Le concours Révélation Blog 2011 (le retour de l’article)

J’étais revenu, l’année dernière sur le concours Révélation Blog qui se donne pour objectif de soutenir les dessinateurs débutants qui tiennent un blog et de leur permettre de se faire publier (Révélation blog 2010, à la chasse aux débutants). Le site du concours, qui en est à sa quatrième édition, est le suivant : http://www.prixdublog.com/. Je dois bien avouer que, depuis un an, j’ai nettement moins trouvé le temps que les années précédentes pour découvrir de jeunes blogueurs et de nouveaux blogs au-delà de ma tournée habituelle. Le concours Révélation blog 2011 tombe à point pour me permettre de renouer un peu avec ce type particulier de bande dessinée en ligne et d’en constater les évolutions. Il est donc temps de revenir sur les trois blogueurs sélectionnés parmi lesquels, parmi lesquels un gagnant sera designé lors du FIBD le 28 janvier.

Avant tout, un petit rappel didactique et bref pour ceux qui ignoreraient tous des blogs bd. A l’origine, un blog est un outil de communication sur le web qui présente deux caractéristiques principales : 1. l’espace laissé libre au blogueur est hebergé par un hébergeur de blogs qui facilite la mise en ligne des articles, rendant plus intuitif les processus techniques de publication en ligne ; 2. les articles postés par le blogueur sont identifiés par leur date et se présentent à l’internaute comme une suite d’articles qui se succèdent dans le temps. Le terme « blog bd » a commencé à être utilisé lorsque des dessinateurs, au lieu de mettre du texte sur leur blog, ont posté des dessins faisant appel aux codes graphiques de la bande dessinée (séquentialité, bulles, narration, etc.). Dans le domaine francophone, les premiers blogs bd ont vu le jour vers 2003-2004 et se sont multipliés à partir de 2005. Face à la manne de vocation ainsi ouverte (beaucoup de blogs bd sont un support de publication pour des dessinateurs amateurs, à l’image du fanzine), un prix du blog a été lancé en 2008 par plusieurs éditeurs (Vraoum, Diantre !, l’Officieuse collection), en collaboration avec la section « jeunes talents » du festival d’Angoulême : le prix Révélation blog.
Si je précise bien que le blog bd est un outil de communication, c’est pour ne pas le confondre avec le webcomic qui est, quant à lui, un contenu : une bande dessinée publiée en ligne. Autrement dit, un blog bd peut servir de support de publication à un webcomic, mais blog bd et webcomic ne sont pas équivalent, le premier n’étant qu’une facette de la bande dessinée numérique, certes une des plus médiatisée ces dernières années. Après, il est vrai que l’usage a fini par étendre le nom de « blog bd » a tout journal dessiné en ligne, qu’il soit ou non accueilli par un hébergeur de blog. Il est vrai aussi que, par rapport au domaine anglo-saxon, la blogosphère française a connu un très grand développement des blogs bd s’inspirant du modèle du journal de bord, où les auteurs racontent ou romancent des anecdotes de vie. Là encore, il ne s’agit pas du type unique de blog bd, mais de sa déclinaison la plus fréquente, qu’on pourrait dire « canonique ». Cinq ans après la grande « vague » des blogs bd, cet objet ne cesse d’essayer de s’affirmer comme un moyen de faire découvrir des dessinateurs débutants : nombre de premiers albums publiés en 2005-2010 l’ont été par des auteurs s’étant fait connaître par leur blog (et 2011 continue dans la même veine). Avoir un blog bd permet de montrer son travail et sa capacité de travail à un éditeur, d’avoir une vitrine d’autant plus direct quand l’éditeur en question est lui-même en ligne.

J’en reviens au concours Révélation blog. Les noms des trois finalistes ont été annoncés le 14 janvier. Ils ont été choisis par un jury parmi trente blogueurs sélectionnés et à la suite d’un vote du public qui a encore réduit la liste. Les trois blogs gagnants ont trois styles très différents, comme trois variantes possibles du blog bd, dont le temps a prouvé qu’il était loin de se bâtir sur un modèle unique. Voici donc un petit tour d’horizon qui est aussi l’occasion de m’adonner, à ma manière, à un petit exercice de commentaire de blog que l’illustre Sébastien Naeco du blog du Monde.fr Le comptoir de la BD (http://lecomptoirdelabd.blog.lemonde.fr/) pratique depuis plusieurs mois maintenant, toutes les semaines.

Spongiculture, le blog d’Aspirine
(http://spongiculture.canalblog.com/)
Je commence par le blog d’Aspirine, joyeusement nommé Spongiculture, qui est peut-être, en apparence, le plus classique. Aspirine commence sa carrière de blogueuse bd en 2005 avec un premier blog auquel elle mettra fin au bout d’un an pour le ressusciter dans celui qu’elle présente pour le concours Révélation blog. Jeune dessinatrice de 23 ans, elle étudie actuellement aux Beaux-Arts de Bruxelles. Ce second Spongiculture a donc plus de quatre ans de longévité et sa propriétaire publie suffisamment fréquemment pour qu’on souligne, d’emblée, son endurance dans l’exercice périlleux de la publication régulière en ligne.
Si je parlais d’un blog bd classique, c’est que Spongiculture apparaît d’abord (et notamment dans les premiers posts), comme un blog d’adolescent jouant une personnalité cynique et désabusé que l’on rattache bien souvent à cette période appelé « âge ingrat ». Ils sont légion sur la toile, ces blogs-défouloirs (ces skyblogs, pour les plus âgés d’entre vous – hé oui, déjà !) où les auteurs exercent farouchement leur liberté d’expression et leur droit de suite sur la vie injuste. On trouve sur Spongiculture beaucoup de textes, joliment écrits par ailleurs, mais dont on devine par leur contenu qu’ils s’adressent directement à un entourage ou à un public restreint. Or, vous me direz, j’ai un fort mauvais esprit que d’avoir fouillé dans les archives du blog pour en ressortir ce que son auteur réalisait autour de 17 ans. Vous aurez raison.
Ce qui fait, sans doute, que le blog a été sélectionné par le jury, c’est qu’en quatre ans, la fonction du blog a changé auprès de son auteur. De défouloir à cynisme, il est devenu un laboratoire expérimental de bande dessinée. Les dessins deviennent de plus en plus fréquents et surtout, le graphisme, encore peu élaboré au départ, se complexifie et laisse parfois apparaître une véritable recherche de style.
Certes, il reste éminemment classique dans le genre « anecdotes de vie en bd » qui résume une grande partie des blogs bd dont l’intérêt (je veux dire l’intérêt esthétique et à long terme, pour être vu par un public autre que confidentiel et amical) est souvent contestable. Les procédés sont classiques : voix off, faux apitoiement sur l’inutilité du post, production de badges… La lecture de nombreux blogs bd m’a toutefois appris à déceler, derrière les anecdotes banales, ce qui fait le sel du genre : un graphisme un peu personnel, une manière originale de mettre en image les événements… Et c’est ainsi qu’au détour d’un billet, Spongiculture sait surprendre. Sans doute parce que, depuis Spongiculture 1.0, l’adolescence est passée. Les dessins des premières années étaient réalisées à l’arrachée pendant un cours, sur une page de cahier, dans une marge. A présent, Aspirine se concentre sur la force d’expression des traits en assumant un style crade qui s’avère, finalement, suffisamment élégant. On s’y surprend d’y trouver, au détour d’une déformation anatomique, un petite pincée de Fred, ou bien, sur un visage raviné par les traits, une touche un peu plus personnelle, aux accents underground dans la recherche de la dureté. Tout cela avec une certaine liberté du dessin qui ne reste pas cloîtré dans un schéma strip ou cases mal exploité, mais se veut au contraire beaucoup plus libre. Dans le flot de blogs bd on ne peut plus classique, Spongiculture est une bonne surprise. Depuis l’automne 2010, Aspirine s’est lancée dans un second blog, Héliciculture, uniquement dédié à présenter divers recherches graphiques dans le style expressif qu’elle a su se trouver.

La dissonance des corps, le blog de NR (http://donne-moi-ton-ballon.blogspot.com/)
Avec NR et son blog La dissonance des corps, on change complètement de type de blogs bd. Loin des anecdotes de quotidien, ce jeune graphiste (lui aussi a 23 ans et sort de l’Ecole de Communication Visuelle de Nantes) a clairement délimité le champ d’action de son blog, beaucoup plus récent que celui d’Aspirine puisqu’il existe depuis 2009. La dissonance des corps est conçu dès le départ comme un espace de diffusion de dessins et ne s’égare que rarement hors de cet objectif : ni textes superflus, ni remarques personnelles, les commentaires remplissant la fonction de dialogue avec les lecteurs. D’où une forte homogénéité des types de postes : tous des dessins humoristiques en une seule case, postés avec une certaine régularité puisqu’on peut y lire au moins trois dessins par semaine.
Des dessins d’humour uniques, soit : une bien maigre pitance par rapport à d’autres blogs prolixes ? NR nous démontre habilement que la qualité vaut bien la quantité. Son travail se rapproche beaucoup plus du domaine de l’illustration que de celui de la bande dessinée à proprement parler. Chaque dessin est un délice d’humour absurde qui, dans un style assez dépouillé et un peu retro, est, dans sa partie, fort efficace. On pense, en le lisant, au « Sunday morning beakfast cereals », le celèbre webcomic de Zach Weiner avec lequel La dissonance des corps n’est pas sans similarité (http://www.smbc-comics.com/). Ne serait-ce que parce que SMBC est traduit en français sur le portail Lapin qui diffuse également La dissonance des corps. Ce type de dessins absurdes, qui cachent sous une facilité de façade des ressorts complexes, est devenu assez courant chez les blogueurs bd, peut-être justement sous l’impulsion de SMBC. Ce qui fait la qualité du blog de NR est la sophistication de cet humour décalé, où il sait jouer avec les images. Avec parfois des résonances surréalistes qui semblent provenir d’imagiers de l’absurde tel que Ernst, Topor, Chaval ou plus récemment Glen Baxter, dans la juxtaposition de styles, de clichés, d’images et de textes qui grincent les uns avec les autres et amènent à un rire qui n’est jamais franc mais passe par l’intellect. NR fait preuve, dans ses dessins, une bonne culture de l’image et de son utilisation.
Il en témoigne ailleurs : sur son site d’illustrateur, où il signe de son vrai nom, Noël Rasendrenson http://www.noelrasendrason.com/. On y retrouve l’ensemble de sa production, et c’est peu dire qu’à seulement 23 ans, elle est pléthorique, quoique tout azimut : dessin, photographie, poésie, musique. C’est assurément l’image qu’il maîtrise le mieux, en prouvant une qualité de « polyconographe », de même qu’on était, dans un autre temps « polygraphe ».
NR développe aussi un projet de webcomic qu’il présente dans un autre blog, La résonance des coups (http://laresonancedescoups.blogspot.com/) : lancé en novembre 2010, c’est cette fois une véritable histoire à suivre. On y retrouve l’aspect décalé du premier blog, mais avec une face beaucoup plus sombre, voire glauque. Rien d’étonnant à cela : l’humour surréaliste n’a jamais été très loin de l’humour noir, voire de la cruauté pur. Le style aussi, se veut plus relâché, et plus classique : un déroulement en strip de trois cases. L’histoire se résume assez difficilement : un personnage principal se débat, aux prises avec l’univers absurde de NR, fait de transexuels, de souris disneyenne, et d’immeubles qui s’effondre. Une autre manière, beaucoup plus trash et désespérée, d’aborder un même monde.
Enfin, je signale aussi aux éventuels nantais qui liraient ce blog que NR expose actuellement au restaurant Façon maison, rue des Trois-Croissants

Gimmie Indie Rock, le blog d’Half Bob (http://blogs.lesinrocks.com/gimmeindierock/)
Magnifiquement, Half Bob me permet de présenter un troisième type de blogs bd : le blog bd spécialisé. Celui d’Half Bob, comme son nom l’illustre, est dédié à la musique et plus précisément au rock indépendant dont le dessinateur est un amateur. Comme beaucoup de sites de titres de presse en ligne, lesinrocks.com possède sa plate-forme de blogs, que ce soit des blogueurs invités ou des blogs de journalistes (parmi les autres blogs graphiques, on trouve celui d’Hector de la vallée, ou encore celui du duo Dampremy Jack et Terreur graphique). Les origines des Inrockuptibles, qui tend à présent davantage vers le magazine de société généraliste sont la musique, et plus particulièrement, comme leur titre l’indique, le rock ; le blog d’Half Bob est donc le bienvenue, d’autant plus que son intérêt pour le rock dit « indépendant » (à l’origine, produit par des labels indépendants des grandes majors) rejoint un centre d’intérêt et d’exploration musicale du journal, souvent plus enclin à parler de l’avant-garde musical (avec toute la distance que ce terme impose) que des chanteurs à succès. En bon blogueur musical, Half Bob met en ligne quelques morceaux de musique à écouter avec chacun de ses notes, via des sites comme deezer, là encore une pratique courante chez certains blogueurs bd, dont certains ont même une « radioblog ».
Le blog d’Half Bob est aussi le plus récent, car il a tout juste un an d’existence. Blog spécialisé ou un spécialiste s’adresse à des spécialistes, ou un fan s’adresse à des fans, il immerge le lecteur novice en la matière (tel que moi) dans un monde mystérieux, constitué de noms étranges aux consonances fréquemment anglo-saxonnes. Et à l’occasion, si on est un peu curieux, il encourage à s’arrêter sur deux trois chansons, après des strips qui sont comme autant d’accroches souvent drôles. Dans ce type de blog spécialisé, qui connaît d’autres déclinaisons (le blog gastronomique de Guillaume Long en est un bon exemple), le dessinateur se fait critique ou journaliste.
Au passage, je ne vous ai pas dit qui était Half Bob. Son blog est loin d’être sa première expérience dans le domaine de la bande dessinée puisque, nous apprend-il, il a commencé dans l’univers du fanzinat avec le fanzine Murge, autoédité par l’association Trait d’encre. Il est facile de sortir du seul domaine du blog musical pour aller grapiller sur la toile les autres créations d’Half Bob. Il est celui des trois lauréats qui s’est le plus investi dans l’autopublication en ligne.
En dehors de son blog bd musical, on le retrouve :
– sur un blog personnel, http://halfbobleblog.blogspot.com/, sur lequel il poste régulièrement diverses illustrations, et ce depuis novembre 2008, ainsi que ses webcomics
– on trouvera aussi nombre de ses webcomics sur Manolosanctis, l’éditeur en ligne communautaire
– avec son comparse Marcel Ramirez (qui a aussi son blog inrocks, http://blogs.lesinrocks.com/marcel-ramirez/), il tient le blog Weirdofootmag
– il réalise des illustrations pour des tee-shirt vendus en ligne sur MonsieurPoulet et Rueduteeshirt.com
Signalons enfin qu’en ce début d’année 2011, il publiera sa première bande dessinée papier, Elmer la peluche qui parle, dans la petite maison d’édition stéphanoise Jarjille.
Pour ce qui est de ses webcomics, notamment ceux de Manolosanctis (publiés dès les débuts du site, en 2009, citons notamment Super Jean Jacques ou Rabbitman), j’ai quand même tendance à trouver que l’humour parodique et bon enfant ne va pas extrêmement loin. Je leur préfére le graphisme sobre, qui se limite au noir et blanc, du blog Gimme indie rock, dont les mises en scène s’avèrent souvent inventives et présentent l’avantage de s’appuyer sur une vraie culture rock (et des portraits de musiciens souvent réussis), et non sur une suite de clichés un peu maladroits comme c’est souvent le cas dans les webcomics suscités.

Le choix des jurés de cette année présente l’avantage d’être suffisamment représentatif de la diversité des blogs bd, dont on pourrait croire qu’ils répètent sans cesse une même forme figée. Aspirine, NR et Half Bob nous prouvent le contraire : l’originalité créative peut y naître, même à l’échelle d’une pratique amateure. Est-ce que mes commentaires laissent transparaître de ma part une préférence pour NR, dont la qualité graphique et humoristique me touche davantage et me semble la plus aboutie ? Bon, voilà, c’est dit. Et peut-être y a-t-il un peu de chauvinisme idiot, aussi, parce qu’il est de ma région. A présent, que le meilleur gagne : rendez-vous le 28 janvier pour connaître le podium.

Pour en savoir plus, les interviews des trois finalistes sur BDrama :
Interview d’Aspirine
Interview de NR
Interview d’Half Bob

3 réflexions au sujet de « Le concours Révélation Blog 2011 (le retour de l’article) »

  1. Wandrille

    Micro précision : La révélation blog a été créée à l’initiative du festival d’Angoulême (en la personne de la délicieuse Céline Bagot) et est organisé par VRAOUM qui s’entoure chaque année de partenaires pour l’occasion. Ce fut DIANTRE, l’an dernier, LES AUTRES GENS cette année, l’an prochain, on verra bien.

    On essaie de changer un peu les composantes du jury pour s’éviter d’avoir des sélectionnés qui se ressemblent trop d’année en année, même si certains membres du jury ne bougent pas beaucoup (en l’occurence vraoum et le FIBD).

    Je suis content que la sélection vous plaise, merci de cet article, toujours aussi bien foutu et documenté.

    Pour plus de détail sur les sordides cuisines internes de la Révélation Blog, il y a une longue interview sur bédéo, quelque part.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *