Pour lire l’intro : intro
Pour lire la première partie : définir un blog bd
Pour lire la deuxième partie : petite histoire des blogs bd français
La question du statut des blogs bd face à l’univers traditionnel de la bande dessinée, c’est-à-dire l’édition papier, pose quelques problèmes. Les blogs bd ont-ils vocation à faire concurrence à l’édition papier ? Au contraire, y a-t-il une adéquation entre les deux qui ferait du blog, pour son dessinateur, l’antichambre du monde de l’édition ? Et que dire de ces objets étranges que sont les blogs bd publiés au format papier ? Evidemment, on ne manquera pas de remarquer que cette question rejoint d’une façon générale celle de l’impact d’internet sur la culture traditionnelle : la presse, la musique, la radio, la télévision, le livre, sont de la même manière confrontés à des alter ego numériques. Le cas des blogs bd est particulier, et je précise bien que je ne parle pas des webcomics, qui sont le pendant exact de l’édition de bande dessinée sur internet. Ils ont un statut batard, entre oeuvre conçue et réfléchie et notes prises sur le vif, par trop spontanées. Or, les blogs ont fini par rencontrer une telle audience qu’il convient de les considérer aussi comme une forme d’édition, certes personnelle et artisanale, de BD sur internet. Paradoxalement, en se développant plus que de mesure, les blogs bd français sont parvenus à créer des liens (solides ?) avec l’édition papier et ne se sont pas affirmés, à la façon des webcomic, comme une alternative et un concurrent, bien au contraire, en s’intégrant au marché.
Un petit détail technique : vous trouverez dans cet article beaucoup de liens vers des choses longues à lire (BD ou articles) si vous avez le temps et que vous voulez approfondir le sujet, allez-y ! (c’est un conseil et un ordre). Et commencez par vous rendre sur la page de Scott Mc Cloud, premier théoricien de la bd numérique : (http://scottmccloud.com/1-webcomics/icst/index.html)
Le blog, une non-concurrence économique ?
Je vais commencer par voir le rapport des blogs bd à l’idée d’édition et de publication (entendu ici au sens de « se livrer à un public »). L’une des caractéristiques principales du blog bd est d’être un espace d’expression gratuit ; par une sorte de contrat tacite, le dessinateur s’engage à donner au lecteur un ou plusieurs dessins de façon plus ou moins régulière. Tous les blogueurs n’ont pas forcément comme objectif de devenir dessinateur de BD, et beaucoup ont d’ailleurs déjà un métier : illustrateur, professeur, concepteur de jeu vidéo… A la base, donc, le blog est exclu de la logique de marché et de commerce. Il n’est pas un « produit » culturel et le blogueur n’est en général pas soumis aux dures lois du public dans la mesure où, théoriquement, il peut faire ce qu’il veut de son blog.
C’est en cela que le blog bd diffère de l’édition de bande dessinée en ligne, représentée par les webcomics sur des plates-formes ou par les nombreux webzines qui parsément la toile, version numérique des fanzines. Eux entretiennent une démarche proche du marché de l’édition traditionnelle.
Il ne faut surtout pas voir, tout de même, le blog comme un élément rebelle du marché de la culture pronant un idéal soit de « démocratie culturelle » soit de « liberté d’expression totale », soit encore « de rapports non biaisés car non vénaux avec son public ». J’ignore si certains blogueurs le voit ainsi, mais je crains qu’ils se trompent en partie. La confusion nait lorsque le blog tend à devenir un tremplin soit simplement vers une forme de reconnaissance de la part du public, soit vers l’édition à proprement parler, qu’elle soit numérique ou papier. Certains blogueurs cherchent, comme beaucoup de sites internet, à rentabiliser leur blog d’une manière ou d’une autre, et si possible en s’affirmant comme des dessinateurs de bande dessinée. Ils utilisent pour cela différents moyens bien connus des sites internet. Le premier étant, évidemment, la publicité qui apparaît sur certains blogs et fait office de « rémunération de l’auteur », ce qui, pour l’instant, n’entretient pas vraiment l’idée de dessinateur de bd. Beaucoup de blogueurs profitent de leur blog pour ouvrir une boutique dans laquelle ils vendent leurs créations, puisqu’ils sont des créateurs. Affiches, originaux inédits, badges, t-shirt, (par exemple la boutique très fourni de chez Maliki : http://www.comboutique.com/shop/homeboutique.php?shopid=5303 ). Par cette opération, ils entrent doucement dans une forme de marché, certes encore très modeste. Alors, à l’aboutissement de la démarche se trouve le blogueur qui propose ses propres BD à la vente, par courrier ou au téléchargement, une façon de devenir dessinateur de BD par le biais d’une forme primitive d’auto-édition. (un exemple chez Tim cette fois : http://quotidien.survival.free.fr/ ). Enfin, une autre solution est la pré-publication partielle comme l’a fait M. le chien pour son album Fereus (encore un lien, ici : http://www.filsdelacolere.com/ ).
Il faut aussi sans doute rappeler que certains ne font rien payer tout en publiant de planches ou des histoires complètes très travaillées (un exemple : http://eliascarpe.over-blog.com/album-1200751.html ). Dans l’ensemble, le constat est clair : il n’y a pas de modèle économique lié au blog bd ; les quelques procédés de mise en vente restent dans le domaine de l’artisanat : un nombre d’exemplaires limités qui est plus là pour créer un lien avec le public et laisser une trace hors du caractère aphémère du blog. Le principal apport du blog bd pour le blogueur serait donc la reconnaissance et l’acquisition d’un public, ce qui, d’une certaine manière, retourne le processus habituel de publication qui veut que le public viennent après la mise sur le marché, et non que la mise sur le marché se fasse grâce à un public prééxistant. Ainsi, la plupart des blogueurs bd voulant faire carrière se retournent finalement vers le monde de l’édition, qu’elle soit papier ou numérique. Quelques exceptions notables existent cependant comme le cas du blog de Maliki : faux blog d’une jeune fille aux oreilles de chat, dessiné depuis 2005 par le dessinateur Souillon, le blog est devenu un espace d’auto-édition numérique et surtout de prépublication avant l’album papier qui sort chez Ankama. Le cas de blog de Lewis Trondheim pourrait être interprété de la même manière.
Le blog comme tremplin vers l’édition
En tant que tremplin vers l’édition, le blog bd semble avoir rempli sa fonction. J’ai été très étonné d’assister à ce mouvement de publication des blogueurs et de leur blog, et ce dès 2005, moi qui m’attendait à une sorte de mise à l’écart comme c’est généralement le cas sur internet où les organismes de publication traditionnel et numérique se regardent en chien de faïence. Là, bien au contraire, il y a eu un mouvement de convergence de l’édition papier vers les blogueurs bd qui sont parvenus à se faire une place sur le marché. Mais avant de tirer d’optimistes conclusions, étudions un peu ce mouvement.
Il fauit distinguer deux cas : les blogueurs édités pour d’autres projets que leur blog et l’édition de blog. Le premier cas est assez simple et consiste à considérer le blog comme un tremplin vers l’édition permettant à la fois d’acquérir un public et en même temps de faire ses preuves auprès d’un éditeur. Ainsi peut-on citer les blogueurs Boulet, Obion, Ced, Bastien Vives, Capu et Libon, Pixel Vengeur, Cha, Aude Picault, Pénélope Jolicoeur, Marion Montaigne qui, tout en tenant un blog, ont été publiés. A cet égard, les jeunes éditions Warum sont parmi les premières à publier des blogueurs, et ce dès les débuts du mouvement ; elles poursuivent cette politique éditoriale en puisant dans la communauté des blogueurs pour son label grand public, VRAOUM, dans lequel ont été édités Homme qui pleure et Walkyries de Monsieur le Chien et La Boucherie de Bastien Vivès. Le cas de Boulet et Obion est également intéressant puisqu’ils reprennent en 2007 et 2008 le dessin de la célèbre série Donjon de Sfar et Trondheim. Il est difficile de juger alors de l’impact réel du blog : ils ont aussi été publiés parce qu’ils sont des auteurs de talent qui ont su capter le regard d’un éditeur, le blog étant un plus mais pas une condition. Si on se limite à ce cas, le mouvement des blogs bd a permis de mettre en avant plus rapidement des dessinateurs qui avaient de toute manière vocation à être publiés. En effet, la plupart des dessinateurs cités ci-dessus avaient, avant de tenir un blog, un début d’expérience dans le domaine du dessin et de l’illustration. La question de l’édition de blog, en revanche, ne rentre pas dans les shémas habituels de l’édition et de la carrière, puisque ce n’est pas un auteur que l’on édite mais un objet, le blog. Or, en France, le mouvement d’édition des blogs a été étrangement important.
En 2005, deux évènements marquent le coup d’envoi de l’édition de blogs et de blogueurs : d’une part l’initiative des éditions Warum d’éditer les blogueurs Wandrille (par ailleurs co-fondateur de Warum) avec Seul comme les pierres, en partie issu de son blog personnel, et Aude Picault avec Moi, je ; d’autre part l’édition du blog de Frantico en 2005 chez Albin Michel. Ce blog est connu pour être celui de Lewis Trondheim qui, de son coté, utilise la collection Shampooing chez Delcourt qu’il dirige pour éditer d’autres blogueurs. Citons donc : Le journal d’un remplaçant de Martin Vidberg et Le journal du lutin d’Allan Barte en 2006, Virginie de Kek en janvier 2007, Le journal intime d’un lémurien de Fabrice Tarrin au printemps 2008, Pattes d’eph et cols roulés de Fred Neidhart en juin 2008, Libre comme un poney sauvage de Lisa Mandel à l’été 2006, Notes de Boulet à partir de septembre 2008, Chicou-chicou à l’automne 2008, et bien sûr son propre blog, Les petits riens, à partir de l’automne 2006. Il faut donc convenir que le passage massif du blog bd à l’édition papier tient en grande partie sur les épaules de Lewis Trondheim. Cet auteur à présent bien installé a commencé sa carrière dans les années 1990 et a à son actif plusieurs titres de gloire : co-fondateur des éditions l’Association, président du festival d’Angoulême en 2007… Il est connu pour son goût pour l’expérimentation en matière de BD, et tente toujours de pousser son médium dans ses retranchements les plus inattendus. On ne peut que lui être reconnaissant d’avoir ainsi intégré la vague des blog bd et de l’avoir mise en avant de façon spectaculaire.
Trondheim n’est pas le seul à éditer des blogs, et d’autres maisons d’éditions doivent être citées. Il est toutefois le seul à le faire au sein d’une grande maison d’édition, Delcourt, car les autres éditeurs de blogs et de blogueurs sont généralement de petits éditeurs indépendants qui ont eux mêmes un pied dans la blogosphère. Warum, là encore, publie dans son label VRAOUM en 2009 les blogs de Gad Ultimex, et le célèbre blog de Laurel, Un crayon dans le coeur. Les éditions Diantre ! publient en 2008 le blog de Gally, Mon gras et moi, Jean-Claude Gawsewitch éditeur est également un habitué des blogueurs bd puisqu’il publie Ma vie est tout à fait fascinante de Pénélope Jolicoeur en 2008 et Moi vivant vous n’aurez jamais de pauses de Leslie Plée en 2009. Margaux Motin est édité chez Marabout en mai 2009 de même que Paco, Maliki chez Ankama dès 2007, Nicolas Wild chez La boîte à bulles en 2007… Toutes ces éditions rassemblées font que le mouvement des blogs bd a plus servi à éditer des blogs qu’à éditer des blogueurs. Je m’interroge sur la longévité des auteurs publiés uniquement par le blog, car cette édition reste très restreinte, tenant sur les épaules soit de Lewis Trondheim et de sa collection, soit de petites maisons d’éditions qui peuvent manquer de stabilité.
Peut-on éditer un blog bd ?
La première que j’ai entendu parler de l’édition du blog de Frantico, je suis resté incrédule : pourquoi éditer un objet qui existe déjà sur internet en consultation gratuite ? Il me semblait alors qu’il ne s’agissait que d’une expérience et que le blog bd et l’édition papier étaient fondamentalement incompatibles. Puis, le mouvement décrit plus haut m’a donné tort : les blogs bd étaient bel et bien un produit commercialisable avec succès. Certes, mais l’édition de blog peut-être un véritable défi pour un éditeur. Je rejoins sur ce point Wandrille, que je cite (deux liens de son blog où il parle longuement de l’édition du blog de Laurel : http://wandrille.leroy.free.fr/blog/index.php?2009/08/04/322-la-ou-y-a-de-l-art-y-a-pas-d-plaisir et des rapports entre blogs bd et édition papier : http://wandrille.leroy.free.fr/blog/index.php?2009/08/31/334-album-papier-bien-publication-internet-pas-bien et si vous avez le temps, lisez les autres articles de son blog car il offre un point de vue extrêmement pertinent sur le monde des blogs bd). Le problème principal est bien celui de la valeur ajoutée : le livre doit avoir quelque chose en plus par rapport au blog, il ne peut pas être le simple décalque des pages publiées sur internet. Il faut donc distinguer la simple édition de blog et l’adaptation du blog à un support nouveau, voire à un public nouveau dont les exigences ne sont pas forcément les mêmes. L’aspect matériel inhérent au livre joue beaucoup dans cette valeur ajoutée : avoir un livre est différent de consulter internet, certaines personnes préfèrent le contact du papier, feuilleter les pages plutôt que de les cliquer. Mais Wandrille a raison en recherchant autre chose, en appliquant une démarche éditoriale réfléchie à l’édition du blog : « Lors de la phase de chemin de fer, il a fallu placer les planches dans une logique narrative inexistante à la base et trouver un écoulement fluide tout au long de l’histoire en re-créant des liens qui n’existaient pas sur des planches. Et là, par un miracle éditorial dont il faut créditer l’auteur et la bonne étoile de l’éditeur, tout d’un coup, en mettant certaines planches côte à côte, on se retrouve avec une alchimie étrange qui fait que les planches se nourrissent les unes les autres et dépassent majoritairement leur côté premier degré en prenant un place et un sens dans l’histoire globale ». L’édition papier du blog de Boulet, Notes, propose des planches inédites dont le but est de faire un lien entre les différentes notes qui ont d’ailleurs été sélectionnée. On peut aussi prendre pour exemple le blog de Gad, http://ultimex.over-blog.com/ qui, pour son édition, a été retravaillé.
Quelles sont les réactions des auteurs de BD face au mouvement en train de se consistituer ? On connaît celle de Lewis Trondheim et d’autres auteurs qui ont eux mêmes un blog : Manu Larcenet, Maëster, Guy Delisle… Pour eux, le blog est une expérience comme une autre qui fait partie de leur carrière et leur donne une autre visibilité. D’autre se montrent beaucoup plus critiques, et c’est le cas de Fabrice Neaud, auteur de l’autobiographique Journal qui a posé à plusieurs reprises un regard critique sur les blogs bd. Et dans l’ensemble, à l’exception du cas de la collection Shampooing de Delcourt, les gros éditeurs comme les moyens font assez peu de cas des blogueurs.
Evidemment, la blogosphère contient énormément de matière non-publiable et d’auteurs encore trop débutants, mais elle pourrait être aussi, pour l’éditeur à la recherche de nouveaux talents, un champ d’expertise. La mise en place d’un prix du blog à Angoulême en 2008, soutenu par les éditions Diantre ! et VRAOUM et remporté par Aseyn, puis en 2009 par Lommsek, peut laisser à penser que les blogueurs réussissent à s’intégrer dans le milieu de l’édition de BD. Pour moi, le vrai débat est dans la question de l’édition numérique : pour le moment, les blogueurs se tournent en majorité vers l’édition papier pour être publié (c’est la forme dominante pour le moment), même si certains ont aussi un pied vers le webzinat et les plate-formes de webcomics comme Foolstrip (http://www.foolstrip.com/). Lors du prochain festiblog qui a lieu demain, un débat aura lieu sur l’édition numérique et ses enjeux et pourra peut-être apporter des réponses.
A suivre dans : la blogosphère bd comme communauté