Blogsbd partie 1 : Définir un blog bd

Pour lire l’intro : introduction

Pour commencer cette série d’articles, je vais tenter de définir la nature d’un blog bd et surtout la place qu’il tient dans le monde de la bande dessinée française.
Analysons d’abord le nom, « blogsbd », qui contient déjà en grande partie la définition :
Dans la lignée de la floraison des blogs sur le web français à la fin des années 1990 et surtout durant les années 2000, il répond à la définition classique du blog : un site web constitué d’une suite de posts ou notes considérés par son ou ses auteurs comme un espace de libre expression à la façon d’un journal intime. On trouve ainsi généralement sur les blogsbd des anecdotes de vie ou des réflexions personnelles. De même, la possibilité laissée à l’internaute de mettre des commentaires inscrit pleinement le blogbd dans la démarche plus générale du web communautaire des années 2000. En clair, le blogbd prend au blog sa structure. Malgré l’appellation courante de blogbd, ce type de contenu n’a toutefois pas toujours la forme éditoriale d’un blog : il n’est pas systématiquement rattaché à un hebergeur de blog et peut parfois être un véritable site.
Contrairement aux blogs classiques, l’image tient une grande place dans le blogbd, c’est ce qui en fait sa spécificité. L’auteur utilise alors les ressources narratives et les codes d’expression de la bande dessinée (séquentialité, phylactère…) au sein de ses notes, soit en plus du texte mais plus généralement à sa place. Bien souvent, image et texte sont clairement distincts, le texte jouant généralement un rôle purement informatifs où l’auteur auto-commente sa note ou laisse un message à l’internaute. L’usage de l’image est cependant extrêmement fluctuante. Il peut s’agir simplement de présenter le travail de l’auteur, à la façon d’un art book virtuel, ou plus directement de raconter une anecdote sous la forme d’une bande dessinée. Voire de publier un véritable histoire complète, même si l’on parle plutôt dans ce cas de webcomic. Les deux termes sont assez fluctuants, mais le blogbd est le plus souvent un ensemble d’anecdotes et de dessins sans lien entre eux alors que le webcomic a pour ambition de livrer une histoire complète. Ce qui n’empêche pas des blogueurs bd de publier aussi des webcomics !
Les blogueurs, un nouvelle génération d’auteurs ?
Bien que son existence soit encore très récente, le phénomène des blogsbd a déjà laissé des traces dans l’histoire de la bande dessinée française. En effet, les auteurs de blogsbd se conçoivent généralement comme des auteurs de bande dessinée, ou du moins comme des auteurs débutants et beaucoup expriment dans leur blog leur aspiration à percer dans cette voie. On peut situer trois grandes familles de blogueurs… Je n’aime pas forcément les classifications, mais disons que c’est pour la clarté de la démonstration :
1.Les auteurs confirmés déjà sur le marché parfois depuis longtemps qui tentent l’aventure du blog pour enrichir leur champ d’action. Lewis Trondheim est un symbole de cette catégorie. Auteur depuis les années 1990, il a déjà un palmarès prestigieux (co-fondateur de la maison d’édition L’Association en 1990, Grand Prix d’Angoulême en 2006) quand il lance en 2006 le blog « Les petits riens », en marge de son site internet. Mais d’autres auteurs se sont lancés dans le blogbd, comme Maester, Manu Larcenet et Guy Delisle. Il ne faut pas oublier non plus que beaucoup d’auteurs de bande dessinée possèdent soit un site, soit un blog non-bd (comme celui de Sfar) et ne sont donc pas totalement absents de la toile.
2.Les jeunes auteurs et dessinateurs n’ayant réalisé que quelques projets et qui profitent de leur blogbd pour se faire connaître plus largement et pour se soustraire à la contrainte de la commande, se livrant ainsi à des dessins plus personnels. Beaucoup de jeunes dessinateurs ont agrandi leur public grâce à un blogbd et sont connus à la fois comme auteur de BD et comme blogueur. Boulet, Cha, Mélaka et Laurel, tous trois dessinateurs pour Spirou depuis le début des années 2000 sont les plus connus.
3.Les dessinateurs hors de la bande dessinée, les non-professionnels, voire même des jeunes fans de dessins constituent la grande masse des blogueurs bd depuis trois ou quatre ans. Il s’agit dans l’ensemble de personnes n’ayant pas ou très peu percé professionnellement dans le domaine de la BD (certains n’ont d’ailleurs jamais cherché à le faire). Ils voient le blogbd comme une manière de donner libre cours à leur passion du dessin et de la partager. Certains d’entre eux sont d’ailleurs parvenus à publier des albums. Pénélope Jolicoeur et Miss Gally (respectivement « Ma vie est tout à fait fascinante » et « le blog de Gally » sont tout à fait représentatives : jeunes illustratrices, elles ont pénétré le monde de la BD grâce à leur blog.
Du point de vue du monde de la bande dessinée, le phénomène des blogsbd a principalement contribué à lancer une génération de jeunes auteurs âgés de 20 à 35 ans d’une manière complètement inédite et inattendue. Certaines maisons d’édition se montrent particulièrement attentives au monde des blogsbd et accueille des auteurs dont le succès est venu grâce au blog, voire édite leur blog : la collection Shampooing chez Delcourt, dirigée par Lewis Trondheim, les éditions Warum fondé par Wandrille Leroy et Benoît Preteseille, les éditions Jean-Claude Gawsewitch dont la collection BD est dirigée depuis 2009 par Pénélope Bagieu. Ces maisons d’édition sont encore assez rares et les grandes maisons n’ont pas encore intégré l’apparition de cette nouvelle génération, à l’exception de Delcourt, mais ce surtout grâce à Lewis Trondheim.
La bande dessinée comme langage
En tant que moyen d’expression, les blogsbd montrent l’adaptation de la bande dessinée française dans un monde où internet est devenu un espace culturel de référence. En effet, le blogbd implique une lecture renouvelée de la bande dessinée dont la principale conséquence est de confirmer sa qualité de moyen d’expression total indépendant de l’écrit traditionnel. Les auteurs de blogsbd ne se contentent pas de raconter des histoires en images, ils expriment aussi des pensées et des sentiments plus complexes. En cela, ils contribuent à la diffusion du langage bande dessinée (de « l’art séquentiel », pour employer un terme savant) et témoignent de son fort ancrage dans la société française, du moins au sein d’une large génération.
Une autre évolution de taille tient au rapport au lectorat. Les notes ne sont pas des objets édités ni des oeuvres durables mais des billets spontanés ; elles ne sont pas vendues mais gratuites. Le blogueur a donc généralement davantage de liberté puisqu’il est moins soumis au goût du public et aux exigences de l’éditeur. En d’autres termes, le blogbd permet le développement d’une libre bande dessinée qui reste tout de même informelle puisque immatérielle. Cela n’empêche pas que des liens se créent entre le public et le blogueur, mais les visiteurs, qui laissent des commentaires et sont parfois invités à participer à la vie du site (par des concours, des radioblogs ou des boutiques), sont davantage considérés comme un groupe d’amis que comme des acheteurs potentiels. Le blog est souvent l’occasion pour le blogueur d’exprimer sa reconnaissance ou au contraire de réagir directement à un commentaire désobligeant.
Si, la plupart du temps, les blogueurs se contentent de calquer la forme de leur billet sur les codes habituels de la bande dessinée et de ne pas en sortir, certains les détournent et renforcent ainsi la singularité du blogbd. Raphaël B., par exemple, est un adepte des dessins qui utilisent le défilement de la page web dans leur mode de lecture (raphaelb.canalblog.com/archives/2009/04/01/13217890.html ). Il spatialise la page web par le dessin et conçoit un dessin ne pouvant être lu que sur un blog. Il démontre que le blogbd peut réellement apporter quelque chose à la bande dessinée, en plus d’une nouvelle génération : si certains restent des carnets de notes quotidiennes (parfois admirablement dessinée, d’ailleurs), d’autres se présentent comme de véritables projets graphiques aboutis.

A suivre dans : Petite histoire des blogs bd français

Les blogs cités dans cet article :
Lewis Trondheim : http://www.lewistrondheim.com/blog/
Manu Larcenet : http://www.manularcenet.com/blog/
Guy Delisle : http://www.guydelisle.com/WordPress/
Boulet : http://www.bouletcorp.com/blog/
Cha : http://blog.chabd.com/
Mélaka : http://www.melakarnets.com/
Laurel : http://www.bloglaurel.com/coeur/index.php
Pénélope Jolicoeur : http://www.penelope-jolicoeur.com/
Miss Gally : http://missgally.com/blog/

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