Iran montrent un progrès dans l’écriture de Nicolas Wild, la narration est mieux gérée, les notes sont plus inventives, mêlant textes, dessins et photographies (et en plus disponible gratuitement sur Internet !). Peut-être est-ce là le début d’une nouvelle carrière de dessinateur-reporter…

Bibliographie :
Le voeu de Marc (co-scenario de Boulet, dessin de Lucie Albon) La Boîte à Bulles, 2005
Kaboul Disco, La boîte à bulles, 2007-2008 (2 tomes)

Webographie :
Le blog actuel de Nicolas Wild, From Kabul with blog
Le site internet de Nicolas Wild (pas récemment mis à jour) : http://n.wild.free.fr/
Les premières pages à lire de Kaboul Disco sur le site de l’éditeur : Kaboul Disco
Une interview de Nicolas Wild sur bdencre : rencontre avec nicolas wild

D’autres titres de dessinateurs-reporters à découvrir :

Joe Sacco, Palestine, Vertige Graphic, 1996 (2 tomes)
Joe Sacco, Gorazde, Rackham, 2004 (traduction de l’anglais)
Guy Delisle, Schenzhen, L’Association, 2000
Guy Delisle, Pyonyang, L’Association, 2003
Pierre Wazem, Presque Sarajevo, Atrabile, 2002
Emmanuel Guibert, Le photographe, Dupuis, 2003-2006 (2 tomes)