Cet article est la seconde partie d’un making of sur l’histoire de la bande dessinée numérique, publié sur le site Neuvième art 2.0 d’avril à mai 2012. J’explique ici les intentions principales qui ont conduit à la réalisation de ce travail.
Après deux ans d’observation attentive des évolutions de la bande dessinée numérique sur mon blog Phylacterium, le moment était venu d’en rédiger une synthèse qui serve de première pierre à l’édifice encore à bâtir de l’histoire de la bande dessinée numérique. Le récent appel à contribution pour Comicalités lancé par Julien Falgas et Anthony Rageul est un excellent moyen d’enclencher une vraie réflexion sur la bande dessinée numérique, qui croise les approches historiques, esthétiques et socio-économiques. A partir du dimanche 29 avril, et à raison d’un épisode toutes les deux semaines, la revue en ligne neuvième art 2.0 hébergée sur le site de la Cité de la bande dessinée va diffuser une « histoire de la bande dessinée numérique » en cinq épisodes. Un panorama qui commence aux premières tentatives de bande dessinée sur CD-Rom au milieu des années 1990, jusqu’à la période de constitution d’un marché éditorial que nous vivons actuellement, en passant par le phénomène des blogs bd en 2005. L’axe problématique principal que j’ai choisi pour analyser les oeuvres et les évolutions en cours est celui des relations entre la bande dessinée numérique et son aînée papier, axe pertinent dans le contexte d’une période de transition et de cohabitation.
L’objectif de ce panorama historique est double. D’une part, il s’agit de mettre à la disposition d’un public varié (auteurs, chercheurs, journalistes, bibliothécaires, éditeurs, amateurs…) des données exhaustives sur la chronologie de la bande dessinée numérique (utilement mise en image par Julien Falgas dans une exposition virtuelle sur Facebook) et les directions les plus évidentes de son évolution ; des repères pour toute personne s’intéressant, personnellement ou professionnellement, à la bande dessinée numérique et voulant vérifier tel ou tel fait, telle ou telle donnée, telle ou telle date. Je fais la synthèse de nombreuses études menées depuis le début des années 2000, rassemblant en un seul endroit des données éparpillées sur Internet et dans les bibliothèques. L’utilité d’un texte de référence me semble d’autant plus évidente que les confusions sont grandes, en particulier à l’heure où le devant de la scène est parfois occupé par des faiseurs de bande dessinée numérisée, et non par une bande dessinée numérique de création qui existe pourtant depuis plus de dix ans. Je souhaite également rétablir quelques exactitudes et éviter les imprécisions qui confondent bande dessinée en ligne et bande dessinée numérique, qui ne voient que la bande dessinée numérisée, qui pensent que la bande dessinée numérique est née avec les blogs bd, ou qui limitent la bande dessinée numérique à un espace de création amateur, gratuit et expérimental. De nombreuses structures sont apparues, certaines ont disparues, mais le paysage qui se dessine entre 1996 et 2012 est bien plus varié qu’on ne pourrait le croire. La méthode historique me permet de livrer un travail qui ne se limite pas à un émerveillement béat face à l’avenir de la bande dessinée, mais qui analyse concrètement les oeuvres, les auteurs et les structures de production, et met au jour le véritable degré d’autonomie de la bande dessinée numérique par rapport à la bande dessinée papier.
D’autre part, le second objectif, à mes yeux plus important que le premier, est d’encourager les réflexions historiques sur la bande dessinée numérique, d’où qu’elles viennent ; journalistes, critiques, étudiants, chercheurs sont invités à prendre mon relai (certains ont déjà commencé), par exemple en répondant à l’appel à communication cité plus haut. Ces réflexions sont indispensables, ne serait-ce que parce que beaucoup des oeuvres sont en train de disparaître dans les limbes d’Internet (Foolstrip, Noomz, les premiers blogs bd sur 20six), et que Internet Archive a été pour moi un allié de poids. Tant que cela est possible, il faut garder un témoignage de ce qu’était la bande dessinée numérique à ses débuts faute de pouvoir le faire dans dix ans. Mon Histoire de la bande dessinée numérique se veut certes un texte de référence, mais il ne suffit pas : il faut poursuivre la réflexion sur de nombreux points encore en suspens que mes limites méthodologiques m’ont empêcher de creuser. Il y aurait encore beaucoup à dire du phénomène des blogs bd pour évaluer son impact global sur la bande dessinée. Les oeuvres des premiers temps mériteraient un examen plus approfondi que je ne le fais, car leur degré d’innovation est souvent exceptionnel et pourrait servir d’exemple aux créateurs à venir. L’analyse économique des structures de diffusion est un travail de longue haleine qui ne peut se résumer à un balancement entre le gratuit et le payant. Parce que ce n’est qu’un manuel introductif, mon texte se limite à l’exposition de grands axes de réflexion et appelle à d’autres analyses plus détaillées, potentiellement contradictoires. Il est destiné à être complété, discuté, critiqué, amendé, et toutes remarques et critiques constructives sont les bienvenues, qu’elles prennent la forme d’un mail à l’auteur (mrpetch@orange.fr), de la publication d’un autre texte, ou de commentaires sur le blog Phylacterium, sur lequel je tiendrais dans les semaines à venir un making-of à épisodes pour expliquer certains choix et ouvrir encore d’autres pistes. Je ne prétends ni à l’exactitude absolue, ni à l’objectivité idéale. Enfin, il m’est impensable de ne pas remercier les quelques personnes qui m’ont aidé, à des degrés divers, dans la réalisation de ce travail : Gilles Ciment, Julien Falgas, Phiip, Jean-Paul Jennequin, Anthony Rageul, Fred Boot, Benoît Berthou, Antoine Torrens et Jacques Sauteron.
Mon principal espoir en proposant ce texte en pâture aux internautes est que, dans quelques années, la connaissance sur l’histoire de la bande dessinée numérique ait si bien avancée qu’il paraisse terriblement obsolète !
Bravo pour cette grande tentative et cet ambitieux projet, ainsi que pour ce blog.
Juste un petit commentaire d’encouragement et de remerciement pour ce travail d’un auteur de BD numérisée plus que numérique.