Comme cela fait maintenant cinq semaines que je vous arrose de bande dessinée numérique, on va revenir un peu au patrimoine imprimé… Aujourd’hui, poussé par l’actualité de 2015, je me penche sur Charlie Hebdo. Pas l’actuel, non, mais l’ancien, celui des années 1970. Et je me pose cette question : n’a-t-on pas sous-estimé l’importance du premier Charlie Hebdo pour l’histoire de la bande dessinée ?
Archives pour la catégorie Dessin de presse
Tendances numériques (2) : bande dessinée et presse en ligne
De retour sur les terres de la création graphique numérique, je vais m’intéresser à quelques tendances de la bande dessinée numérique la plus contemporaine. Aujourd’hui je me penche sur la façon dont la presse en ligne a permis le développement d’une « bande dessinée de presse ». Il sera plus particulièrement question de deux titres de presse : la plateforme lemonde.fr et la revue Vents contraires.
La satire à hauteur d’enfant : de Raoul Guérin à Riad Sattouf
Vainqueur une fois de plus du prix du meilleur album au FIBD pour L’arabe du futur, Riad Sattouf construit une carrière de dessinateur et cinéaste où surnage toujours une forme de satire sociale, voire politique. Il s’inscrit ainsi dans une fort longue tradition du dessin de presse à la française qui, au moins depuis Daumier, s’amuse à dépeindre les contemporains.
Mais ce n’est ni de L’arabe du futur, ni de Pascal Brutal dont j’aimerais vous parler ; c’est d’une autre de ses créations actuelles, Les cahiers d’Esther, une série hebdomadaire publiée dans Le Nouvel Obs. Il entretient de nombreuses similitudes avec une des oeuvres d’un auteur peu connu de la bande dessinée de presse des années 1930 : Raoul Guérin.
Evolution et crispation dans le monde du dessin de presse
Mes recherches actuelles me portent vers l’étude du dessin de presse, et notamment dans ses rapprochements avec la bande dessinée. Peut-être une série d’articles sur ce sujet d’ailleurs… Mais en attendant, un article récent du dessinateur Gaël relayé sur le site http://www.caricaturesetcaricature.com/ m’a suffisamment interpellé pour que je rédige un article sur la situation actuelle du dessin de presse face à deux problématiques : la crispation de certains face à l’humour, et internet la diffusion numérique.
Parcours de blogueurs : Gaël
L’idée de cet article m’est donc venu d’un article de Gaël Denhart, dessinateur de son état, paru d’abord sur son blog lié au site Rue89, Un crayon dans la tête, puis repris sur le site scientifique spécialisés en histoire et analyse du dessin de presse, caricaturesetcaricatures, dans un article intitulé Menaces sur la profession de caricaturiste, pourquoi l’indifférence.
Gaël Denhart aurait très bien pu faire l’objet d’un parcours de blogueur puisque son blog (plus un site qu’un blog, d’ailleurs), L’appartelier, fut un des premiers blogs que je consultais régulièrement, il y a de ça quatre ou cinq ans, quand le phénomène des blogsbd n’en était encore qu’à ses débuts. C’est donc avec une pointe de nostalgie que ce blog me transporte quelques années en arrière : un site en flash crée par Kek, des liens vers les blogs de Cha, de Lovely Goretta, de Boulet, de Melaka, de Tanxxx, et même de Frantico, c’est vous dire. Les archives sont facilement accessibles sur le site et bien rangées, vous y trouverez même des dessins de 2003, du temps où Gaël, qui n’avait pas encore de blog à lui, squattait les quelques premiers blogs des autres, chez Cali, AK, Kek, Capu et Libon et Mr Moyen. Allez papillonner de rubriques en rubriques pour savourez l’humour de Gaël Denhart, dit aussi Gä sur la blogosphère.
Gaël, en même temps que de tenir son blog, publie plusieurs albums. En 1997 paraît son premier album, Robert le skin. Puis, à partir de 2000, il dessine de nombreux albums du type « Guide illustré du… » d’abord chez La Sirène et plus récemment chez Wygo. A noter également, pour être complet, la série Les Blattes qu’il crée avec Mo/CdM au Lombard et un album plus autobiographique directement tiré de son travail sur Internet, Le divorce, au Seuil en 2007. Gaël mène durant les années 2000 une carrière entre l’illustration « papier » et la bande dessinée sur Internet, puisqu’il participe à la mise en place et l’animation du site Fluide Glacial, avec Kek puis du site de Spirou. Depuis 2008, on le retrouve sur Internet pour créer un blog sur le site d’informations en ligne Rue89. Il y livre plusieurs dessins par mois sur l’actualité, se faisant ainsi dessinateur de presse (bénévole !) pour l’occasion.
Dans le dernier article publié sur son blog et repris sur caricaturesetcaricatures, Gaël expose, avec mesure, ses craintes quant à l’évolution de l’art du dessin de presse et plus particulièrement de la caricature (que j’oppose là au dessin d’humour non-critique et non-politique, à la Sempé, pour ne donner qu’un exemple). Selon lui, malgré la multiplication des espaces de publications pour les dessinateurs, sur Internet ou dans la presse traditionnelle, il se produit parfois un formatage qui édulcore une pratique qui, par essence, se veut sinon violent, du moins impertinent. Et, ajoute-t-il, la même presse qui se sert des dessins de presse comme « produit d’appel » face à un public demandeur ne relaie que trop peu les menaces, critiques, voire procès, qu’ils peuvent subir dans l’exercice de leur métier.
Les mésaventures du dessin de presse en France, 2007-2010
L’article de Gaël me donne une occasion idéale pour évoquer deux sujets différents, et d’abord la question de la liberté d’expression dans la dessin de presse.
Gaël cite plusieurs affaires récentes qui ont vu des caricaturistes être menacés et violemment critiqués par des communautés politiques et confessionnelles. Je ne fais que citer deux affaires plus médiatisées de ces dernières années, celle des caricatures de Mahomet et le procès de Charlie Hebdo d’une part (procès qui eut lieu en 2007), et l’affaire Siné d’autre part (procès en 2008). Dans les deux cas étaient mis en cause les propos de caricaturistes jugés racistes et antisémites, d’un côté par l’Union des organisations islamiques de France et de l’autre côté par la Licra. Petite précision : dans le premier cas, Philippe Val, directeur de Charlie Hebdo a soutenu les dessinateurs mis en cause, dans le second, il s’est désolidarisé du vétéran du dessin politique, Siné, qui est parti créer son propre hebdo satirique, Siné Hebdo (j’avais déjà développé cette dernière affaire dans un premier article sur le dessin de presse). Siné Hebdo fait d’ailleurs paraître ce mois-ci son dernier numéro !
Mais ces deux affaires, néanmoins symptomatiques d’un climat bien-pensant, avaient été suffisamment médiatisées et celles que nous cite Gaël l’ont été nettement moins. D’autant plus que j’ai encore d’autres exemples du même type à citer…
Gaël évoque plusieurs de ses collègues qui ont subi des pressions, anonymes ou organisées, après avoir publié des dessins : il cite Large, un de ses collègues de Rue89 critiqué par des membres de l’UMP, Babouse par des militants du NPA et surtout Berth, attaqué par des catholiques. Ce dernier cas est d’ailleurs particulièrement parlant. Le dessinateur Berth, qui tient un blog personnel (http://berth.canalblog.com/) est dessinateur satirique dans L’Humanité et Siné-Hebdo. Or, il est aussi, et ce depuis treize ans, dessinateur pour Mon Quotidien, un quotidien d’informations pour enfants édités par Play Bac. Un portail web catholique, Riposte-Catholique, a déclenché une cabale contre lui à la suite d’un de ses dessins (reproduit ci-contre). Berth est défini par les catholiques mécontents comme un « dessinateur anticlérical et d’extrême-gauche » et sa présence dans un journal pour enfants est dès lors jugée indésirable. Chacun jugera sur ce dessin où j’ai bien du mal à voir l’offense… (un « vite-dit » d’arretsurimages résume sur la question)
Cela semble à la mode de dénoncer les prétendues « dérives » de la liberté d’expression, et le dessin de presse est une cible particulièrement facile (même si les humoristes radio Guillon et Porte ont eu eux aussi leurs affaires, le premier face à Eric Besson et le second face à l’animateur Arthur). D’autres exemples pour ajouter de l’eau au moulin de Gaël. Il y a quelques semaines, c’est un dessin de Willem paru dans Libération qui suscite la colère des syndicats de police. Le prolifique Plantu, dessinateur au Monde a subit plusieurs plaintes suite à des dessins ces dernières années ; en 2008 par la CGT et en mars 2009 par des catholiques suite à un dessin mettant en cause l’attitude du pape face à la question du préservatif en Afrique (reproduit ci-contre). La chose s’est répété avec un dessin sur la pédophilie en une du Monde du 28 avril. Certains catholiques sont, ces derniers temps, particulièrement remontés contre Plantu et contre la « cathophobie » de la presse et des dessinateurs.
A chaque fois, le processus est le même : des organisations se plaignent aux journaux concernés au nom d’un communauté. Cela va rarement jusqu’au procès et se limite à des accusations et des pressions non-officielles. Le problème dans tout ça est d’éviter l’amalgame, d’un côté comme de l’autre : l’opinion de quelques extremistes sourcilleux ne réflète pas celui de toute une communauté. De même, un dessin de presse est un objet souvent difficile à déchiffrer, et qui prend des sens tout à fait différents selon le lecteur, en particulier lorsqu’il tente, courageusement, de manier l’ironie et le second degré.
On peut se demander si ces plaintes ne sont que des symptômes exceptionnels qui montrent au contraire que le dessin de presse fonctionne puisqu’il agace, ou s’il s’agit de signes avant-coureurs d’une réduction du champ d’action des satiristes et des créateurs en général. Le deuxième point de vue me paraît assez peu probable, mais sait-on jamais, il y en a bien qui en appelle au « devoir de réserve »… Ce que l’Histoire nous apprend (si on admet que l’Histoire peut nous apprendre quelque chose…), c’est que par le passé, les dessins satiriques étaient beaucoup plus violents, jusqu’à l’outrance, et suscitaient pourtant moins de plaintes pour eux-mêmes. En lisant récemment la thèse que l’historien Christian Delporte a consacré au dessin politique sous l’entre-deux-guerres, j’y ai notamment appris que les dessins, souvent très violents dans les années 1930, étaient admis par le personnel politique comme faisant partie du débat et du jeu politique, particulièrement virulent à cette époque.
Le problème, et Gaël le précise bien, n’est pas tant que des dessins suscitent des réactions de la part de ceux qui sont visés. Après tout, c’est leur but, et le débat est complexe et sans doute insoluble sur jusqu’où peut-on aller par l’humour. Les procès intentés à ces occasions sont généralement gagnés par les caricaturistes au nom de la liberté d’expression et du décalage que permet l’humour dans la compréhension de l’énoncé. Soyons honnêtes : la France bénéficie d’une liberté d’expression suffisamment large et on ne peut que s’en rejouir. Mais il est vrai que les affaires mettant en cause des caricaturistes ont été bien peu évoquées par les médias, comme si prendre position dans ces affaires revenait à se voir taxer, à son tour, de racisme, d’antisémitisme et d’intolérance. Cela alors qu’elles ont été, ces dernières années, particulièrement nombreuses. Il est vrai aussi que, dans le climat de bien-pensance généralisée, des « petits riens » conduisent parfois à l’absurde : je pense à la pipe gommée de Jacques Tati sur les arrêts de bus lors de l’exposition et à la cigarette de Gainsbourg supprimée sur les affiches du métro pour le film de Sfar. Ce n’est pas grand chose, juste l’apparition de nouvelles crispations dans la société et sans doute des questionnements sur les limites de la liberté d’expression (si ces derniers mots ont le moindre sens…). Mais le dessin de presse a aussi et surtout comme rôle de mettre à mal, sous couvert de l’humour (qui d’après moi permet tout dans la mesure où il implique l’intelligence du lecteur) les tabous et les non-dits d’une société.
Dessin de presse et BD sur Internet, enjeux communs ?
Passons à autre chose. Je termine en évoquant rapidement la question du dessin de presse et d’Internet, tout aussi intéressante que celle de la BD et d’Internet qui occupe en grande partie ce blog. Gaël parle en effet du grand nombre de « blogs persos » qui permettent aux dessinateurs de s’exprimer plus librement qu’ils ne le peuvent dans la presse. Lui-même participe à l’émergence d’un dessin de presse publié sur le net qui peut être défini, de façon élémentaire par le support, comme la publication de dessins d’humour, souvent sur l’actualité, par des sites de presse en ligne. Rue89 en est un bon exemple, puisque le site d’informations communautaire accueille les blogs dessinés de Gaël, Large, Chimulus, Coco, entre autres dessinateurs. On pourrait aussi citer le célèbre blog de Martin Vidberg, « L’actu en patates » hebergé par le site du Monde.fr. Lui aussi fut, au début des années 2000, un pionnier de la blogosphère et de la publication de BD en ligne. Il poursuit sur ce blog une activité qui en fait un vrai dessinateur de presse : dessins réguliers, commentaire sur l’actualité, lien avec un organisme de presse. Même si ces dessins se rapprochent plus de la veine du dessin d’humour non-polémique que du dessin satirique.
Et le sujet de l’avenir du dessin de presse intéresse des chercheurs et des spécialistes. Guillaume Doizy, historien de la caricature, a très récemment publié un ouvrage intitulé Dessin de presse et Internet qui se penche justement sur l’avenir d’une pratique que l’on pourrait croire menacée avec la désaffection du public pour la presse traditionnelle. Ne l’ayant pas lu, je ne m’avancerais pas à commenter ce livre. Mais si on en croit la critique qu’en livre Mira Falardeau sur le site caricaturesetcaricatures, Doizy a mené plusieurs interviews de dessinateurs en ligne internationaux pour cibler cette pratique. Il est encore méfiant vis à vis des avantages du Web pour le dessin de presse, notamment pour les questions de rémunération et de propriété.
Bon. L’important ici est que la question soit soulevée. Il est intéressant de voir que des historiens commencent à se pencher sur la question qui rejoint à la fois les problèmatiques de l’avenir de la presse en ligne et celles de l’essor de la BD en ligne.
Et puisque nous sommes dans des questions de polémiques et de publication sur Internet, je signale enfin que la lutte des auteurs de bande dessinée du SNAC-BD pour la défense de leurs droits sur les publications en ligne continue. Il semble qu’à la suite de l’Appel du numérique le 20 mars dernier, aucun accord n’a encore été trouvé pour clarifier la situation des droits sur les albums publiés en ligne. Des écrivains et illustrateurs de livre se sont joints en lançant leur propre « Appel du numérique » et poser eux aussi la question de la place de l’auteur dans la diffusion en ligne par les éditeurs. Une rencontre a eu lieu le 29 avril avec le ministère de la Culture pour organiser un groupe de travail auteurs/éditeurs. Des questions encore en suspens, donc.(Cette ultime précision fait suite à l’article Edition numérique : la balle dans le camp des auteurs).
Actualité du dessin de presse: de Siné Hebdo à la BnF
Proche cousin de la bande dessinée, la dessin de presse fait l’actualité de ce mois d’avril à travers deux évènements. Une exposition gratuite à la BnF, intitulée « Dessins de presse » a lieu jusqu’au 25 avril sur le sujet, alors même que la semaine dernière, Siné annonce la fin de Siné hebdo, un des titres d’une presse satirique qui semble peiner à trouver son public. Une deuxième exposition est prévue dans l’année à la Bibliothèque publique d’information, toujours à Paris. L’occasion, si le temps ne vous est pas compté, de relire un de mes anciens articles sur Jul et Gus Bofa.
Siné hebdo, tenants et aboutissants d’une aventure éditoriale
Dans les années 2008-2009 s’était déroulée une étrange recomposition du paysage de la presse satirique française avec la naissance successive de deux nouveaux hebdomadaires, Siné hebdo en septembre 2008 et Bakchich en septembre 2009. Jusque là, seuls deux titres dominaient très largement ce secteur assez peu contesté, le vénérable Canard enchaîné qui de 1915, et Charlie Hebdo, qui peut tout de même s’énorgueillir de plus de quarante ans d’existence (avec, certes, une coupure entre 1981 et 1992). Tous deux marquent aussi deux grands moments importants du dessin de presse au XXe siècle par les dessinateurs qu’ils ont contribué à faire connaître. Dans l’entre-deux-guerres comme dans les années 1960, on assiste à l’arrivée de nouvelles générations de dessinateurs de presse politiques : Gassier, Sennep, Moisan, Pol Ferjac, Cabrol, Effel d’un côté, Reiser, Wolinski, Cabu, Gébé, Siné de l’autre. La presse satirique et politique a toujours été l’un des moteurs du dessin de presse qui est pour ainsi dire née avec elle : les XIXe et XXe siècle ont vu le développement conjoint d’une presse satirique et d’une forme de dessin d’humour conçu comme moyen de faire passer un message politique.
Mais si la presse satirique revient sur le devant de la scène ces derniers temps, c’est en raison de l’arrêt de Siné hebdo, après 83 numéros. Comme d’habitude, je vous donne quelques repères sur cet événement…
Ce qu’on a appelé durant l’été 2008 « l’Affaire Siné » a été l’éviction du dessinateur Siné de Charlie Hebdo, alors dirigé par Philippe Val. Ce dernier avait préféré se débarrasser du dessinateur à la suite d’une chronique écrite par Siné sur le mariage de Jean Sarkozy, chronique dénoncée par certains comme antisémite (sans doute l’une des accusations les plus graves de notre époque après la pédophilie). La polémique avait enflé dans les médias et sur Internet et, en guise de contestation, Siné avait décidé de profiter de son départ de Charlie Hebdo pour fonder en septembre 2008 son propre hebdomadaire satirique, Siné Hebdo. Le procès qui eut lieu au début de l’année 2009, entre la Licra et Siné a débouché sur la relaxe du dessinateur sur la raison du « droit à la satire ». Siné considère que sa chronique-polémique n’était qu’un pretexte saisi par Philippe Val, en conflit avec le dessinateur.
Mais qui est Siné, au juste, me diriez-vous ? Né en 1928 et ayant étudié le dessin à l’Ecole Estienne, il commence sa carrière de dessinateur de presse dans les années 1950 et, dès 1955, reçoit un prix de l’Humour noir pour son premier recueil de dessin, Complaintes sans paroles. Il collabore ensuite à L’Express, haut lieu du dessin de presse, et, dès les années 1960 trouve un style sans concession. Il se sert de ses dessins pour affirmer ses convictions politiques, c’est-à-dire son opposition à toute forme d’autorité et de bien-pensance : anticléricalisme, antimilitarisme, anticolonialisme, anticapitalisme, antisionisme, anarchisme. La force de ses dessins sert ses convictions. Siné s’inspire de l’école américaine du dessin de presse, et en particulier de Saul Steinberg du New Yorker, pour concevoir un style à la fois sobre et percutant, voire violent dans la clarté du message qui y est exposé. Il participe, avec d’autres, à la diffusion en France des codes graphiques de l’école américaine marquée par le décalage ironique et l’humour noir, et occupe en cela une place importante dans l’histoire du dessin de presse en France. Siné est aussi l’homme des procès : la frontalité de ses dessins et chroniques, jugée trop peu subtile par certains, l’a déjà amené à plusieurs reprises devant la justice. Il incarne en cela une forme intransigeante du dessin de presse conçu avant tout comme outil d’opposition politique.
Siné Hebdo est loin d’être sa première tentative de percée dans la presse satirique. Déjà, en 1962, après son départ de L’Express, il fonde Siné Massacre (dont le titre reprend le même graphisme que Siné Hebdo) qui dure moins d’un an. Puis, en 1968, il participe à la création de la revue L’Enragé avec Jean-Jacques Pauvert, revue qui, elle, ne dure que quelques mois. Siné Hebdo, en revanche, a connu une plus grande longévité et un engouement certain, notamment chez les nombreux dessinateurs de toutes les générations qui l’ont rejoint dès les premiers numéros, comme par exemple Philippe Geluck, Vuillemin, Diego Arenaga, Carali, Lindingre, Malingrëy et même le grand Ronald Searle.
Siné Hebdo est le dernier effort d’un important dessinateur politique. Le monde du dessin de presse politique actuel est dominé par la figure de Plantu, dessinateur au Monde, qui poursuit une carrière assez indépendante et tout à fait originale depuis 1985, à rebours de la tradition libertaire des années 1960, tandis que Charlie Hebdo, qui a successivement ouvert un site internet et une maison d’édition en 2008 se charge de renouveler les générations : Charb est devenu directeur, Luz, Tignous, Jul, Riss, Catherine, apportent du sang neuf. Fluide glacial ou L’Echo des savanes servent souvent de passerelles avec la BD.
Des observateurs pessimistes pourraient voir dans l’échec du journal de Siné le signe de la mauvaise santé de la presse satirique et du dessin de presse politique en général. Il est vrai que d’autres évènements récents rappellent que l’éclairant métier d’humoriste-satiriste ne cesse d’être menacé d’une forme de censure heureusement empêché par la justice. Souvenez-nous de l’affaire des caricatures de Mahomet et du procès de Charlie Hebdo en 2007 (où Val, pour le coup, défendait le droit à la satire). Et plus récemment, le procès intenté par Arthur à l’humoriste radiophonique Didier Porte pose encore d’autres questions…
Plus de 150 ans de dessins de presse à la BnF
Est-ce un autre signe des difficultés du dessin de presse que la Bibliothèque nationale de France ait lancé, depuis le milieu des années 2000, une campagne de promotion du dessin de presse à travers son patrimoine. De fait, la cause est juste : on ne connaît souvent comme dessinateurs de presse que ceux que l’on a vu à l’oeuvre à son époque. Le nom des « anciens » se perd dans les tréfonds de la mémoire, là où les peintres et les romanciers ont la chance de connaître une notoriété multiséculaire. La BnF a donc entrepris de redécouvrir et de donner à découvrir le patrimoine dessiné qui s’empoussiérait jusque là dans les réserves du départements des Estampes. Ne nous y trompons pas : l’injonction vient du ministère de la Culture qui commande en 2007 un rapport sur la promotion et la conservation du dessin de presse dit « mission Wolinski » car le dessinateur Georges Wolinski y participe et, est-il écrit, il aurait « alerté le président de la République sur le statut du dessin de presse (oui, on parle bien du même Wolinski qui, dans les années 1960 et 1970 dessinait dans Hara-Kiri et Charlie-Hebdo). Ce rapport dresse un recensement provisoire des collections relatives au dessin de presse (archives de dessinateurs, fonds de dessin originaux) dans les institutions publiques françaises. Il donne ensuite quelques conseils pour la conservation et la mise en valeur du patrimoine, dont la création d’un service dédié à la BnF. Je ne connais rien, en revanche, de la valeur performative de ce rapport et de son accueil par la BnF, principale institution susceptible de développer une politique patrimoniale efficace. A ma connaissance, il n’y a pas de projet de création d’un service spécifique pour le dessin de presse, mais peut-être me trompè-je. Il est toutefois clair que, depuis quatre ans, la plus grande bibliothèque de France semble apporter un soin nouveau à ses collections de dessins de presse et à l’acquisition de nouveaux fonds, comme, en 2009, celui du dessinateur et peintre Tetsu (1913-2008).
Après tout, qu’importe d’où viennent les ordres : tant mieux si le fonds de dessins de presse de la BnF sort des cartons. Après une exposition consacrée à Dubout (1905-1976) en 2006, après un cycle autour du grand ancêtre Honoré Daumier (1808-1879), souvent considéré comme un des initiateurs du dessin de presse en France sous la Monarchie de Juillet (1830-1848), la BnF propose cette fois au public deux expositions, jusqu’à mi-avril. L’une est sur le mode panoramique : une histoire thématique du dessin de presse de la Monarchie de Juillet à nos jours ; l’autre est sur le mode biographique : un bref aperçu de l’oeuvre du dessinateur Tim (1919-2002). Divers colloques et rencontres ont également eut lieu autour du dessin de presse.
Je ne peux qu’enjoindre mes lecteurs parisiens à se rendre à la BnF, site Tolbiac (métro Bibliothèque François Mitterrand) pour découvrir à travers ces expositions plutôt bien faites la richesse d’un art trop peu connu. La première tente de montrer la diversité des dessinateurs en plusieurs thématiques (portraits-charges, vie politique, faits de société…). La seconde se concentre sur un seul auteur, dont le fonds est rentré en 2006, pour montrer son travail et présenter d’interessants carnets de notes. Ai-je dit que ces expositions étaient gratuites ! Et puis j’en profite pour rappeler une de mes marotes : les liens entre le dessin de presse et la bande dessinée sont et ont toujours été extrêmement importants. D’abord parce que les années 1870-1880 consacrent l’apparition d’une forme de narration graphique dans la presse humoristique. Ensuite parce que, depuis cette date, de nombreux dessinateurs ont à la fois été publiés en tant que dessinateurs de presse et en tant que dessinateurs de bande dessinée ; les deux parties de leur oeuvre sont bien souvent inséparables. De tête, pensez à Caran d’Ache, Benjamin Rabier, Alain Saint-Ogan, Pellos, Cabu, Reiser, Claire Brétécher, Willem, Jul… L’histoire de la bande dessinée et l’histoire du dessin de presse devraient être menées conjointement, et en connaissance mutuelle, au risque de passer à côté de beaucoup de vérités.
Pour en savoir plus :
Sur Siné :
60 ans de Siné, Hoëbeke, 2006
Les sites internet de Charlie Hebdo et de Siné Hebdo
Un bon résumé de l’Affaire Siné de l’été 2008
Un article de Ru89 sur la fin de Siné Hebdo
Un dernier site pour découvrir l’oeuvre graphique de Siné
Sur le patrimoine du dessin de presse :
Il n’existe malheureusement pas de bonne synthèse récente qui couvre toute l’histoire du dessin de presse sans omettre volontairement l’un de ses aspects : tantôt le dessin de presse est réduit à la seule caricature, tantôt au seul dessin politique… Mais tout de même, quelques références :
Laurent Baridon, L’Art et l’histoire de la caricature, Citadelles et Mazenod, 2006
Dico Solo, Té Arté, 1996, réédité en 2004
Le site http://www.caricaturesetcaricature.com/ est un portail pour spécialistes du dessin de presse et de son histoire.
Pour lire en entier la mission Wolinski : www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapwolinski.pdf