Entretien avec Alexandra Rolland mené par Julien Baudry le 28 mars 2015 par Skype
Peux-tu présenter ton parcours jusqu’à la thèse ?
J’ai fait mon DEA début 2005 sur François Schuiten et Benoit Peeters et Les Cités obscures. J’évoquais les liens avec le musée, l’architecture bruxellois, la scénographie… Je terminais en disant qu’après avoir dessiné pendant des années l’espace bruxellois, les auteurs entraient dans l’espace des maisons bourgeoises bruxelloises avec la scénographie de la Maison Autrique. C’est dans ce musée que je travaille maintenant.
Et le passage du DEA à la thèse ?
Ça a été un peu compliqué pour avoir mon sujet de thèse, mais je voulais quand même travailler sur la bande dessinée. Quand j’ai fait mon DEA il y a eu des conférences au Centre Pompidou, dont une sur le roman graphique, animée par Benoît Mouchart, avec Benoit Peeters. À la fin de la discussion, je suis allée le voir et il m’a donné son mail. Il m’a envoyé des documents pour le DEA. Au début, je voulais travailler sur les villes imaginaires, mais mes professeurs trouvaient le sujet déjà-vu, fourre-tout. J’allais m’y perdre.
En faisant mes recherches de DEA, j’avais vu qu’à l’époque où Schuiten et Peeters ont commencé Les Cités Obscures, la bande dessinée était pré-publiée dans desrevues spécialisées, comme (A Suivre). Je me suis dit : pourquoi ne pas faire ma thèse sur les journaux de bande dessinée ? Finalement, mon sujet a été accepté par Philippe Dagen qui m’avait suivi en histoire de l’art contemporain. Lui connaissait le travail de Druillet. C’est un spécialiste de la peinture au XXe siècle. J’ai commencé en 2005 et j’ai terminé en 2010, à l’université Paris 1.
Après cinq ans, tu as toujours des liens avec le monde universitaire ?
C’est complètement extérieur à la bande dessinée, mais en 2013 Paris 1 proposait une université d’été avec l’Ecole de Photographie d’Arles. On était une dizaine de docteurs et doctorants à aller voir des travaux d’étudiants. Mais c’était totalement fortuit. J’ai aussi participé à quelques colloques dont un sur la science-fiction française au Canada en 2012 où je présentais la revue Métal Hurlant. J’ai écrit quelques articles, mais tout est à paraître.
Qui était dans ton jury de soutenance ?
J’avais Philippe Dagen, mon directeur de thèse, spécialiste de l’art contemporain au XXe siècle. Bertrand Legendre professeur de Politiques éditoriales à Paris XIII, qui était là pour les aspects liés à l’édition et qui était un des deux rapporteurs. Philippe Marion, professeur de l’Université catholique de Louvain en Langage et Communication, lui aussi rapporteur. Emmanuel Pernoud, professeur en Histoire culturelle et sociale de l’art à l’Université de Paris 1, était le Président du jury.
Quel était exactement ton sujet ?
J’ai travaillé sur les rapports entre le journal et la bande dessinée, principalement dans les années 1970-1990. Ce qui a fait que dans ces années il y a eu une bande dessinée adulte qui est arrivée, comment elle a été reçue ? Dans le même temps, on s’est mis à parler de la bande dessinée en terme d’objet et d’album. Tout le monde a fait comme Pilote, mais pour les adultes.
Ma thèse était en cinq parties. Il y avait une première partie sur les revues d’après-guerre, Vaillant, Tintin, l’avènement de Pilote qui permettait de comprendre ce que des gens comme Gotlib et Wolinski faisaient avant ; une deuxième sur les revues des années 1970 en elles-mêmes et comment elles jouaient les unes avec les autres, avec Charlie, Actuel, L’Echo des savanes, Metal Hurlant ; ensuite une troisième partie sur la deuxième vague de revue après 1975 et les fanzines ; une quatrième partie sur les problématiques de politiques éditoriales et de censure après mai 1968 ; enfin une dernière partie sur le développement du langage critique et l’arrivée de la bd au musée.
Il y a une image qui résume bien mon travail de thèse : c’est une planche des Sous-sol du révolu de Marc-Antoine Mathieu dans laquelle il passe de l’agencement des toiles dans les salons du XIXe à une peinture de Mondrian, tout ça en expliquant la sémantique de la bande dessinée.
Comment as-tu abordé cet objet, la bande dessinée ?
En histoire de l’art, travailler sur autre chose que des peintres ou des sculpteurs, ça paraissait bizarre. J’arrivais sans beaucoup de bagages. J’avais lu des bandes dessinées, mais je ne connaissais pas plus que ça… Au début, je ne savais pas trop par où commencer. Je me suis mise à consulter les principales revues en bibliothèque.
Comment se passait concrètement ton travail ?
J’ai commencé par éplucher Charlie Hebdo, que je consultais à la Bibliothèque Forney. Ça m’a mis en condition pour mon travail. Certaines revues, comme Charlie Mensuel, étaient microfilmées.
Il y avait des difficultés pratiques : j’ai mis du temps pour voir L’Echo des savanes parce qu’il y avait eu des problèmes d’inondation à la Bibliothèque nationale de France. Il y a aussi des revues manquantes, le dépôt légal n’a pas tout. Certains éditeurs comme Casterman ou Les Humanoïdes Associés ont accepté de m’ouvrir leur fonds.
Mes meilleures découvertes, c’était vraiment les fanzines. Parfois j’avais dans la main des choses ronéotypées, fait au papier carbone. C’était vraiment étonnant et amusant.
Au sein des revues, tu t’intéressais uniquement aux bandes dessinées ou aussi au rédactionnel ?
Je regardais les bandes dessinées pour elles-mêmes, en tant qu’historienne de l’art. Je m’intéressais plutôt aux images, moins aux textes. J’essayais de montrer la diversité des agencements : des bandes dessinées classiques, des choses plus contemporaines comme Druillet, des bandes dessinées chapitrées comme des romans… J’essayais de montrer cette diversité sans analyser trop les contenus narratifs.
J’ai regardé un peu ce qu’il y avait en regard des bandes dessinées, et je l’ai étudié dans la seconde partie. C’était surtout identifier qui et quand, la présence de tel ou tel auteur selon les périodicités, à partir des sommaires…
Qu’est-ce que t’as apporté le fait de connaître et pouvoir dialoguer avec des auteurs, comme Schuiten et Peeters ?
Je crois que ça a ouvert mon travail sur l’aspect scénographique. Il n’aurait pas été là si je n’avais pas pu rencontrer François Schuiten. C’était des choses qui étaient dans leurs travaux mais que je n’avais pas vraiment vu. En allant chez lui, j’ai vu des affiches, des plans, des dessins qui ne sont pas ceux d’une planche de bd. Sa façon de travailler au jour le jour, et sa production au-delà des bandes dessinées, sont des choses que je n’avais pas soupçonnées au départ.
Au niveau des sources bibliographiques, sur quoi t’appuyais-tu ?
J’avais quatre ou cinq sources. Bruno Lecigne avait fait un livre sur ce sujet Avanies et Mascarade chez Futuropolis en 1981. Jacques Glénat, Filippini, Martens, Sadoul avaient écrit une Histoire de la bande dessinée en France et en Belgique et m’ont permis d’identifier les titres, y compris ceux qui n’ont eu qu’un seul numéro. Gilles Ratier avait fait Avant la case, qui étaitune excellente entrée en matière.
Et puis, quand j’ai commencé mon sujet, chaque éditeur a sorti son livre nostalgique sur l’histoire de la revue. Ils sont tous sortis dans un court intervalle. Il y a eu Vaillant, la véritable histoire, qui reprenait tous les contenus, les textes, parlait du contexte, des thèmes, des personnalités qui avaient fait la revue… Il y a eu les livres sur Métal Hurlant et (A Suivre) avec des témoignages des auteurs, et on voyait l’émulation de l’époque, ainsi que l’esprit d’équipe qui est une notion qui a totalement disparu pour les jeunes auteurs. Patrick Gaumer avait fait un livre sur Pilote en 1996…
Il y a eu tous ces livres et je me suis dit qu’il manquait un travail de collecte.
Tu m’as dit que tu travaillais maintenant à la maison Autrique. Pourrais-tu présenter ce lieu et expliquer comment tu es arrivée là ?
En DEA j’avais un stage à faire et je voulais le faire en rapport avec la bande dessinée. Comme j’étais en contact avec Benoît Peeters, il m’a suggéré d’aller voir du côté de la maison Autrique peu après l’ouverture. C’est une maison de Victor Horta, un grand architecte bruxellois, qui a été scénographiée par Schuiten et Peeters comme maison imaginaire, maison des maisons. On la visite de la cave au grenier. On ne laisse pas de porte close, il y a très peu d’espaces cachés.
Fin 2007, Etienne Schréder, qui est administrateur de la maison Autrique, m’a appelée. Quand je suis arrivée, le musée connaissait une phase descendante. En 2011 il y a eu l’année anniversaire de Victor Horta. On a proposé de s’occuper de l’exposition, et tout a commencé à aller mieux. Depuis février 2015, le musée est fermé pour travaux pour nettoyer les façades. De mon côté, je travaille sur la nouvelle scénographie, je vois ce qui est possible dans les demandes de Peeters et Schuiten.
À part avec ces deux auteurs, d’autres dessinateurs ont été exposés à la maison Autrique ?
Il y a eu des expositions de bande dessinée sur les auteurs belges. Dans les expositions, la bande dessinée n’a pas toujours sa place, même si elle fait venir des touristes. Grâce à la maison, j’ai réussi à connaître le petit monde de la bande dessinée bruxelloise.
Quand j’ai rendu ma thèse on montait l’exposition Naissances de la bande dessinée avec le livre de Thierry Smolderen. Il y a eu des expositions Schuiten et Peeters dont celle sur La Théorie du Grain de sable, la bd qui inclut la Maison Autrique comme personnage, une exposition sur Winsor McCay et son Little Némo in Slumberland, et plus récemment une exposition sur Edgar P. Jacobs et l’Espadon .
Tu avais déjà lu certains des auteurs des revues que tu as étudiées ?
Certains oui, certains non. J’avais lu Eva de Comès et chaque fois que j’épluchais les (A suivre), je m’arrêtais sur ses histoires. J’étais plus attirée par les récits en noir et blanc, avec des pleins et des vides marqués. Il y a un côté art contemporain, c’est mon côté amatrice de Soulages !
Bibliographie indicative :
ROLLAND Alexandra, «Le Bruxelles des Cités obscures», Février 2014, conférence donnée à la Bibliotheca Wittockiana (Bruxelles) dans le cadre de l’exposition «Le Temps des Cités» (Donation François Schuiten à la Fondation Roi Baudouin)
ROLLAND Alexandra, «De Pilote à Fluide glacial, les revues francophones d’humour(1959/-)», Octobre 2013, conférence donnée dans le cadre du Festival International de la Bande Dessinée d’Alger (FIBDA, Algérie)
ROLLAND Alexandra, «Métal hurlant première revue française de bande dessinée de science-fiction», Novembre 2012, dans le cadre de la conférence «Pan! Dans l’oeil de la lune» sur la science-fiction française organisée par l’Université de Regina (Canada)