Pour poursuivre le même chemin déjà emprunté avec l’article sur Boulet, je vais vous présenter aujourd’hui une autre blogueuse déjà connue comme auteur de bandes dessinées avant d’ouvrir son blog, Nancy Peña. La comparaison avec Boulet s’arrête là ; elle possède un style extrêmement différent, très personnel et reconnaissable, et ses albums ne sont pas humoristiques mais se rapprochent de l’univers du conte. Elle diffère aussi par l’utilisation de son blog, davantage espace personnel hétéroclite que carnet d’anecdotes dessinées. En réalité, elle n’appartient que périphériquement à l’univers de la blogosphère BD. Néanmoins, Nancy Peña a su utiliser l’outil internet à la fois pour mieux faire connaître son travail et pour étendre ses expériementations. Sans aucun doute une auteur à découvrir.
La passion de l’art
Nancy Peña naît en 1979 à Toulouse et développe très tôt un goût pour les disciplines artistiques. Dès 1995, elle suit des cours de dessin à l’atelier Catherine Escudié à Toulouse ( une artiste qui dispense des cours de dessin : http://www.atelier-catherine-escudie.com/index.html). Elle poursuit ensuite un cursus universitaire classique en arts appliqués (licence, maîtrise) jusqu’à obtenir, en 2002, l’agrégation qui lui permet d’être enseignante dans cette discipline, métier qu’elle exerce actuellement.
Mais à côté de cette carrière académique, Nancy Peña met en oeuvre ses talents de dessinatrice et d’illustratrice dans divers projets, dont des albums de bande dessinée. Par l’intermédiaire de Vincent Rioult, illustrateur, graveur et maquettiste à la Boîte à Bulles, elle publie en 2003 son premier album, Le cabinet chinois, chez cet éditeur indépendant encore jeune, fondé cette même année 2003 par Vincent Henry, un journaliste BD. Ce premier album reçoit auprès des critiques un bon accueil. Elle devient alors un des auteurs réguliers de La Boîte à bulles où elle continue de publier ses nouveaux albums, dont Le chat du kimono en 2007, étrange conte onirique illustré, entre le Japon et l’Angleterre et La guilde de la mer en 2006-2007, série d’aventures maritimes plus traditionnelle à base de personnages animaliers. Toujours au sein de la Boîte à bulles, elle participe aux albums collectifs Dieux et idôles et Amour et désir.
D’autres projets occupent encore Nancy Peña, qu’il s’agisse d’albums chez d’autres éditeurs (elle travaille actuellement à la suite de la série Les nouvelles aventures du chat botté commencée en 2006 chez 6 pieds sous terre), de projets d’illustration jeunesse chez Bayard et Milan ou d’autres collectifs de bande dessinée (Drozophile n°7, revue de la maison d’édition du même nom).
Présence sur la toile
Nancy Peña n’est pas une blogueuse bd au sens où on l’entend d’habitude : son blog n’est pas un journal, une suite d’anecdotes de vie, mais plutôt un carnet de croquis sur lequel elle tient ses lecteurs au courant de l’avancement de ses projets. On n’y trouvera donc pas de courtes planches de bd mais plutôt des illustrations inédites et des motifs qui traduisent bien l’univers et l’humeur de l’illustratrice. Elle entretient pourtant des liens avec le monde des blogs bd : elle fait partie de la vague des premiers blogs de dessinateurs et sa coloriste pour La guilde de la mer n’est autre que Miss Gally, une célèbre blogueuse « historique ». (http://missgally.com/blog/)
Nancy Peña utilise très tôt le net pour se faire connaître et étendre son champ d’action. Faire la « webographie » de sa présence sur la toile en dit long. Outre son blog principal (le blog actuel est le deuxième), elle possède un site internet plus ancien encore, puisqu’il date de 2003 (et n’est plus guère mis à jour depuis, d’ailleurs). Il faut encore à ajouter le site de sa série La guilde de la mer, où l’on peut se balader dans l’univers de la série ; son book en ligne ; un blog commun avec son compagnon Guillaume Long, autobiogriffue (fermé depuis). Nancy Peña a pleinement investi internet dans sa vie professionnelle et son exemple montre bien les potentialités qu’un illustrateur peut y trouver. Chacun de ses sites a une identité graphique propre et se propose comme une invitation au voyage plutôt que comme une page internet.
Et puis Nancy Peña participe activement à la sociabilité des blogueurs bd. Elle est invitée au premier festiblog en 2005 et en 2006, elle fait partie des auteurs participant, dans le cadre du festiblog, aux « miniblogs », une petite collection d’albums édités par Danger Public où l’histoire dessinée trouve un prolongement sur le net. N’oublions pas non plus que Nancy Peña est l’une des « pirates » du site Donjon Pirate, mené par Wandrille, qui a présenté sur internet, en 2006-2007 des planches de dessinateurs encore peu connus autour de la célèbre série Donjon de Sfar et Trondheim. Elle est enfin, en 2008, avec d’autres blogueurs, au sommaire de Soupir, la revue des éditions Nékomix.
Exotisme de l’espace et du temps
Le style de Nancy Peña nous fait radicalement changer d’univers, avec un petit côté retro et exotique. On sent chez elle une bonne connaissance de techniques et de périodes artistiques assez inhabituelles dans le milieu de la bande dessinée, et cette originalité est déjà une grande source de plaisir. Du point de vue narratif, ses albums ressemblent généralement à des contes, où les évènements s’enchaînent implacablement. Ses histoires se situent dans des univers bien identifiés, soit qu’ils se rapprochent d’une Europe en pleine Renaissance (La guilde de la mer, Le cabinet chinois), soit qu’ils s’ancrent dans un Orient fantasmé (Le chat du kimono). Souvent sont présents les thèmes du voyage exotique, du rêve et de l’aventure.
Du point de vue graphique, et c’est là sa grande originalité, Nancy Peña a recours à plusieurs influences très variées qui se mêlent les unes dans les autres, sans doute le fruit de sa formation d’enseignante en art. L’Orient émerge, et en particulier le style graphique des estampes japonaises… (Combat de chats) Mais pointe aussi le spectre l’illustration anglaise du XIXe siècle, gothique et victorienne à souhait (on pourra rapprocher certains de ses dessins des illustrations d’Arthur Rackham pour Alice in Wonderland)… (Deux girafes sous Louis XVIII ) Ou encore les expérimentations optiques du graveur virtuose Maurits Cornelis Escher… Ou enfin les exubérances géométriques et colorées de l’Art déco du début du siècle… (Conduite Art déco ). Toutes ces influences ont un parfum exotique, appartenant soit à des époques éloignées, soit à des pays éloignés. Elles se mélangent, offrant ainsi des images totalement inédites, et c’est là tout l’art de Nancy Peña.
Je pourrais vous parler encore d’autres caractéristiques du style de Nancy Peña pour vous donner envie de lire ses albums et suivre son blog : son goût prononcé pour l’ornement décoratif, souvent floral et envahissant ; sa connaissance des diverses techniques de gravure (sur bois, sur gravure) dont elle chercher à se rapprocher dans ses albums noir et blanc, leur donnant ainsi un aspect vieillot ; les innombrables chats qui parcourent les pages de ses travaux… Mais j’espère déjà vous avoir convaincu !
Bibliographie :
Le cabinet chinois, 2003, La boîte à bulles
La guilde de la mer, 2006-2007 (2 tomes), La boîte à bulles
Les nouvelles aventures du chat botté, 2006-2007 (2 tomes), 6 pieds sous terre
Dieux et idoles, 2006, La boîte à bulles (collectif)
Kitsune Udon, 2006, Danger public (miniblog)
Le chat du kimono, 2007, La boîte à bulles
Drozophile n°7, 2008 (collectif)
Amour et désir, 2008, La boîte à bulles (collectif)
Soupir, 2008, Nékomix (collectif)
Tea party, 2008, La boîte à bulles
Mamohtobo, 2009 (dessin de Gabriel Schemoul), Gallimard
Webographie :
Blog : http://nancypena.canalblog.com/
Premier site, Nancity : http://nancipena.free.fr/ (2003)
Site de la guilde de la mer : http://www.la-boite-a-bulles.com/guildedelamer/
www.autobiogriffue.com (fermé)
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