L’audiovisuel n’a jamais été un espace de prédilection pour la bande dessinée. Contrairement à la littérature, au cinéma, ou au théâtre, la bande dessinée ne dispose pas d’émissions dédiées en dehors des périodes d’événement, particulièrement du festival d’Angoulême. L’audiovisuel peine encore (faute de journalistes compétents sur le sujet ?) à proposer des émissions consacrées en tout ou partie à ce sujet. L’usage de la vidéo et du son pour parler de bande dessinée a toutefois une autre existence, sur le web. Je voudrais vous présenter et commenter quelques unes de mes découvertes dans cet article : l’émission Phylactères sur youtube et le reportage de Maïana Bidegain Sous les bulles.
Bande dessinée et audiovisuel
edit au 13/12 : voir dans les commentaires pour d’autres exemples d’émissions radio-télé sur la BD. Elles viennent nuancer l’idée de l’absence de BD dans l’audiovisuel. Merci à mes lecteurs pour ces ajouts !
D’abord quelques mots sur l’expérience de la bande dessinée à la télévision et à la radio : la seule véritable émission récente pleinement consacrée à la bande dessinée à la télévision française est Un monde de bulles, diffusée sur Public Sénat. N’étant pas un spectateur régulier de cette émission, je serais en peine d’en juger de la qualité. Toutefois, les échos que j’ai pu en avoir, et les quelques extraits d’émissions que j’ai pu en voir, m’ont donné l’impression d’une émission de qualité, qui a au moins le mérite de s’attacher à un sujet qui semble tabou dans l’audiovisuel français. Présentée et réalisée par Jean-Philippe Lefèvre, elle donne la parole aux auteurs dans des reportages de facture classique, mais éclairants, et c’est déjà beaucoup. Un monde de bulles s’est malheureusement arrêtée en 2013.
Pour être exact, il me faudrait signaler aussi l’émission courte Kaboom ! diffusée sur la RTBF et visible aussi sur Youtube. Et puis surtout ne pas oublier, dans le domaine radiophonique, l’émission de Christian Rosset sur France Culture, Avis d’orage dans la nuit, diffusée entre 2009 et 2010, qui partait d’un auteur de bande dessinée pour créer un objet audiovisuel non-identifié. Proches de l’expérimentation radiophonique, parfois hermétiques, davantage des ambiances que des documentaires, ces séquences poétiques d’une quinzaine de minutes sont un bel exemple de l’art radiophonique de Christian Rosset mis au service d’un média sur lequel il a aussi beaucoup écrit. Avis d’orage dans la nuit a été édité, en livre-disque, par l’Association en 2011.
Mon propos n’est pas de regretter l’absence de la bande dessinée à la télévision et à la radio : ce serait rejoindre ce vieux débat sur la « légitimité », débat qui n’en finit pas et qui m’intéresse peu. Si la bande dessinée n’intéresse pas les journalistes audiovisuels, tant pis, elle trouve d’autres moyens d’être mise en valeur. Et, progressivement, l’acceptation, non de la bande dessinée elle-même, mais de certains de ses auteurs, invités des émissions culturelles, fait son chemin. En revanche, ce qui m’intéresse, c’est de me demander si c’est la culture audiovisuelle dans son ensemble qui se montre rétive vis à vis de la bande dessinée, alors même que ce média visuel permettrait de faire de « bonnes » images ? Heureusement, des exceptions existent et se sont développés sur le web…
Youtubeurs et bande dessinée
Cette réflexion m’est d’abord venue de l’émergence des « youtubeurs » dans les années 2000-2010. Toute une nouvelle génération de créateurs audiovisuels s’exprimaient sur le web, en particulier sur Youtube. Un objet culturel a su rassembler autour de lui un grand nombre de vidéastes amateurs et de spectateurs: le jeu vidéo. Ainsi, le milieu vidéo-ludique a trouvé dans la vidéo un moyen d’expression foisonnant, qui a su donner lieu à des formes diverses et pour certaines déjà codifiées (chroniques, tests, commentaires, speedrun, critiques) et des objets variés (retro gaming, FPS, RPG, jeux de stratégie…). Certains de ces youtubeurs, comme Le joueur du grenier et Usul, font preuve d’un vrai professionnalisme, d’un bon esprit critique et d’une forte originalité pour faire partager leur passion.
La bande dessinée n’a pas profité de cet engouement, du moins pas de façon aussi élaborée et visible que le jeu vidéo. Certes, ma comparaison a ses limites : le jeu vidéo est, par essence, un média audiovisuel ; toutefois la bande dessinée demeure un support visuel, par ailleurs bien intégrée à la culture geek dont le succès auprès d’un large public explique aussi l’audience des youtubeurs. Ainsi, là où certains sites web d’actualités sur le jeu vidéo (dont les principaux en terme d’audience : jeuvideo.com, gameblog et gamekult) réalisent régulièrement des vidéos, la tendance est nettement moindre dans le journalisme web sur la bande dessinée. Actuabd et du9 n’utilisent pas la vidéo comme moyen d’expression, préférant des articles écrits (même si Didier Pasamonik possède une chaîne Youtube). Sans doute faut-il y voir l’influence d’une longue tradition de journalisme écrit sur la bande dessinée qui remonte aux années 1960 : le texte a toujours été le moyen d’expression de la critique et des commentateurs de notre média.
Il ne faut pas faire des généralités, cependant : certains sites d’actualité ont développé une extension audiovisuelle. C’est le cas de 9eart.fr et de comicsblog.fr qui sont tous deux membres de la chaîne Youtube ARTS consacrée à la bande dessinée. Il me faut aussi souligner d’autres initiatives intéressantes de web-tv et web-radio. En 2011 est lancée la web-émission Un œil sur la BD qui, dans la lignée d’Un monde de bulles, propose avant tout des entretiens avec des auteurs ; elle s’arrête toutefois après une vingtaine d’épisodes, encore disponibles en ligne. Sur Youtube, la chaîne Bdmag a diffusé une trentaine de vidéos en 2013. Enfin, la plus ancienne émission web audiovisuelle sur la bande dessinée est, à ma connaissance, le One eye club du site La voix des bulles, qui relève le défi de parler de bande dessinée à la radio. Toujours actif, il est aussi le format le plus long de tous ces exemples (plus d’une heure), donc le plus dense, avec les avantages d’une écoute en podcast, moins accaparante qu’une vidéo. Ces émissions et chaînes, pour la plupart intéressantes, restent assez traditionnelles dans leur structure, inspirée de l’audiovisuel télé ou radio, ainsi que dans leur propos, puisqu’elles présentent avant tout l’actualité du média et des interviews d’auteurs.
Ce ne sont donc pas elles qui ont le plus retenu mon attention mais l’émission Phylactères de Max Bo Lewis lancée en mars 2014. Max Bo Lewis a une expérience de critique culturel sur le web, sur sens critique, mais aussi de chroniqueurs sur 9eart.fr et comicsblog.fr. Sa chaîne a ainsi rejoint le réseau ARTS, même s’il s’agit là d’un projet plus personnel. Si Phylacteres m’intéresse, c’est d’abord parce que j’ai le sentiment, en tant que spectateur, que Max Bo Lewis a retenu quelques leçons des youtubeurs du jeu vidéo, en particulier l’idée que s’exprimer sur le web offre, dans la mesure des compétences de chacun, une plus grande liberté dans la mise en scène, le format, le propos. Et Phylactères parvient à sortir des sentiers battus du journalisme audiovisuel.
Sous-titrée « bande dessinée d’hier et aujourd’hui », Phylactères n’est pas une émission d’actualité, ce qui lui offre un recul critique. Si les sujets choisis dans les six émissions pour l’instant diffusées ne sortent pas véritablement des années 2000-2010, elles s’intéressent à la fois à la bande dessinée alternative (Aaarg!), au manga (Pluto), aux comics (Wolverine), Sur le plan de réalisation, les choix de Max Bo Lewis me rappellent ceux d’un Usul pour le jeu vidéo : ils rompent volontairement avec les codes audiovisuels traditionnels par des techniques parfois un peu tapageuses mais efficaces. Rupture de ton et de musique, tournage en appartement, citations vidéos, parodies et séquences comiques, jeu « méta » avec l’équipe de tournage, ton décontracté… Tous les moyens sont bons pour dépoussiérer le format vidéo, la cohérence venant d’un sujet unique traité pendant une petite dizaine de minutes. Le propos est très bien documenté, frôlant parfois l’érudition. Et, précisons-le, la réalisation est suffisamment professionnelle pour une diffusion web.
Des documentaires sur la bande dessinée
De fil en aiguille, mon visionnage des épisodes de Phylacteres m’a amené à me pencher sur le travail documentaire de Maïana Bidegain. que j’évoquerais pour terminer mon panorama de la bande dessinée en vidéo.
Là encore, dans le domaine du documentaire, la bande dessinée est un parent pauvre. Il existe toutefois quelques reportages, généralement diffusés en festival. Philippe Roure, par exemple, est l’auteur de deux bons documentaires récents : Marvel 14, les super-héros contre la censure et Marvel Renaissance. Ces deux reportages, qui se présentent comme de véritables enquêtes, sont centrées sur l’industrie des comics et permettent d’en savoir plus sur les dessous d’une industrie, dans le premier cas sa diffusion en France, dans l’autre cas la politique de licences de la firme Marvel dans les années 1990-2000. Ils prennent ainsi le média au sérieux loin de toute visée promotionnelle ou hagiographique. Philippe Roure fait ainsi un bon travail de documentariste sur des sujets peu traités ailleurs dans l’audiovisuel.
C’est aussi le cas du documentaire de Maïana Bidegain, Sous les bulles, qui commence aussi comme une enquête cherchant à mieux cerner les formes de la crise que traverse actuellement l’industrie de la bande dessinée. La forme du reportage est plutôt traditionnel mais évite les écueils parfois agaçants dont souffrent, à mon goût, ceux de Philippe Roure (faux suspens, musique omniprésente…). Maïana Bidegain est allé interroger l’ensemble des acteurs de la chaîne de la bande dessinée : auteurs, éditeurs et critiques, bien sûr, mais aussi libraires, imprimeurs, distributeurs et diffuseurs. Enfin peut on entendre des acteurs que l’on ne voit pas ailleurs expliquer leur métier et leur rôle dans la fabrication d’une bande dessinée, peu connu du grand public.
Le propos de la documentariste se présente comme objectif : donner la parole à tous les acteurs, sans a priori, pour qu’ils s’expriment sur cette notion de « crise ». C’est là sa principale force. Elle fait ainsi le tour des principaux débats et évènements (notion de surproduction, retour du syndicalisme des auteurs, transition numérique, précarisation des auteurs) de façon pertinente, sans forcer le trait d’un côté ou de l’autre.
Si une première partie du reportage, avant tout didactique, peut donner cette impression d’un objectivisme forcé basé sur des séries d’entretiens, cela n’empêche pas Maïana Bidegain de faire passer ses propres conclusions. Elle met ainsi une évidence les conséquences du passage d’une économie de la revue à une économie de l’album entre les années 1980 et 1990. Elle souligne aussi, par la mise en parallèle des discours, la diversité des points de vue sur la « surproduction », principal débat de ses dernières années, et le fait que tous les acteurs se renvoient la faute. La clé du reportage est dans cette conclusion dressée par la narratrice (44′) : « Le monde de la bande dessinée est entrée de plain pied dans une économie de marché ultralibérale (…) et les plus fragiles ici, ce sont les auteurs. ». Les dernières minutes du reportage recréent ainsi un débat, par entretiens interposés, entre les propos des éditeurs, pour qui les auteurs doivent savoir s’adapter à l’économie de marché en diversifiant leur activité, et les représentants syndicaux du SNAC, qui y voient un pas de plus vers la précarisation et la baisse de qualité des albums. Le reportage démontre ainsi clairement que la clé de compréhension de la crise actuelle et cette relation éditeur-auteur : quelle est l’équilibre de cette relation ? Les auteurs peuvent-ils vraiment négocier avec l’éditeur ? Quel est réellement le niveau de précarité des auteurs ? Un questionnaire envoyé par la documentariste pour une centaine d’auteurs lui fait dire que 67 % (50′) d’entre eux vivent avec moins d’un SMIC. C’est ce constat qui, finalement, fait la qualité du documentaire : tout en laissant la parole à tous les acteurs, ce qui lui permet d’éviter la caricature et le misérabilisme, il parvient à faire passer un message d’espoir en faveur des auteurs.
Le seul manque du reportage, s’il fallait en chercher un, est la question du public qui n’est pas vraiment traité. Qui est le public de la bande dessinée ? Quel est l’impact de l’évolution des usages sur l’économie de la bande dessinée ? Bien consciente de cette question (et qu’on ne peut pas tout traiter en une heure !), Maïana Bidegain termine son reportage en évoquant la figure du lecteur. Peut-être un prochain sujet de reportage ?
Pas le temps de développer mais il existe plusieurs émissions radio sur la BD
2 à ma connaissance, ce qui est assez peu.
Grand papier sur radiocampus Bruxelles
http://radio.grandpapier.org/
Esperluette sur Jet fm ( Très bonne émission )
http://www.jetfm.asso.fr/site/-Esperluette-saison-2014-2015-.html
Pour ma part j’ai une émission sur le dessin sur Radio campus Paris
Ou je parle souvent de bd.
http://www.radiocampusparis.org/legratin
Il y a aussi plusieurs émission sur France Culture qui parle souvent de bd
Un autre jour est possible ( Au moins une fois par semaine )
Mauvais genre ( Assez souvent )
La dispute ( 3 fois par an)
A la télé on peut tout de même cité « la bande à Bédé » dans les annes 80 dans les programmes jeunesse
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Bande_%C3%A0_B%C3%A9d%C3%A9
Et la mythique émission tac au tac dans les années 70
http://fr.wikipedia.org/wiki/Tac_au_tac
Merci pour les références !
J’avais oublié tac au tac, mais effectivement, c’est un excellent exemple précoce.
Pour tout dire, j’avais aussi écrit cet article en espérant que les commentaires donnent tort à mes remarques liminaires ! J’édite l’article en conséquence.
Via Twitter, One Eye Pied me signale qu’eux aussi se sont essayés aux vidéos sur Youtube : https://www.youtube.com/user/OneEyePied
Et me rappelle à juste titre les Roadstrip de Davy Mourier, qui fait lui aussi le lien avec les humoristes Youtubeurs.