Dans le foisonnement que furent les années 2004-2005 en matière de blogs bd, j’ai toujours regretté de passer à côté d’une blogueuse qui a su démontrer par la suite au public que son blog n’était qu’une partie de son talent : Tanxxx. Faisant mon pain quotidien de Frantico, Boulet, Ga, Cha, Lovely Goretta, Laurel, Miss Gally, Mélaka, Pénélope Jolicoeur, la discrète niche dans laquelle se situait Tanxxx est passée dans mon angle mort. Cette petite introduction pour expliquer deux choses : le temps que j’ai mis avant de consacrer un « parcours de blogueurs » à Tanxxx, et les éventuelles imperfections de cet article, écrit par quelqu’un qui ne découvre que maintenant le blog de Tanxxx (mais qui, fort heureusement, avait déjà su s’enquérir de ses autres travaux).
Tanxxx dans la foule des premiers blogueurs bd
Le parcours de Tanxxx ne commence pas directement par la bande dessinée, partie de son travail qui émerge au moment de la création de son blog vers 2005 (indépendamment de ce même blog, d’ailleurs). Tanxxx, née en 1975, étudie aux Beaux-Arts d’Angoulême en section Art, période pendant laquelle elle dit n’avoir que très peu dessiné, et commence véritablement une carrière de dessinatrice vers 2003, se spécialisant tout particulièrement dans l’affiche rock. Elle collabore notamment avec le sérigraphiste Brazo Negro pour réaliser de belles affiches de concerts, ou de films de série B. Cette activité reste d’ailleurs l’activité professionnelle principale de Tanxxx, et je vous laisse admirer sur son site, http://www.tanxx.com/, le reste de ses réalisations dans le domaine de l’affiche.
Avant tout illustratrice, Tanxxx ne se destine pas d’abord à la bande dessinée. Mais, en lançant son blog autour de 2004, elle se risque à quelques trips. Même si j’ai quelques doutes sur la date, il est certain que Tanxxx fait partie de la première vague de blogs bd, celle qui voit commencer, dès 2003-2004, de futurs « célèbres blogueurs » tels que Pénélope Jolicoeur, Boulet, Laurel, Miss Gally ou Cha, c’est-à-dire avant l’apparition éclair du blog de Frantico, puis la création du Festiblog, deux évènements qui, en 2005, lanceront définitivement le phénomène auprès d’un public de plus en plus large. Et comme la grande majorité des blogueurs de la première génération, elle est d’abord une dessinatrice investissant la toile comme espace d’expression. D’abord sur un site free, à présent fermé, puis sur un blog appelé « Des croûtes au coin des yeux » ; http://tanxx.com/bloug/.
En feuilletant les archives du blog de Tanxxx, on retrouve le plaisir encore naïf des temps où la « blogosphère bd » ne se composait que de quelques dessinateurs discrets, se connaissant tous entre eux, et dont il était facile, en tant que lecteur, de faire le tour. Quelques strips qui semblent griffonnés sur un coin de table, des anecdotes personnels, de brefs textes lors des temps de disettes graphiques. Le blog lui permet aussi de s’affranchir du format serré de l’illustration, qui impose un dessin unique, pour aller vers la narration et utiliser son crayon d’une autre manière, peut-être plus décontracté et plus prolixe.
BD rock, affiche rock
L’une des composantes du mouvement des blogs bd a été une forme de résurgence de ce qu’on appelle parfois la « BD rock », notion très vague plus que réel projet esthétique, mais qui permet de replacer Tanxxx au sein d’une communauté de blogueurs partageant les mêmes passions. La blogosphère a compté plusieurs blogs bd dont les auteurs revendiquaient un intérêt pour le rock, en particulier dans ses formes punk et hardcore, particulièrement propices, par leur marginalité, à l’apparition d’une fan-culture underground : Cha (Ma vie est une bande dessinée), Slo (Sombrebizarre), Louna (Au donjon joyeux), qui font tous trois partie du collectif Humungus (http://collectifhumungus.free.fr/), rassemblant actuellement neuf dessinateurs autour d’un fanzine (Speedball, depuis 2007) et de réalisations de fresques lors de festivals ou concerts (les blogs n’ont bien sûr pas été le moteur de leur rassemblement, mais servent au moins de caisse de résonnance pour leurs réalisations). Tanxxx, sans faire partie du collectif, a participé au premier numéro de Speedball. Quelques blogs bd incarnent une déclinaison de la « BD rock » sur la toile.
Un petit point sur ce que j’entends par « BD rock », notion éminemment floue (et même moi, je ne suis pas bien sûr de comment l’utiliser). J’y pense par comparaison avec un mouvement analogue qui a amené à la fondation de Métal Hurlant dans les années 1970 et qui a porté, dans les décennies suivantes, une partie du monde du fanzinat (Guillaume Bouzard, Pierre Druilhe, Jean-Christophe Menu, Mattt Konture, Max, Luz, font partie des auteurs récents qui ont su mêler dans leur oeuvre souvenir du fanzinat et amour de la scène rock). Ce sont des dessinateurs dont l’un des moteurs du rassemblement (autour d’un fanzine, d’une association, d’une maison d’édition, d’une communauté sur le net) est un goût pour le rock qu’ils cherchent en plus à exprimer dans leurs travaux. Ce qui passe le plus souvent non par une uniformisation des styles, mais par des références à des thèmes communs : les concert et la musique, évidemment, mais aussi d’autres aspects périphériques de la culture rock, comme le lien avec le cinéma de série B et les films d’horreur dans le cas du punk qu’affectionne Tanxxx. On passera bien sûr sur le jeune label KSTR de Casterman où la notion revendiquée « d’esprit rock » est plus un concept commercial qu’une réalité, puisqu’il ne s’établit sur aucune communauté de dessinateurs fidèles. Mais au fil de revues, d’albums, d’auteurs particulièrement efficaces, on voit resurgir occasionnellement ce qui pourrait être une « BD rock », réunissant à la fois un public de fan de BD et de fan de rock. La puissance communautaire (rassembler un public de fans fidèles qui se reconnaissent et s’apprécient autour de références communes) de certains courants du rock comme le métal ou le punk joue ici un rôle fédérateur important.
Il est souvent difficile de trouver des artistes qui revendiquent jusqu’au bout le concept de BD rock, c’est-à-dire qui non seulement traitent dans leurs albums ou travaux de thématiques précises, mais en plus s’intègrent au monde du rock, ou cherchent à traduite, dans leurs dessins, les émotions transmises par la musique. Si bien qu’il s’agit le plus souvent d’une mode passagère et que les dessinateurs passionnés de rock prouvent, fort heureusement, qu’ils sont capables de produire autre chose et d’évoluer. Dans le cas de Tanxxx, pourtant, l’idée semble alléchante de tisser un lien solide entre la culture rock et son travail de dessinatrice. Même si, là encore, il ne se réduit pas à cela.
Son travail de graphiste rocken est un bon exemple, où dessin et musique se trouvent concrètement mêlés, puisque l’affiche doit exprimer le contenu du concert, pour attirer un public qui sache s’y reconnaître. Plus, peut-être, que dans d’autres domaines de l’illustration, l’affiche rock s’est affirmée comme un art autonome, avec ses codes et ses maîtres ; parce qu’il réalise les affiches, les pochettes de disques, les flyers, le graphiste est l’un des acteurs incontournable de la culture rock. Le festival Rock en Seine propose d’ailleurs depuis 2009, en marge des concerts, des expositions de dessinateurs. Tanxxx explique à propos de sa collaboration avec le sérigraphe Brazo Negro : « Nous aimions la musique et la sérigraphie, et il n’y avait pas meilleur moyen de combiner les deux. ». Elle s’est aussi formée auprès de Guy Burwell (http://www.guyburwell.com/) et s’est intégrée à la communautés des affichistes rock dont elle cite de nombreux artistes dans une interview donnée sur le blog Crewkoos (pour ceux que le sujet du graphisme rock intéresse, le blog de Crewkoos fourmille d’informations sur le sujet). Elle décrit ainsi la manière dont elle voit les spécificités de l’affiche rock : « Pour le poster rock en particulier, bien évidemment l’inspiration vient du groupe lui même, il peut avoir une identité visuelle forte, ce qui est soit une facilité soit un piège monumental, mais la plupart du temps j’écoute le groupe et j’essaie de retranscrire l’ambiance générale de sa musique. ». Tanxxx réalise les affiches pour les concerts en France du groupe canadien NomeansNo, qu’elle fait apparaître dans son album Rock, Zombie.
Tanxxx et la bande dessinée
Si Tanxxx reste avant tout une illustratrice, plus à l’aise dans les dessins uniques, les amateurs de bande dessinée peuvent également apprécier son travail dans plusieurs ouvrages. Tout d’abord dans des artbooks, mode classique de diffusion des illustrateurs : deux ont parus aux éditions Charrette en 2006-2008 (http://editions.charrette.free.fr/). Elle a d’ailleurs participé, chez ce même éditeur, à un album collectif en hommage à Popeye en 2010. Plus récemment, un autre éditeur, le Potager moderne, a édité un portfolio au tirage limité intitulé Tanxxx girls.
C’est en réalité dès 2005 que Tanxxx se lance dans la bande dessinée en publiant chez les Requins Marteaux Rock, Zombie. Court album, il part d’un principe très simple : Tanxxx se rend à un concert de son groupe préféré dont elle vient de dessiner l’affiche, NomeansNo, lorsque le public du concert se transforme progressivement en une armada de zombies affamés. Sorte d’hommage personnel au cinéma bis, qui regorge de ce type de scénario zombiesque qui n’ont d’autre intérêt que de voir des humains massacrer des morts-vivants, et inversement, Rock, Zombie, pour être le premier album de Tanxxx, multiplie les clins d’oeil à sa double expérience de graphiste et de public rock. On peut lire la suite de cet album, réédité depuis, sur le site de Tanxxx sous le titre Faire danser les morts. (Au passage, je signale aux fans de cinéma bis que Hard rock zombies est aussi le titre d’une comédie musicale de 1984 dont je vous invite à lire la critique sur Nanarland, ou même à le voir pour les plus curieux/téméraires d’entre vous). Il suffit de regarder les pochettes des disques des groupes de hard rock Iron Maiden ou Black Sabatth pour comprendre que rock et film d’horreur ont fait partie d’une culture commune, dont le graphisme était la meilleure expression. Par la suite, Tanxxx continue de nourrir ses albums des mêmes références croisés au rock et aux films d’horreur, comme le montre la couverture Double Trouble sorti en 2007 aux Enfants Rouges, qui reprend en partie des strips retravaillés du blog Des croûtes aux coins des yeux, et d’autres illustrations inédites mettant en scène Tanxxx elle-même et certains de ses personnages récurrents : le chat Burzum, Tom de NomeansNo, ou l’inimitable madame Putois que l’on retrouve dans El Coyote. Enfin, Tanxxx se prête parfois au jeu que lui suggère un scénariste : dans Neuf pieds sous terre, paru fin 2010 aux éditions Six pieds sous terre, elle cosigne avec Loïc Dauvillier un délicieux et malin petit conte macabre qui raconte les mésaventures d’un chat suicidaire qui meurt à la fin de chaque chapitre avant de ressusciter au début du suivant. Plusieurs revues accueillent aussi les histoires de Tanxxx : notamment Le Psikopat, L’Echo des savanes et Sierra Nueva des Requins Marteaux. Elle y développe ce même univers à la fois drôle et macabre, inspiré par un certain cinéma d’horreur.
A entendre évoquer les maisons d’éditions sus-cités, l’amateur averti de bandes dessinées remarque de la part de Tanxxx un certain tropisme vers l’édition alternative : Charrette, le Potager Moderne, les Enfants Rouges, sont de petits éditeurs. Six pieds sous terre et les Requins Marteaux le sont certes un peu moins, mais n’en sont pas pour autant des éditeurs grand public. Les Requins Marteaux, même, représente tout un héritage du fanzinat underground (et se montre finalement assez proche de l’esprit décadent, non-conformiste et ironique du mouvement musical punk par sa ligne éditoriale) dans lequel on ne s’étonne pas de trouver Tanxxx. Plus récemment, elle s’est liée à plusieurs projets d’édition alternative situées bien à l’écart des grandes machines de l’édition de BD, comme la jeune maison d’édition Même pas mal, par laquelle elle édite plusieurs illustrations (http://meme-pas-mal.fr/). Même pas mal accueille dans son catalogue de nombreux autres blogueurs amateurs d’humour noir (Goupil Acnéique, Pixel Vengeur, Abraham Kadabra) ou de rock (Cha). Certains de ces projets se développent d’ailleurs uniquement en ligne. Tanxxx participe ainsi au webzine El Coyote (dans lequel on retrouve ses collègues Cromwell, Rica et d’autres encore) et à la bédénovela de Thomas Cadène Les autres gens dont je vous donne régulièrement des nouvelles sur ce blog. Vous l’aurez compris : les occasions de lire Tanxxx ne manquent pas.
A côté de ses nombreux projets dans l’édition alternative et la diffusion en ligne, Tanxxx s’est fait connaître d’un public plus large lors de la publication d’Esthétiques et filatures, scénarisé par Lisa Mandel, dont je vous parlais dans un ancien Parcours de blogueur. L’album, paru en 2008 dans le label KSTR de Casterman, a fait partie de la sélection officielle d’Angoulême lors du FIBD 2009, sans pour autant recevoir de prix à cette occasion. Cette nomination a pu servir de tremplin à l’album qui reçut, cette même année 2009, le prix Artémisia (pour la promotion des femmes auteurs de bande dessinée).
Tanxxx n’est pas elle-même scénariste au long cours et il me semble que c’est bien dans cet album qu’elle a pu développer au maximum ses compétences de dessinatrice de bande dessinée, tout au long d’une histoire longue et complexe qu’elle n’aurait pas su mener seule (les histoires qu’elle a scénarisé jusque là s’aventurant rarement au-delà de l’anecdote). Lisa Mandel avait depuis longtemps en tête le scénario d’Esthétiques et filatures et a voulu le confier spécialement à Tanxxx, qu’elle voyait comme une des dessinatrices les plus à même de restranscrire l’ambiance voulue pour l’histoire. C’est un récit contemporain qui voit se croiser deux femmes : Marie, une jeune lesbienne caractérielle qui fuit la colère de son père et Adrienne, trentenaire blonde paumée dont le vernis de normalité va peu à peu craquer sous l’influence de la fugitive. On y retrouve des thèmes déjà présents dans d’autres albums de Lisa Mandel : l’homosexualité, la violence des rapports humains, l’impossibilité à devenir adulte… Ils sont traités de manière délicate, à la marge d’un scénario de roman noir aux ressorts surprenants (les amateurs de Lisa Mandel connaissent son art du rebondissement inattendu). Et c’est assez plaisant de se dire que la scénariste a accepté de prendre le risque de confier une de ses histoires à une dessinatrice dont le style est à l’opposé du sien. L’album est réussi, au moins dans cette fusion de deux styles autonomes, l’un narratif, l’autre graphique.
Sans doute est-il temps, justement, de parler du style graphique de Tanxxx, qui reste cohérent des affiches aux albums en passant par le blog (quoique logiquement un peu plus relâché dans ce dernier). Tanxxx est une spécialiste du noir et blanc et ne se risque que très peu vers la couleur. Les effets d’ombre et de lumière qu’elle parvient à donner installent d’emblée une ambiance sombre et lourde. On la rapproche souvent, d’interviews en interviews, de maîtres de l’underground américain contemporain qu’elle admire et chez qui elle semble avoir appris la gestion des noirs et blancs ainsi que le goût des déformations physiques expressives : Charles Burns (Black hole), Daniel Clowes (Ghost world), les frères Hernandez (Love and rockets). Surtout faut-il dire qu’elle s’approprie leur style glauque au sein de son propre univers, plus humoristique et moins désespéré. Loïc Dauvillier, dans Neuf pieds sur terre, exploite malicieusement le goût du noir et blanc et la puissance des ombres chez Tanxxx puisque, au fur et à mesure que le chat meurt et ressuscite, encore et encore, le style graphique change au cours de l’album, le noir envahissant progressivement la ligne claire initiale. Dans Esthétiques et filatures, le style de Tanxxx assure une grande partie de l’ambiance et fait passer sans accrocs certaines ficelles du scénario où le risque de pathos ou de ridicule était parfois grand : dès qu’il est question de violence, de sexe ou de toute autre émotion forte, le dessin de Tanxxx s’impose,plus grave que dans ses autres travaux, mais souvent très posé voire virtuose dans des pleines pages savamment composées qui nous rappellent qu’elle est d’abord une illustratrice au graphisme sans concession.
Pour en savoir plus :
Webographie :
Site internet : http://www.tanxx.com/
Blog Des croûtes au coin des yeux
Webzine El Coyote
Interview sur le blog CrewKoos
Interview au FIBD 2009 avec Lisa Mandel lors de la sortie d’Esthétiques et filatures
Interview à Bodoï lors du prix Artémisia pour Esthétiques et filatures.
Bibliographie :
Rock, Zombie, Les Requins Marteaux, 2005
Tanxxx, Editions Charrette, 2006
Double Trouble, Les Enfants Rouges, 2007
Tanxxx2, Editions Charrette, 2008
Esthétiques et filatures, Casterman, 2008 (scénario de Lisa Mandel)
Neuf pieds sous terre, Six pieds sous terre, 2010 (avec Loïc Dauvillier)
Bonjour.
Il y a erreur, je ne suis pas édité chez Même pas mal, je pense que vous confondez avec Abraham Kadabra, le scénariste de Paf et Hencule
Bonne journée.
Oups… Désolé pour cette erreur, liée en effet à une mauvaise lecture de pseudo…
C’est corrigée dans l’article.
Mr Petch